jeudi, septembre 21, 2017

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L’agenda de l’écrit 

de Benoît Casas est doté d’un mode d’emploi, 

au début du livre : 












« L’agenda de l’écrit est un livre constitué d’un ensemble de 366 textes, très courts, 140 signes, datés du 1er janvier au 31 décembre.

Chaque jour l’indication de date est complétée de la mention de la naissance – ou de la mort – d’un écrivain (survenue le jour en question).

Chaque texte, s’il s’agit d’un jour de naissance, a été écrit à partir de mots tirés des deux premières pages d’un livre de l’auteur choisi.

Chaque texte, lorsqu’il s’agit d’une date de mort, a été écrit à partir de mots tirés des deux dernières pages d’un livre de l’auteur choisi.

Le livre qui résulte de ces 366 textes brefs d’hommage quotidien se donne à lire sous une forme d’agenda, il s’intitule L’agenda de l’écrit. »



L’agenda de l’écrit est un livre, mais c’est aussi un agenda, c’est à dire qu’il peut être utilisé exactement comme un agenda : il y a du blanc, beaucoup de blanc sur la page, mais ce n’est pas un blanc de poésie, c’est un blanc pour écrire, des notes de lecture, de la poésie, ou la liste des courses si on préfère, le poète ne sera pas choqué. 

L’agenda de l’écrit est un agenda, c’est à dire qu’il se glisse volontiers dans un sac à main, et devient une bibliothèque portative, un démarreur de lecture portatif, un démarreur d’écriture portatif (dans un sac à main, souvent, on trouve aussi un stylo). L’agenda de l’écrit est la bibliothèque portative de Benoit Casas : c’est lui, lecteur, poète, éditeur, qui choisit chaque jour un livre (et donc un auteur), dans la sienne, le réduit à 140 signes, le glisse dans l’agenda. Dans l’agenda, on emporte avec soi donc des philosophes, des romanciers, des historiens de l’art, des poètes, des peintres, des hommes, des femmes (trop peu !), des morts, des vivants (trop peu !). Comme la bibliothèque n’est pas terminée (le peut-elle ?), Benoît Casas écrit un deuxième volume de l’agenda de l’écrit.

Sur la double page 8 septembre / 9 septembre, la rencontre heureuse d’Alfred Jarry (naissance) et de Stéphane Mallarmé (mort) me réjouit.


8 septembre
Naissance d’Alfred Jarry

Commencement électrique : la phrase. L’amour : un unanime lieu commun, un permis de chasse. L’amour est un acte, on peut le faire rajeunir.

9 septembre
Mort de Stéphane Mallarmé

Pensée, séjour d’été : le trait musical placé, jusqu’à la vérité. Mes vers sont hasard, expérience, coup de dés : ma volonté survit intacte.

Le rythme rapide est donné par la forme très brève du « 140 » (qui n’est pas un tweet, mais bien un 140, exactement 140 signes), et le poème devient souvent une sentence, un fragment, une maxime. C’est aussi un journal, avec ses biographèmes, c’est un journal de lecture, un journal d’admiration et d’hommage. C’est un livre politique, érotique, philosophique, de voyage, artistique, lapidaire. C’est un livre qui a le goût du jour. C’est un livre à lire au jour le jour, ou en picorant au fil des pages, ou du début à la fin d’une traite. 

Aujourd’hui par exemple : 

14 septembre
Mort de Dante Alighieri

Le dire est faible, ma parole sera courte : j’ai mémoire, vue nouvelle, d’un enfant, langue au sein. Je voulais voir la lumière, je voyais.

Je proposerai celui-ci, pour la naissance de l’agenda de l’écrit : 

L’avenir du livre seul n’est pas une mort mais un livre métamorphosé : une collection géométrique dans la mémoire insistant, « nous » gravé.

Cécile Riou




Benoit Casas, 
L’agenda de l’écrit,  
éditions Cambourakis, 
2017, 
384 p. 
14 €.































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Man Ray

l'étoile de mer


*














elle

penses-tu bien à moi

en voyant cette étoile dont tu m'as appris 

à connaître les beautés et l'usage ?


note rapide sur une image






























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Elle respire librement

calmement 













elle n'interroge 

pas


elle est seulement  une chambre 

d'écoute


elle est cet espace où résonne

ce qui a lieu



elle est émue


comme si  à la faveur de cette découverte

son cœur

s'était ouvert au bonheur


plus rien ne la sépare d'elle-même 



note rapide sur une image


























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*

Aconit Napel

prairies et bois humide  violettes
bleu foncé ou violet rougeâtre
en grappe ou panicule   casque
arrondi  aussi large que haut

Aconitum napellus 


une petite comédie

mais comment 
l'aconit de la jalousie aurait-il poussé 
dans son âme?


































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Le plus grand 
calme 
est 


nécessaire

pour une juste conduite











de la lecture et de l'écriture


je dois me fier à ma boussole intérieure

suivre ce qu'elle m'indique


même si cela

entraîne quand à l'écrit

ce qui passera  pour du désordre



je sais lorsque je dérive

je sais aussi lorsque je touche juste

les détails peuvent être localisés






le désordre
était une grâce

il y avait
quelque chose
d'impénétrable comme
dans la symétrie






























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21 septembre  S.Matthieu 

demain l'automne

déjà























prends un mot

un mot tel que Doron

et fais passer la rivière

dans ce poème


fais passer la rivière sous le pont de la Gaieté 


un retour de nord sec et relativement doux 

sur les Alpes

Le Grand Beau Temps































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CAMEMBERT

COEUR
DE
LION

Au bon Lait Normand


LIONEL
LELION



*
































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Trolle

prairies humides  bois clairs  grandes
presque sphériques  jusqu'à dix
sépales jaunes recourbés  vers l'intérieur
à l'extrémité   
vivace

Trollius europaeus 































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il est des moments

de la vie

où 

le vague plaît à de jeunes âmes










je suis encore en proie à tout le vague que la chute 

a produit dans mes idées






encore un plan

quelques rousseurs  le feuillage

laineux

couvrant ce sombre sanctuaire



il y a encore de la place ici

pour que des pensées-fougères soient intégrées

à un autre système


veuillez accueillir les trois  fous

chacun muni de son astrolabe et de sa question



éditions Peters  Leipzig

vague






























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Une tache de lumière éclaire un bord de la fenêtre. 

Quelques minutes et quelques centimètres plus tard, le soleil inonde la pièce. L'air est envahi de particules très denses. D'infimes grains de poussières tourbillonnent, une série de tempêtes énergétiques. L'angle de la lumière est direct et sévère, nous donnant l'impression que les gens sur le lit sont dans un cadre particulier, leur forme intrinsèque étant perceptible en dehors de tout le collage animal de propriétés et des fonction physiques. Cela nous absout heureusement de nos connaissances secrètes. La pièce entière, le motel, est offert à ce moment de purification lumineuse. Les espaces et ce qu'ils contiennent n'expliquent plus, ni ne signifient, ni ne représentent, ni ne servent d'exemple.




















La figure accoudée, par exemple, se reconnaît à peine pour celle d'un mâle. Se dépouillant de ses compétences et ses traits caractéristiques en quelques secondes, il peut encore être décrit (mais vite) comme bien formé, doté de plusieurs sens, clair de poil et de peau. Nous ne savons rien d'autre sur lui.



Don Delillo
Joueurs  

trad. de l'américain par 
Marianne Véron  
Actes Sud
Babel











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Une tache de lumière éclaire 

un bord de la fenêtre

quelques minutes et quelques centimètres 

plus tard

le soleil inonde la pièce




L'air est envahi de particules 

très denses


D'infimes grains de poussières tourbillonnent


une série de tempêtes énergétiques


L'angle de la lumière est direct et sévère

nous donnant l'impression que les gens sur le lit 

sont dans un cadre particulier

leur forme intrinsèque étant perceptible en dehors 

de tout le collage animal de propriétés et des fonction physiques



Cela nous absout heureusement de nos connaissances 

secrètes


La pièce entière


le motel 

est offert à ce moment de purification 

lumineuse



Les espaces et ce qu'ils contiennent n'expliquent plus


ni 
ne signifient 

ni 

ne représentent 

ni 

ne servent d'exemple




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Ici, 

l'effacement du langage résulte de la substitution 

du mouvement, 












sorte d'abandon de soi, 

de laisser-aller et d'acceptation de cet abandon. 


Le poème est douloureux car il n'a plus la force. 

Il s'accroche à l'inertie, 

se déprend du réel, 

se cherche une méthode pour tenir debout 

dans un ailleurs diffus. 


Le repos lui est interdit, 

le silence imposé. 


La prose finale achève le renfoncement 

dans une matière atone – la reconnaissance de l'impossibilité 

de la langue où il faudrait marquer 

sa place dans le monde.


suite































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L'orgueilleuse 


créature rencontra subitement dans ce vaste champ 

une fleur
























un moi inconnu a été réveillé dans sa coque    

souffrante



une intelligence 
confuse

un mouvement 
perpétuel

un désir  violent



cela veut dire

que je pense et que vous sentez

voilà tout



*



Les grands usages comprenaient l’affouage

le marronnage 

le pâturage ou pacage

la glandée et la passion

les petits usages consistaient dans le droit d’enlever 

les branches sèches

le bois mort et le mort-bois



*





Elle cherchait seulement 
un lieu 

plus ou moins propice pour 
vivre

je veux dire  
un petit endroit où chanter et pouvoir 
pleurer tranquille parfois


En vérité elle ne voulait pas une maison 

Ombre voulait un jardin

Je suis seulement venue voir le jardin

dit-elle

mais chaque fois qu'elle visitait 

un jardin 

elle vérifiait que ce n'était pas celui 

qu'elle cherchait



celui qu'elle voulait

c'était comme parler ou écrire. 

après avoir parlé ou écrit 

elle devait toujours expliquer


Non
ce n'est pas cela que je voulais 
dire


Alejandra Pizarnik
Textes d'Ombre
traduction d'Etienne Dobenesque
Ypsilon éditeur
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