jeudi, novembre 06, 2025


carnet d’altitude 


respiration articulée dans le secret

le souffle hésite encore à devenir parole

les mots se forment dans la gorge du vent

je n’écris pas j’écoute le battement du monde

le silence se penche il prend ma voix sans bruit
















II 

narration d’équilibre

je marche sans mouvement

chaque pas pèse son contraire

le jour tient debout
dans la lumière inclinée

rien ne s’achève
tout se tient



III

mord dans le citron vert

le goût me réveille

une acidité vive fend la torpeur

le corps se souvient d’être précis

le réel a des dents



IV

cet espace arrive

rien ne vient et pourtant l’espace s’avance

le monde approche


non comme un lieu


mais comme une présence sans nom

je m’ouvre à son pas invisible



V

feu s’applique sur la peur

le feu n’est pas contre moi

il travaille doucement dans la chair du tremblement

chaque frayeur devient cendre claire

la cendre lumière



VI

locus amoenus

ce n’est pas le lieu charmant des livres

juste une pierre chaude


un souffle calme

l’endroit où tout s’accorde à la mesure du silence



VII

le vent d’hiver

le vent d’hiver traverse tout il ne demande rien

il dépouille les pierres

les arbres

les traces dans la neige

dans le silence de l’esprit il fait de même

tout devient crible et clarté

la mémoire se vide pour accueillir le réel

le froid est santé

la purification n’est pas douleur mais respiration

je marche dans ce vent non pour le dominer

mais pour me laisser traverser

dans cette traversée le monde et moi avec lui

nous sommes nus et vrais



VIII

l’aridité fait la lumière

plus rien à perdre donc tout à voir

la pierre pense lentement sous le soleil

la sécheresse éclaire mieux que l’abondance

je demeure dans ce peu



IX 

étrangeté volontaire

je n’ai pas fui les hommes

je me suis seulement retiré du bruit qui les anime

ce que j’appelle solitude n’est pas absence

mais appartenance à ce qui ne demande rien

je me tiens dans une clarté sans visages

où le lien se défait de son poids social

pour devenir simple présence

étrangeté

oui

mais consentie

étrangeté qui délivre le regard de la ressemblance

étrangeté comme retour à soi

non pas comme un centre

mais comme une clairière


maintenir vifs le mystère et l’enchantement

il ne faut pas tout comprendre

ce qui demeure obscur éclaire autrement

le monde garde son feu dans ses replis

je marche pour ne pas rompre le fil du secret

chaque pierre a son mot à retenir

chaque ombre sa lumière non dite

le réel est plus vaste que la pensée

je me tiens à la lisière

de ce que je ne saurai jamais

c’est là que je respire



XI 

marcher vers les hauteurs

marcher vers les hauteurs où l’air est rare et sain

où chaque souffle pèse son or clair

ici la fatigue devient alliance

le corps n’est plus un poids mais un rythme

chaque pas brûle la peur

chaque silence respire mieux que les mots

la santé n’est pas la force mais la justesse

celle qui naît de l’altitude intérieure


je marche encore non pour atteindre

mais pour respirer



XII

frémissement végétal

au cœur du silence quelque chose bouge

non le vent mais l’accord du vent avec ce qu’il effleure

les herbes frémissent dans leur mouvement

je reconnais mon propre battement

le for intérieur n’est pas clos

il s’ouvre dans le tremblement des feuilles

la pensée circule

comme une sève lente

entre le corps et la lumière


la paix n’est pas absence de mouvement
mais consentement
à cette pulsation infime
qui relie tout ce qui respire



XIII

palimpseste universel

le monde écrit par-dessus lui-même

comme la mer sur son sable

comme la lumière sur la mémoire du jour

chaque pierre contient une ancienne phrase

chaque souffle réveille un mot effacé

je marche sur les lignes superposées du temps

rien n’est vierge

rien n’est clos

la neige garde l’ombre de toutes les neiges


je suis écrit moi aussi
dans la page mouvante du monde
le monde me lit en silence



XIV 

nécessité scripturaire

écrire n’est pas vouloir dire c’est garder vivant

ce qui sans les mots s’éteindrait doucement

l’écriture est le souffle qui reste quand la voix s’est tue

chaque mot posé prolonge le battement du monde

chaque silence autour de lui le protège

je n’invente rien

je transcris l’air qui passe en moi

comme une respiration dictée par le dehors


écrire 
non par vanité
mais par fidélité au réel



XV

je suis un crible

tout passe à travers moi

la peur la lumière le vent la parole des pierres

je ne retiens rien

je distingue seulement ce qui demeure après le passage

je ne suis pas la source   ni le but

je suis l’entre-deux

l’intervalle par où le monde s’éprouve

éprouver filtrer laisser aller

c’est ma manière d’habiter

le réel me traverse

c’est en ce passage
que je trouve ma forme















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