anna livia plurabelle
elle est l’eau qui se souvient des collines et des visages elle s’appelle anna pour la mère primordiale celle qui commence et recommence livia pour la rivière qui coule vers la mer comme la femme vers la nuit plurabelle car elle est plusieurs et belle en toutes ses formes
mère amante source et tombe elle parle toutes les langues à la fois sa voix ruisselle dans les ruelles de dublin elle charrie les rires des filles et les plaintes des vieilles elle enlace les pierres du pont comme des enfants endormis elle connaît les secrets des hommes les chutes et les renaissances dans son nom dort le flot de toutes les annas d’Ève à Marie de la vierge à la pécheresse
livia coule sous les mots comme le latin dans le rêve plurabelle répand ses reflets sur le monde changeant des visages elle est la rivière liffey et la femme joycienne l’inépuisable féminité celle qui lave la faute et recommence le cycle celle qui parle sans fin et dont chaque mot s’érode comme un galet dans l’eau
anna livia plurabelle
elle est la mémoire liquide du monde
elle coule à travers les songes des hommes et murmure les mots
avant qu’ils ne naissent
elle est la voix qui lave la faute et recommence le temps
anna
la première syllabe du commencement
la mère qui se penche sur le lit du fleuve et berce la ville endormie
livia
la claire la fluide la coulée du latin antique
qui s’étire dans la bouche et se mêle à la pluie
plurabelle
la multiple la belle aux mille visages aux mille âges
belle dans le reflet de la pierre dans la chair du mot dans le tremblement
du souvenir
elle passe sous les ponts de dublin et sous les paupières de tous ceux qui rêvent elle recueille les rumeurs d’hommes et les plaintes d’amours elle se divise en ruisseaux de langues et chaque langue est une femme et chaque femme une eau elle parle en éclats et en boucles
son corps est syllabe sa chevelure un courant de voyelles son rire un clapotement de lumière elle est mère et amante et tombeau elle est toutes les femmes et aucune elle recommence là où la mer commence elle finit là où la source oublie son nom
anna livia plurabelle c’est la rivière et la parole un seul flot la femme et la langue confondues dans un même éternel recommencement
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