samedi, août 29, 2020


Emily Brontë 


déclara

à sa sœur Ann

à son père

aux deux vicaires  

aux deux servantes

quand elle fut de retour dans la cure

à Haworth 


à partir d’aujourd’hui

j’exige que personne ne se mette en travers de mon désir

de me tenir à l’écart




à l’écart des visiteurs

bien sûr

 

à l’écart des fournisseurs

cela va de soi


mais encore

 

à l’écart 

des autres membres de la famille 

cousins cousines nièces

tantes


désormais 

je veux qu’on me fiche

la paix

 

s’occuper des pauvres

apporter le thé aux pasteurs en visite 

voilà qui est au-dessus 

de mes forces



la liberté 

selon la conception qu’en a Emily Brontë 

n’est pas un état


il s’agit d’

un irrépressible élan d’émancipation 

qui entraîne dès la sortie du ventre maternel

et qui est à ses yeux 

infini


la liberté 

c’est

la préservation 

de l’isolement personnel

originaire 


elle dérive 

de l’autoenlacement fœtal 

si proche du mouvement que font les

bourgeons des fougères dans leurs crosses

menues avant qu’elles 

se déplient 


cette unité 

qui est aussi une union avec soi 

est antérieure à la relation duelle 

qui s’instaure 

aussitôt que la mère nourrit 

son nourrisson en tendant son sein et en inclinant

son regard


antérieure 

à la relation ternaire

par laquelle la grammaire commence 

à laquelle 

on a noblement associé le nom

du roi Œdipe


antérieure 

aux relations plurielles et familiales 

soumises et puériles


scolaires 

adolescentes et honteuses 


collectives 

droits et devoirs des citoyens


cette façon 

de concevoir le destin des jours et l’évolution des âges 

est proche des enseignements 

du bouddhisme 


libération 

des étapes successives de la morphogenèse


puis de 

celles de la phylogenèse

puis de 

la hiérarchie des classes sociales 

puis des 

bienfaits et des contentions angoissantes de

la civilisation 


un matin 

alors que la nuit finissait 

le prince Çakyamuni se leva de sa couche 

sans faire de bruit 

quitta pour toujours son épouse 

enjamba le corps de son fils qui dormait

sortit du palais de son père

rejoignit 

un arbre au bord de l’eau

s’adossa à son tronc 


jusqu’à sa mort

il resta assis 

dans l’ombre de sa ramure



*


Pascal 

la Réponse à Lord Chandos


il y a 

une clé qui ne sèche jamais 

il s’agit de la clé qui déverrouillerait l’origine

la clé de la chambre interdite 

on ne sait si elle est tachée de sperme ou de sang

on hésite toujours

















celle-ci est ma vie 


celle d’en haut

celle de la brise pure

celle de l’ultime oiseau


celle des cimes d’or et de l’obscur !


cela 

est ma liberté


sentir 

la rose


couper 

l’eau froide de ma main folle


dénuder 

la futaie


prendre 

au soleil sa lumière éternelle !



instants où le demain

ne compte pas 

où tout s’achève


aujourd’hui  

et 

je suis  prêt


à tout

peu importe à quoi

ni avec quoi !


comme se hausse

mon être 

que je suis grand


alors !

comme je suis seul 

!


et 

comme je manque peu

et 

l’homme et dieu 

!


*



Juan Ramón Jiménez

il arrache 

avec la racine la bruyère

pleine encore de la rosée de l’aurore


oh 

quel arrosement de terre

odorante et mouillée

quelle pluie 

quelle cécité 

d’étoiles


en 

son front 

en ses yeux 

!










Air 

les sables lavés par les vagues 

 

au-delà des nuées s’élève 

un pavillon rouge


lieu retiré et loin de tout


au-dessus 

des Cinq Lacs 

le son de la flûte perce 

la saison





après avoir rangé trente mille peintures et livres

il monte avec eux sur sa barque


miroir et brûle-parfum

tendresse 

grâce et tranquillité


il relève pour moi le rideau 

juste comme il faut


sans souci 

de la fraîcheur du vent et des vagues 

sur le lac


il me regarde 
















 


J’ai vu 

les noirs Véda

le Coran et l’Évangile

et 


les livres 

aux plats de soie des Mongol

eux-mêmes faits de la cendre des steppes
















du kizäk odorant

comme le font

les femmes kalmoukes chaque matin

faire un feu

et se coucher soi-même sur lui

veuves blanches

cachées dans un nuage de fumée

pour accélérer la venue

du livre


Ce livre un

bientôt vous le lirez     

bientôt


Blanches     

les mers brillent

dans les côtes mortes des baleines


Chant sacré     

voix sauvage mais juste


Et 

les fleuves azur     

sont les marque-pages

où 

le lecteur lit

est l’arrêt 

des yeux qui lisent


Ce sont les grands fleuves 

la Volga 

où 

la nuit on chante à Razine

où 

on allume 

des feux sur les barques


le Nil jaune     

où 

l’on prie le soleil


le Yang-Tsé-Kiang     

où 

est la fange épaisse des humains


la Seine     

où sont vendues 

des femmes aux yeux sombres


et le Danube     

où 

toutes les nuits brillent

des hommes blancs sur les vagues     

sur des barques en chemises blanches


la Tamise     

est l’ennui gris des bâtiments 

dieux pour les foules


l’Ob renfrogné     

où 

on fouette 

le dieu tous les soirs

et où on danse devant un ours 

à l’anneau de fer sur son cou blanc

avant qu’il ne soit mangé par toute la tribu 


et le Mississippi     

où 

les hommes 

ont pris pour pantalon le ciel étoilé

et portent un chiffon de ce ciel sur des bâtons



Le genre humain 

est le lecteur du livre 

et 

la couverture 

porte l’inscription du créateur

mon nom     

archaïques caractères bleus


Mais 

tu lis nonchalamment

plus d’attention !


Tu es trop distrait 

et 

tu regardes en paresseux

comme si c’était les leçons d’un catéchisme


Ces chaînes 

de montagnes enneigées et ces grandes mers


ce livre un

bientôt     

bientôt tu vas le lire


Dans ces pages saute la baleine

et l’aigle     

qui a plié la page de l’angle

se pose sur les vagues marines

pour se reposer 

sur le lit 

du

pygargue



*



des signes 

d’écriture archaïques 

comme si de tout temps la 

couverture du livre portait le nom


Le Livre évoque

par son aspect de  montagnes enneigées 

l’espace nietzschéen

il reprend l’ancien topique du monde comme livre 

dans une version cinétique 


L’aigle 

quitte les sommets

pour se poser sur la mer et devenir 

aigle des mers


Je ne sais si 

Khlebnikov 

pensait à la Thora d’en haut qui suit le même 

mouvement


Quoi 

qu’il en soit

puisqu’encore une fois 

il s’agit du temps 

et plus spécifiquement du temps de la lecture

on pourrait dire que Khlebnikov

là aussi

introduit la discontinuité

























ainsi 

je constitue 

la première pile de livres  

un rêve d’escalier


je mêle 

les deux langues 


non pas 

une conjonction

mais 

un micmac de lectures










deux langues 

qui se joignent peuvent tout 

renverser







entre 

les livres 

je suis harassé 

je cherche

mais 

ce n’est pas cela

ce n’est pas encore cela 


c’est très joli 

de prendre des notes

mais 

ce n’est pas ça

non pas encore ça


deux bonnes pages 

c’est le bout du monde et le bout du monde 

est exaltant


je quitte la table

je scrute l’escalier



















Donatella 


si 

tu t'interposes 

opaque entre moi et la lumière

je ne suis plus personne

vivant


 


sur la vitre

le 

dessin 

d'

un souffle

avant comme après  invisible


Flora



dans les temps éloignés 

les hommes avaient six doigts

le sixième 

était toujours en feu


il suffisait 

de toucher du doigt les choses


c’est

contre les pierres 

le secours de la poésie


il s’agirait au fond

par-delà la chimère 

de trouver 

la circulation de la joie dans le soleil

 

un mouvement circulaire

un chemin personnel vers l’équilibre 


par-delà symétries et asymétries 

vers le cœur réconcilié 


il y a 

une façon d'employer le mot 

qui fonde l'éveil de la conscience 

sur l'extension sociale de la notion d'homme 


retournant 

le rapport ordinaire des facultés entre elles

cette discipline exige qu'au lieu d'envelopper l'être

le connaître aspire à s'en envelopper 

et pose 


L'UN

comme le germe de tous

























allez 

savoir pourquoi tirer 

sur 


une 

simple cigarette 

est si bon














cigarette 

qu’on fume à deux en amoureux


cigarette

qui pourrait aider à réfléchir


cigarette

qu’on retient habilement entre les lèvres tout en parlant


cigarette

qui repart quand on la croyait éteinte


cigarette

dont on récupère la cendre 

dans la paume en se brûlant un peu


cigarette 

qui apaise l’angoisse




elle

roulait 

adroitement 

et 

collait 

d'

un coup de langue 

une cigarette



cigarette 

de tabac blond

de tabac brun


cigarette 

blonde brune

cendre 

filtre

fumée 

mégot de cigarette 

cartouche

paquet de cigarettes

étui

papier à cigarettes 


avoir 

une cigarette à la bouche 

aux lèvres



M. 

garda 

les yeux baissés sur 

une cigarette 

qu'elle était en train de rouler 


elle utilisait 

une boîte 

d'

un mécanisme spécial

il fallait disposer le tabac dans 

un moule 

placer la feuille de papier dans 

un cadre 

la mouiller sur le bord 

 

elle en avait pour 

un moment


drôle de jeu