Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
vendredi, juillet 24, 2020
je suis
le vieil homme
qui n’en fait qu'à sa guise
à l’écart
je me suis réfugié
au bord des fleuves et des lacs
séjournant sagement
au milieu du vent et de la pluie
le papier
neuf à la fenêtre
est extrêmement blanc
dans le poêle chaud
le feu rouge vif rougeoie
marque-pages et étuis de livres
je viens à l’instant d’arranger
la prononciation et la forme des caractères
j’
étudie en
détail
si
je
ne meurs
pas tout de suite
et
surmonte
la décrépitude
pendant dix années encore
je
me consacrerai
à l’étude
COLLER
quelques propos détachés du Pavillon
une table nette
et
une claire fenêtre
de
l’encens
et
du thé
à l’occasion
quelques réflexions sur la méditation silencieuse
dans le bouddhisme mahāyāna
d’inspiration taoïste
des espaliers
et
un potager
un soleil tiède
et
un vent léger
le loisir d’écouter
quelqu’un parler de tout et de rien
en
vieillissant
on sait que tout est joué
peu importe que les gens aient tort ou raison
et au printemps
on n’a plus
qu’
une affaire
voir
les fleurs
éclore et se faner
aucune chose
n’est impérissable
encore moins notre corps
ce balourd sac
de peau
tout
ce qui a
forme la perdra
mais
a-t-on
jamais vu
un ciel décomposé
?
le difficile
est
de bien trouver sa place
et
de retrouver
la communication
avec soi
le
tout
est dans
une certaine floculation des choses
dans
le rassemblement
de toute cette pierreries
mentale autour
d’
un point
qui
est justement
à trouver
et
voilà
moi
ce que
je pense de la pensée
certainement
l’inspiration existe
et
il y a
un point phosphoreux
où toute la
réalité se retrouve
mais
changée
métamorphosée
et
par quoi
?
un point
de magique utilisation
des choses
et je crois
aux aérolithes mentaux
à des cosmogonies individuelles
en
sommeil
nerfs
tendus tout le long des
jambes
le
sommeil venait
d’
un déplacement
de
croyance
l’étreinte se relâchait
l’absurde me
marchait sur les pieds
se
retrouver
dans
un état d’extrême secousse
éclaircie d’irréalité
avec dans
un coin de soi-même
des morceaux du monde réel
COLLER
une espèce
de déperdition constante
du
niveau normal
de la réalité
un impouvoir
à cristalliser inconsciemment
le point rompu
de l’automatisme
à quelque degré que ce soit
murs et porte
ici l’appartement
murs et porte
volets
agencement de livres
cuisine ou vaisselle choit
parquet épineux
le lit devant la fenêtre
l’air porte la poussière
des acariens plein le tissus
un plafond et quelques craquelures
une armoire pauvre en vêtements
ils sont froissés
des clés solitaires
sur la commode silencieuse du vestibule
la porte d’entrée
ne s’ouvre jamais sans la peur de perdre
un peu d’air
la peur d’échanger son intimité
son identité
qu’on sorte ou entre
le lien et l’entre-deux
l’articulation et l’entretemps
....
et pourtant
et pourtant
écoutez la bouche en distance percée
...
Mathieu Brosseau
travaille
une prose dynamique qui tend vers le flux
il creuse les questions
du corps
de l’identité
du temps
de l’animalité,
du désir ou encore
du dénaître
pour lui
dire la chose en train de se faire
quand le dire est la chose en train de se faire
incarner cette vie augmentée
C’est poésie
l’exercice de la disparition est
un ensemble de poèmes hallucinés polymorphes
et foisonnants dont on comprend et ressent l’évolution
et l’unité au fil des mots
Mathieu Brosseau
nous incite à voyager
à travers le temps pour atteindre
nos fondements avant même nos perceptions
et représentations
à force de casser notre boussole littéraire
de surprise en tournure
de vision en pirouette
il y parvient
En lisant en écrivant : lectures versatiles #8
ici
Dans son livre de dialogue avec Frédéric-Yves Jeannet, Rencontre terrestre, Hélène Cixous parle de légèreté et de transparence à propos d’une des dernières phrases griffonnées par Kafka sur son lit d’agonie :
Limonade tout était si infini
De cette phrase qui est “de ces phrases absolues, détachées absoutes en lesquelles se précipite toute une vie dans un souffle ultime”, à partir de cette phrase, surgissement et adieu, improbable apparition, elle dit son rêve d’atteindre cette liberté de l’ultime, de pouvoir écrire “à la fin”, alors même qu’on a plus de compte à rendre à personne, dans cette “grâce”.
Résolution :
on va continuer avec la littérature pour l’espoir de parfois rencontrer ou produire un tel énoncé, pour l’étrangeté de cette rencontre avec une phrase qu’on n’aurait pas pu écrire, qu’on n’aurait pas écrite, pour tout ce qui s’y déplace, pour cette sorte d’espoir léger qui s’y lève, cette littéralité heureuse, ce retour de la lettre à elle-même, cette idiotie ou ce retour en enfance, cette découverte étrange qui d’un coup nous fait entrer dans un rapport inouï à nous-même, à nos significations ordinaires, dans un dégagement, recrachant la mort qu’on avait coincée dans la gorge.
Dans une libération.
Xavier Person
COLLER
oubli
et
lumière
sur les
linges humides
les miroirs sont vides
dans les assiettes
la solitude est aveuglante
une extase
soudée à l'incommensurable
une envergure
calquée sur le rien
avec
le temps
le fruit trouve
une précision sirupeuse
il devient
exactitude et provision
de bouche
voyez
l'art de l'abeille
son gâteau
de cire n'est-il pas
l'accord parfait
entre le miel et l'hexagone
?
la
ligne a-t-elle
une vie intérieure
?
certes
il est des caractères
communs entre le désespoir
et
une perpendiculaire
chaque trait
qui apparaît se rend à l'évidence de son abîme,
et se manifeste
comme tel
en dépit
de ce que son étendue laisse
supposer
la
ligne reste
un point
voire
un point litigieux
une extase
une envergure
une précision sirupeuse
une vie intérieure
une perpendiculaire
un point
un point litigieux
l’homme
doit être laissé comme
non fini
c’
est-à-dire
comme appartenant
à
une espèce
en cours
de métamorphose infinie
dans
une nature
qui est
elle-même
une métamorphose infinie
*
au
pied
d’
un sureau
entouré
de buissons
de lilas et de noisetiers
j’aime le contact de cette tête
humide sur mes
genoux
un chemin creux de montagne
une étoile filante phosphorescente
une pleine lune
et
un croissant
quelques
traces d’encre suspendues
dans
un rectangle de papier
effacent les images qui encombrent
mon présent
six kakis
perdre
son temps relève
d’
une certaine esthétique
pour
les subtils de la sensation
il existe
un formulaire de l’inertie
qui
comporte
des recettes
pour toutes les formes
de lucidité
la stratégie
mise en œuvre pour
combattre la notion de convention sociale
les impulsions
de nos instincts les
sollicitations du sentiment
exigent
une étude approfondie
dont
le premier
esthète venu est
tout à fait incapable
une étiologie
étude
des causes
des maladies
rigoureuse des scrupules
doit être suivie
d’
un diagnostic ironique
de notre
servilité à l’égard
de la norme
il importe aussi
de cultiver notre adresse
à éviter les intrusions de la vie
un soin
doit
nous cuirasser
contre notre sensibilité
à l’opinion d’autrui
et
une molle indifférence
nous matelasser l’âme contre les coups
de la coexistence avec
les autres