Aurélien Barrau
comment habiter poétiquement le monde
ni
un drame écologique
ni
une crise climatique
ni
un délitement social
une catastrophe civilisationnelle
voilà où nous en sommes
ou peut-être
pour le dire comme Jean-Luc Nancy
une maladie de l’esprit
régime d’aliénation ou d’ensorcellement
pas seulement intenable
mais également insouhaitable
le techno-solutionnisme rate si profondément la problématique qu’il contribue activement à l’effondrement qu’il feint de vouloir endiguer
l’enjeu est axiologique
ontologique et
symbolique
il est donc fondamentalement poétique
non pas accessoirement ou métaphoriquement
mais principiellement et littéralement.
il est cosmopétique ou
sans doute plus précisément chaopoétique
mais que peut aujourd’hui signifier
habiter poétiquement le monde
il faut le faire
cela ne fait plus de doute
mais qu’est-ce que le faire
tout à l’inverse d’
une posture vaguement esthétisante ou d’
un fantasme romantico-nostalgique
il ne peut s’agir
que d’
une injonction ou d’une exigence
d’une anxiété aussi
quel commun entre la lecture d’un sonnet de Ronsard et l’élaboration d’un tiers-lieu alternatif qualifié de poétique
certainement pas la beauté
peut-être
au contraire
une certaine manière
de n’avoir pas besoin de la beauté
ou
ce qui revient au même
un savoir-indexer-le-beau-à-l’existant
ce qu’on pourrait encore formuler
jouer Kant contre
Kant
vagabondage à l’orée de la convenance
en lisère du licite
en vie
habiter poétiquement le monde c’est aussi nécessairement
et sans doute plus profondément encore
être poétiquement habité par le monde
bi-perméabilité
devenir poreux à l’infime
ouvert à l’infection
gorgé de là
le poiesis est
un faire
mais l’étymologie
peut s’avérer trompeuse
il est aussi
justement question
de savoir ne surtout pas faire
non pas de défaire mais de suspendre
d’interrompre
de cheminer en syncope de soi
c’est donc d’
une sémio-poiesis qu’il s’agit
créer des signes
catalyser leur pullulement
être poète ce n’est pas nécessairement écrire suivant ce régime de précision extrême de rigueur obsessionnelle de connaissance et de transgression des règles qui caractérise le genre littéraire diffus et polymorphe nommé poésie
ce serait
au-delà ou en-deçà
un vœu de subversion
du banal et de perversion de l’attendu
ce serait
une connivence avec l’indice
en affidé du stigmate et complice du symbole
n’avoir plus peur de la prolifération des centres
s’innerver de la singularité de l’ordinaire
se repaître d’épiphanies continuées
un désenclavement
il serait un peu facile de nommer cela une esthéthique
plus explicitement peut-être
un goût pour l’interstice
un amour du hiatus
un penchant pour la marge
un habiter-la-faille
en tant qu’elle fraye
une passe résolument vicinale
ne plus voir sans s’émouvoir
ne plus entendre sans s’astreindre
et s’attendre aux limites du signifié
une exigence une ek-sistance
une contre-raison qui trahit l’origine et l’héritage
volonté farouche de signifier contre à l’ombre de l’autre
en extase de s’être
renversement du performatif
l’événement fait la langue
et
finalement
tout recevoir
mais ne rien accueillir
que dans l’inchoatif du toucher
en bandit du logos
en pirate du nomos
avec tact et intransigeance
aux confins du sensible
faire corps avec le monde
faire monde avec les chœurs
sans concession ni indulgence
un savoir s’étonner à l’aune de l’enfoui
un percept amoureux
Aurélien Barrau
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