mardi, février 27, 2024

UN 

INDIVIDU c’est une individualité un 


INDIVIDU c’est 

INDIVIDUEL un 

INDIVIDU c’est 

VISUEL    c’est télévisuel un 

INDIVIDU peut-il être 

DUEL un 

INDIVIDU peut-il être fait de 

DUALITÉS un 

INDIVIDU peut-il être 

PARTAGÉ ... un 
















INDIVIDU 

ça vit in utero 

dans sa propre carcasse 

sa propre enveloppe son propre cerveau un 

INDIVIDU 

ça ne sort jamais de soi-même c’est ennuyeux 


UN INDIVIDU

IL A LA TÉLÉ DANS SA CELLULE 


ou sa cellule dans sa télé

la question reste ouverte

après avoir lu ou vu 

La Chute des comètes et des cosmonautes

libre à chacun de trouver des parades à son individualité 

de se rendre un peu divisible 

un peu partageable


















j’ai tiré sur un fil 

les images se sont lentement dépliées 

motif par motif




d’un point de vue chimique le cerveau a besoin 
d’un cinquième de seconde
pour tomber 

amoureux





























le cerveau
 
d’un amoureux ressemble à celui 
de quelqu’un qui vient 
de prendre 
de la cocaïne

mêmes symptômes 

décharge chimique
montée d’adrénaline
salves de dopamine
accélération du rythme cardiaque 
vagues de chaleur et de bien-être
picotements dans le bas-ventre
papilles irriguées
pupilles dilatées




























ne pas se laisser 

happer

par 

le marasme idéologique


l’occulte 

est au cœur du manifeste 


non 

dans 

son contraire

















 

rien 

n’est plus caché que

le plus apparent



ce moment ... 

tout m'échappe ...


d'immenses lézardes se font jour dans le palais du monde



l'esprit 

se déprend un peu 

de la mécanique humaine...


je ne suis plus

la bicyclette de mes sens... 


je ne suis plus 

la meule à aiguiser les souvenirs et les rencontres


je saisis 

en moi l'occasionnel 


je saisis 

tout à coup comment je me dépasse 


l'occasionnel

c'est moi et cette proposition formée 


je ris 

à la mémoire 

de toute l'activité humaine





en 
bon derviche 
tourneur 

j'ai 

une confiance absolue 

en ma propre érudition ignorante

en mes vices innocents

en ma propre incompréhension


comme 
Beckett l’écrit dans 
l’innommable  


chère 

incompréhension

c’est à toi que je devrais 

d’être moi

à la fin 






















Iana Stanislavovna Diaguiléva 

en russe 
 
Яна Станиславовна Дягилева 

née le 4 septembre 1966 à Novossibirsk 
morte en mai 1991  

une chanteuse et poétesse russe surnommée 

Yanka






















son nom tout comme celui d’Alexandre Bachlatchev est celui du magnitizdat des temps de la perestroïka ce réseau d’édition informel  l’équivalent du samizdat en littérature utilisant les enregistrements sur les bandes magnétiques et celui des kvartirniks du russe квартира  appartement ces petits concerts improvisés entre amis qui s’invitent les uns chez les autres

surnommée parfois Patti Smith du punk russe elle se démarque par son côté solitaire elle refuse de donner les interviews

le 9 mai 1991 elle part de sa maison de campagne près de Novossibirsk pour ne plus revenir 

le 17 mai son corps était retrouvé par un pêcheur dans la rivière Inia 

sa mort est officiellement reconnue comme suicide

elle est enterrée à Novossibirsk 
sur la question de sa mort Skalova évoque les nombreux doutes sur sa cause

A noter qu’elle a été repérée par l’extraordinaire passeur qu’est Jean-Baptiste Para qui a donné quelques traductions de ses poèmes









Trouer la brume du paradis est une introduction à la vie et à l’œuvre de Yanka Diaghileva comète qui brilla brièvement à la fin des années 80 sur la scène punk d’une Union soviétique à l’agonie 

Elle a 25 ans lorsque son corps est repêché 
sans vie dans les eaux de la rivière 
Inia en Sibérie

Les raisons de sa mort 
n’ont jamais été réellement élucidées 

Marina Skalova traduit et commente 
un ensemble de textes de 
Yanka 

Des mots écrits dans une langue abrupte 
qui charrie des images étranges imprégnées d’éléments 
folkloriques et mythologiques 

Qu’il s’agisse de paroles de chansons ou de poèmes ils racontent une existence orientée par l’urgence et la précarité mais aussi par la nécessité de ne pas plier aux exigences d’un État dictatorial moribond 

Yanka est la figure de proue d’un punk sibérien sorti de rien pour venir  trouer la brume du paradis dans laquelle aime à se dissimuler l’enfer des régimes totalitaires


Au bord des pôles

il y a 

des milliers 
de kilomètres 
de rien ou 
de presque rien 



dans ce presque réside la différence 

le presque est la brèche d’où le punk peut surgir


*


Un poème de Yanka Diaghileva traduit par Marina Skalova


Comment vivre – on te le dira en réunion

Boire quoi – t’as qu’à lire l’oukase

Manger quoi – rubrique « conseils utiles »

La vie mode d’emploi – lis l’oukase trois fois

Et deux fois le papier sur les fusées ailées



Où vivre – va te renseigner au comité

Avec quoi – quelle question futile !

Chanter quoi – le parti va te l’indiquer

Sois un guerrier, rends-toi utile


Avec qui coucher – demande à la cellule

On t’y donnera une réponse conforme

Chaque indécence te couvre de honte

Cris « non » aux guerres des étoiles 




Trouer la brume du paradis

L’Ours Blanc 

n° 39 

par Tristan Hordé


ici




















 

Marina Skalova

souffle court 

de vers brefs et incisifs 

















langue 

limite et lieu de réinvention

















comme à travers un miroir vacillant 

les poèmes en montrent 

l’instabilité.


un corps se heurte à d’autres corps 

le corps traverse des langues et des territoires

chaque langue est étrangère. 


une voix tente de lier


alors que l’air manque 

violence intime et fracas extérieur se font écho


les poèmes 

marquent la quête d’un territoire respirable


comme 

un souffle tenu 

un mince filet d’air sinuant entre les langues


*


ce que peut la littérature face à ce présent

pas grand chose sûrement


et cette chose

les vagues la recouvrent


les vagues coupent la parole 

elles privent du pouvoir de parler

elles coupent le lien entre la parole et la pensée 


quand 

les vagues affluent 

je ne sais plus ce que 

je suis 

je ne sais plus ce que

je pense 


les vagues 

c’est ça qu’elles sont c’est ça qu’elles font 

les vagues


*


Le migrant c’est celui qui est fluctuant c’est-à-dire changeant hésitant, indécis  Il varie, va d’un objet à l’autre et revient au premier s’il y est forcé  C’est celui qui est flottant, subit des fluctuations est en proie à des variations  Il est charrié par l’afflux des vagues elles-mêmes fluctuantes et qui risquent de le faire flotter dans l’eau  Marina Skalova Exploration du flux Seuil collection Fiction & cie Paris 2018