Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
vendredi, juin 12, 2020
Jean Paulhan
raconte cette histoire
quand
un chasseur
rentre trempé ou glacé
il va d’abord s’il est sage changer d’habits
puis
il allume son gaz
pour faire cuire ses cailles car il a faim
après quoi
il
tourne
le bouton de sa
T.S.F. pour se réjouir
un peu le cœur
c’est là ce que fait le chasseur
s’il est simplement
sage
mais
s’
il a
du génie
il
allume
un grand feu
qui tout à la fois le sèche
rôtit les cailles et lui enchante
les yeux
ou du poumon ne ressemble-t-elle pas
à l’arbre en son entier
?
cette efflorescence
de chou ne reproduit-elle pas
l’ensemble du légume
?
cette
portion de fissure dans le sol
n’est-elle pas
homothétique
à la fissure
totale
?
une homothétie
est
une transformation
géométrique correspondant à
un agrandissement
ou à
une réduction
plus précisément
une homothétie
est caractérisée par
un point invariant
appelé centre et
un réel
appelé rapport
un biseau dans la cour tombe loin du marteau
une discrète pluie d’épingles côté féminin
descend
de la bouche vers le fond des mousses alors
que l’aube pointe dans les hanches
de biais
la phrase errante
libre lancinante et habitée
se tient en légère apesanteur devenant sinueuse à souhait
tout en restant bien en phase avec l’imaginaire
ébloui de celui
qui a
une
grande
aptitude à
laisser voguer sa
pensée
il parvient à lui donner des impulsions propices au décollage immédiat partant au quart de tour visiter des territoires qui croisent parfois ceux
de sa mémoire
de ses lectures ou
de ses rêves éveillés
derrière
la vitrine rien que le blanc jaillissement
et
un tube froissé
au
loin
seulement
l’horizon bordé des
pas
le
mode de travail
de
B
est marqué par les techniques
de l’archivage
de la collecte et de la fabrication
extraire transférer découper monter coller
pourvoir
d’
un sigle
ou opérer
un tri
semblent chez lui des activités d’écrivain innées
l’inspiration
s’enflammait devant l’abondance
des matériaux.
images documents et perceptions
livraient leur secret au regard en profondeur
B
s’intéressait à l’à-côté
il
aimait la pensée sur les marges pour pénétrer
de là jusqu’au
milieu
il
employait volontiers le terme
architectural
sa capacité d’immersion et d’ouverture
aux associations lui faisait découvrir l’essentiel
dans le détail
les
fragments s’articulaient
les uns
aux autres en
une formation nouvelle
dont le chercheur
faisait quelque chose
d’inimitable
dans les rues et dans les écrans
dans les transports en mouvement
dans les papiers en fixité
dans les surfaces numérisées
dans les chambres d’hôte irisées
dans les rayons de supermarchés
dans les salles de conférence
dans les palais de thé
dans les hôtels particuliers
dans les colloques denses ou moins denses
dans les musées fourmillants
dans les galeries désertées
dans les bibliothèques huppées
dans les librairies encombrées
dans les salons double vitrage
dans les ateliers effondrés
dans les décombres du saccage
dans les traces de chaufferies
dans les piliers d’électricité
dans les poteaux d’angle
dans les madriers de voies ferrées
dans les calvaires bretons
dans les caniveaux et dans les fossés
et je pourrais en rajouter
partout où elle
passait
elle
inversait
le sens des flèches et semait
l’obscurité
dans la nature
la pénombre
il était
un soir
il était une fois
quelque chose et moi
D. G.
alors
l’immortalité de l’âme aujourd’hui
?
P. G.
D. G.
quand on était dans le ventre de sa mère
on n’en était pas
conscient
est-ce qu’on sera conscient après
?
P. G.
je vis dans cette peur
en même temps
je m’en moque et j’ai très peur qu’il y ait
quelque chose
après
le sommeil éternel
je n’y crois pas beaucoup
j’ai connu l’avant-mort
j’ai mis
un pied dedans et
je pense que tous ceux qui l’ont connue
sont dans les mêmes dispositions
parce que
s’il y a quelque chose
ce ne peut être que terrifiant
terrifiant
parce qu’on ne connaît pas
terrifiant
comme les mathématiques
mais
là aussi
il faut avoir confiance
dans ce qu’on ne connaît pas
néanmoins
j’ai peur
Pierre Guyotat Humains par hasard.
entretiens avec
Donatien Grau
un soir
il était une fois
quelque chose et moi
D. G.
alors
l’immortalité de l’âme aujourd’hui
?
P. G.
qu’est-ce que c’est l’âme ?
quand vous avez connu le coma comme moi
après vous vivez dans cette terreur
qu’il y ait quelque chose
après votre
mort
et je pense que l’âme ce n’est pas drôle
je ne crois pas au paradis mais j’ai peur des limbes
on revient dans cet état où on était bébé fœtus peut-être
on redevient une espèce de fœtus
dans je ne sais quel ventre colossal avec des quantités d’autres
un ventre rabelaisien
un ventre monumental
D. G.
quand on était dans le ventre de sa mère
on n’en était pas
conscient
est-ce qu’on sera conscient après
?
P. G.
je vis dans cette peur
en même temps
je m’en moque et j’ai très peur qu’il y ait
quelque chose
après
le sommeil éternel
je n’y crois pas beaucoup
j’ai connu l’avant-mort
j’ai mis
un pied dedans et
je pense que tous ceux qui l’ont connue
sont dans les mêmes dispositions
parce que
s’il y a quelque chose
ce ne peut être que terrifiant
terrifiant
parce qu’on ne connaît pas
terrifiant
comme les mathématiques
mais
là aussi
il faut avoir confiance
dans ce qu’on ne connaît pas
néanmoins
j’ai peur
Pierre Guyotat Humains par hasard.
entretiens avec
Donatien Grau
le combat spirituel
est aussi brutal que la bataille d’hommes
mais la vision de la justice
est le plaisir de Dieu seul
il peut être dangereux de chercher
d’écrire le résultat de ses recherches
on peut se tromper
commettre des erreurs
pourtant
on voudrait être honnête
dans cette forêt
par où commencer
quel chemin suivre
quelle clairière où se reposer ?
croyez-moi
la poésie
celle des poètes proprement dits
n'est qu'inquiétude
quête et amour
la vie
quotidienne
est
une préoccupation du salut
AW
code ton langage et fuis
ils ne te trouveront pas
je les ai inventés
j'ai inventé les mots et je peux les cacher
ils ne te trouveront pas
caché par le crépuscule
un crépuscule sensuel
dans toutes les langues
la Bibliothèque est
une sphère dont le centre véritable est
un hexagone quelconque
et dont la circonférence est
inaccessible
tout
porte à croire
qu’
il existe
un certain
point de l’esprit
d’où
la vie et la mort
le réel et l’imaginaire
le passé et le futur
le communicable et l’incommunicable
le masculin et le féminin
l'épais et le subtil
le fixe et le volatil
le haut et le bas
cessent d’être perçus contradictoirement
YS II 48
tatah dvandva-anabhighâtah
qui peut se traduire ainsi
alors il y a
absence de perturbation dues aux
paires d’opposés
tatah an-abhi-ghâta dvandva
Patanjali évoque ici les paires d’opposés dvanda
mot au cœur de la compréhension
du sutra
souvent
les paires d’opposés prennent
le sens de
forces ou conditions auxquelles est soumis le corps haut et bas gauche et droite avant et arrière chaud et froid repos et activité etc...
les paires d’opposés sont ainsi vues comme des conditions de vie auxquelles il faut s’adapter
s’il en était ainsi la pratique d’āsana augmenterait notre adaptabilité à des forces opposées nées de notre constitution ou de notre environnement
et c’est indéniable la pratique d’āsana permet une plus grande adaptabilité
c’est vrai mais n’est- ce pas un peu limité ?
n’est-il pas possible de voir plus large de voir le contexte dans lequel est introduite cette notion de dvandva de voir la dimension plus intérieure évoquée par le mot dvandva ?
quel est le contexte ?
Âsana est le quatrième des huit membres du yoga anga moyens proposés pour développer le discernement viveka et réduire nos états de confusions samyoga qui empêchent l’épanouissement de la vie en nous
le but d’āsana n’est rien moins que la transformation de notre corps-esprit la transformation profonde de notre être au monde au service d’une perception libre et approfondie
Āsana traduit littéralement le fait de s'asseoir ou la manière d'être assis
dans le Yoga ce terme a le sens de posture rituelle
comment lire le mot dvandva ?
on y retrouve par deux fois le mot dvi qui signifie deux
Dvandva, ou dvi-dvi ou deux-deux est en fait un deuxième deux plus extérieur qui pointe vers un premier plus intérieur le couple purusa et prakrti
le texte entier du Yoga Sutra traite de la relation entre ces deux-là
Purusa la Vie qui nous habite est au-delà du changement et se reflète au monde à travers notre corps et notre esprit
Prakrti ce qui est habité est contingent et soumis au changement
en confondant ces deux-là en les prenant l’un pour l’autre, en confondant la forme que la vie prend en nous et la Vie même nous sommes dans un état de confusion samyoga
dans un tel état l’espace pour le reflet de purusa est réduit
le Yoga Sutra nous invite à réaliser et à vivre la différence entre les deux
dans notre corps le souffle exprime l’interaction entre purusa et prakrti
le souffle montre si dans notre être au monde il y a l’espace et un support adéquat pour Prâna le reflet de purusa
la pratique d’āsana nous invite à explorer et à défaire la confusion entre souffle et corps nous invite à ouvrir un espace pour une libre circulation de Prâna
Āsana est au service de l’incarnation pour que notre corps puisse devenir un lieu de vie et d’expression de la Vie
ainsi les dvandva ne sont pas des paires d’opposés qui s’imposent sur nous de l’extérieur
les dvandva sont produits en nous précisément par notre incapacité à vivre la différence entre Purusa et Prakritti ce deux primaire
c’est comme si la Vie nous disait :
toi qui ne veux pas vivre ces deux purusa/prakrtti
va découvrir d’autres deux
les dvi-dvi dvandva
et apprend !
Āsana est profondément
un lieu de transformation
un lieu
pour découvrir et accepter
notre humanité et céder l’espace à la Vie
qui nous dépasse.
en acceptant de ne pas être maîtres de la Vie
en acceptant de vivre les deux
nous avons accès à ce qui
est
UN
au-delà de deux
quand
tu arpentes le sens d'
un mot
arpentes l'histoire d'
une personne
ne t'attends pas à ce que jaillisse
la lumière
les mots
des hommes ne possèdent pas d'interrupteur
principal
mais
ô
tous
ces petits
rapts dans la nuit
et
les voilà soudain qui forment dans ton esprit
comme
une vaste toile lumineuse
une toile frissonnante
dissoute
impénitente
beuglante
visible
quand tu reviens à la page que tu essayais de
traduire
chez lui
dont le père si redouté
a placé le nom sous l’emblème du
choucas
le singe
les chevaux
les souris
les rats
les chiens
le monstrueux insecte
la taupe géante
les chacals
serpents
léopards
la cigogne
le moineau
la martre bleu-vert
le dragon vert
l’espèce de kangourou à la longue queue
de renard
l’agneau-chaton et la bobine
ne sont eux aussi que
littérature
quoique en piteux état
Fat alla ouvrir lui-même lorsque le livreur de la pharmacie
frappa à la porte
il
se retrouva nez à nez
avec
une jeune femme
aux cheveux sombres qui lui tendit
un petit sac
noir contenant le Darvon
N
malgré sa souffrance extrême
Fat oublia les cachets car toute son attention
se trouva retenue par le collier doré qui brillait sur
la gorge de la fille
il ne pouvait
en détacher ses yeux
ivre de douleur et de penthotal
épuisé par l’épreuve qu’
il venait de subir
il parvint
néanmoins à demander à la fille ce que représentait
le motif doré sur le devant
du collier
c’était
un profil de poisson
la fille
toucha le poisson
d’
un doigt mince et dit
c’est
un symbole
qu’utilisaient les premiers chrétiens
Philip K. Dick
Siva
La Trilogie divine
I
une jeune femme
un petit sac noir
un profil de poisson
un symbole
je vois
une roue
de face comme rentrée
veut-on
des chants nègres
des danses de houris ?
veut-on
que
je disparaisse
que
je plonge
à la recherche de l’anneau
?
veut-on
?
*
Racine-du-ciel
se promenait dans le domaine de la
Grande-Lumière
parvint à l’eau profonde où elle rencontra
Homme-sans-nom
elle lui demanda
comment peut-on gouverner les hommes ?
va-t’en
ignorante ! répondit
Homme-sans-nom
ta question manque d’a-propos
je contemple le secret de la création
quand ma curiosité sera satisfaite
j’enfourcherai l’oiseau immense pour m’évader
de l’Univers et errer librement au pays du néant et de l’infini
comment veux-tu que
je m’intéresse au gouvernement des hommes ?
Racine-du-ciel
insista
applique toi au détachement répondit
Homme-sans-nom
concentre-toi dans le silence
conformément à la nature des êtres
sois sans égoïsme
alors les hommes seront en paix
Jay Leyda
nous indique que Dickinson
avait marqué le passage suivant dans l’édition en huit volumes
des Comédies
pièces historiques
tragédies et poèmes de William Shakespeare
établie par Charles Knight et que possédait sa famille
si l’homme que l’on vole n’a pas l’usage de l’objet dérobé
qu’il n’en sache rien
et on ne lui aura rien volé
Shakespeare
Othello
III
usant
d’exagérations d’abréviations
de distorsions
d’amplifications de soustractions
d’énigmes
d’interrogations
de réécritures
elle tira des textes
d’autres textes
Susan Howe
Mon Emily Dickinson
traduction et postface d’Antoine Cazé
Ypsilon éditeur