mercredi, avril 06, 2022

 XXVII


quand 

le poète peint l’enfer

il peint sa vie 


sa vie

ombre qui fuit 

de spectres poursuivie 


forêt mystérieuse où ses pas 

effrayés

s’égarent à tâtons hors des chemins 

frayés 























noir voyage 

obstrué de rencontres 

difformes 


spirale 

aux bords douteux

aux profondeurs énormes


dont les cercles

hideux vont toujours plus avant


dans 

une ombre 

où se meut l’enfer vague et vivant 


cette rampe 

se perd dans la brume indécise 


au bas 

de chaque marche 

une plainte est assise


et l’on y voit passer avec 

un faible bruit

des grincements de dents blancs 

dans la sombre nuit


là sont les visions

les rêves

les chimères 


les yeux 

que la douleur change en sources amères


l’amour

couple enlacé triste et toujours brûlant

qui dans 

un tourbillon passe 

une plaie au flanc 


dans 

un coin 

la vengeance et la faim

sœurs impies

sur

un crâne 

rongé côte à côte accroupies 


puis la pâle misère au sourire appauvri 


l’ambition

l’orgueil de soi-même nourri

et la luxure immonde 

et l’avarice infâme


tous les manteaux 

de plomb dont peut se charger l’âme 


plus loin

la lâcheté la peur la trahison



offrant des clefs à vendre et goûtant 

du poison 


et puis


plus bas encore 

et tout au fond du gouffre

le masque grimaçant de la Haine qui souffre 


oui

c’est bien là la vie

ô poète inspiré

et son chemin brumeux d’obstacles 

encombré


mais

pour que rien n’y manque

en cette route étroite

vous nous montrez toujours debout 

à votre droite

le génie au front calme

aux yeux pleins de rayons

le Virgile serein 

qui dit 

continuons




6 août 1836


Victor Hugo

après

une lecture de Dante


les Voix intérieures 

Ollendorf

1909

17 p. 451-452



















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