La singularité et l’événement
Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
jeudi, décembre 18, 2025
La Deuxième Vie n’est pas ailleurs
elle n’attend ni la mort ni un autre monde
elle est déjà là
en filigrane dans la première
les instants de suspension
les ruptures de sens
les élans soudains
Mais la plupart passent devant ces seuils
comme devant une porte sans poignée
l’initiation n’ajoute rien
Elle n’ouvre pas un royaume caché
elle apprend à voir autrement ce qui est déjà donné
elle déplace l’attention
désaxe le regard
retire au réel son évidence anesthésiante
Alors la première vie ne disparaît pas
mais elle devient transparente
le même geste le même jour le même lieu
et pourtant autre chose s’y révèle
une profondeur une intensité une responsabilité nouvelle d’être là
La Deuxième Vie n’est pas un refuge
mais une exigence
elle demande de vivre sans écran
sans se réfugier dans l’automatisme
sans se croire quitte avec l’existence
C’est pourquoi peu en ont conscience
non par manque de capacité
mais parce que cette lucidité oblige
voir la Deuxième Vie dans la première
c’est ne plus pouvoir vivre tout à fait comme avant
Elger Esser Voyage en Egypte 2011
Impensable réalité
ce qui existe sans nom ni forme
présence qui échappe à la raison
bord du connu où la pensée vacille
elle impose sa densité silencieuse et défie toute capture conceptuelle
Physique et sagesse traditionnelle
l’une observe
l’autre écoute
entre lois et rituels
le réel se révèle double tangible et vivant
La tension conceptuelle
La carte et le territoire
le territoire lui résiste à cette réduction Il est rugueux changeant imprévisible Il se vit par le corps le temps la fatigue l’erreur Là où la carte anticipe le territoire surprend Là où la carte explique le territoire éprouve
la tension conceptuelle entre carte et territoire rappelle une limite fondamentale de la connaissance aucune représentation ne coïncide avec ce qu’elle représente Confondre la carte avec le territoire c’est oublier le réel au profit de son schéma Refuser la carte c’est s’exposer à l’errance pure
Penser juste consiste à circuler entre les deux utiliser la carte sans l’idolâtrer marcher le territoire sans renoncer aux repères
Le réel et son double
non pas la même eau
mais le même événement du monde saisi
selon deux régimes du temps
Chez Hokusai la vague est instant critique
point de bascule
forme tendue vers sa propre rupture
Elle est rapide décisive presque calligraphique
le monde surgit d’un seul geste
comme si le temps avait été comprimé
jusqu’à devenir signe
La vague n’est pas observée elle est reconnue
déjà là
Chez Cézanne la vague même absente du motif marin
est lenteur insistante
accumulation de regards
retour obstiné sur la même forme
Le monde ne surgit pas
par couches
La vitesse est celle de la perception qui apprend à voir
en se heurtant à ce qu’elle ne comprend pas encore
Ce n’est donc pas la vague qui change
mais le rapport au temps
Hokusai travaille dans un temps rythmique
cyclique
où la forme naît d’un accord profond
entre le geste et le monde
Cézanne travaille dans un temps critique
épais
où
L’un peint à la vitesse du souffle
l’autre à celle du doute
L’un sait avant de tracer
l’autre trace pour savoir
Mais tous deux rencontrent la même chose
une réalité qui n’est jamais donnée d’un seul coup
La vague est ce qui arrive
entre le monde et l’œil
entre la nature et la conscience
entre le visible et ce qui insiste pour être vu
Ainsi
ce n’est pas représenter autrement
c’est habiter autrement le temps c’est faire
Silice
grain clair du monde solide
squelette discret des pierres et du verre
mémoire fossile de la lumière
dureté patiente
base invisible de tant de formes
prochain mot
Diatomées
architectes microscopiques de verre
cellules solaires dérivant dans l’eau
elles écrivent des géométries invisibles
leur mort devient sédiment et le monde respire à travers elles
mouvement sans centre
le vivant se dit par vagues
la langue hésite
ce qui coule ne s’explique pas
cela se déchiffre lentement
par attention
Le chaos érotique du monde attraction sans loi ni repos
forces mêlées
frictions premières
où
les corps les idées les astres se cherchent sans se comprendre
désordre fécond
poésie
désir diffus qui met tout en mouvement
à toutes les échelles
à tous les instants




