vendredi, juillet 30, 2021





elle attendit 

Rien 




















comme 
elle était pourvue 
d’

une grande patience 
elle attendit 
encore 

toujours rien 


puis 

le silence la recouvrit 

le sommeil s’empara d'elle et 
elle disparut dans 
ses rêves 

elle ne revint jamais

elle ne donna pas de ses nouvelles


personne 
ne se souciait plus d'elle

on l’oublia 

et sans doute 
attend-elle encore




les histoires 

ne vivent jamais seules 


ce sont 

les branches d’

une famille 

qu’il faut retracer 

en avant et en arrière 



















Amanha Lundju

Guinée-Bissau  

17:47


le tronc de l’arbre 
harcelé par 
le vent 






























colonne 

infini qui monte vers le ciel en tremblant 

entre ses mains 

ses longs doigts effilés 

ce qu’en aveugle elle n’en finit pas 
de palper
de caresser 
d’attraper les jours 
comme autant d’impacts laissant leur trace 
à la surface d’

une matière sensible 

dans ce mouvement infime du corps 
où le regard est absent 
lointain
comme aveuglé par la lumière

ailleurs

le temps 
en rythme dans leur écorce 
nue 

lisse comme 
un nouveau jour

leur ombre 
aberrante à bout de branche 

ce sont des équilibres précaires 

ce mouvement 
de l’arbre dans le vent 
ressemble à celui des vagues
celui du sang l’idée que l’on s’en fait

sous l’élan caressant du vent frémissant 

le souffle qui l’assaille 

la sève des siècles 
arrachés au silence du tronc 

sous les caresses de tes mains longilignes 
ou les assauts de ton regard 
implorant 

désirable


le temps 
tourne autour de toi
se dilate ou se contracte

il y a là 
quelque chose de très 
tactile

les arbres
immobiles pour nous
sont les maîtres du temps

dans 
un coin de soi-même 
des morceaux du monde réel


rien 
ne ressemble 
à ce dont 

je 
ne me souviens 
pas






























Ryoko cuisine sans fin


si demain 

le monde venait à s’arrêter 

je voudrais bien manger 


un mont-blanc

un velouté potiron et gingembre

une salade verte

un bon steak à la truffe

et tous les plats sur lesquels 

je pourrais verser de l’huile d’olive et du citron… 
























Ryoko Sekiguchi 

se rend en 2018 à Beyrouth où elle reste presque un mois et demi pour faire le portrait de la ville à travers sa cuisine 

les gestes de ceux qui la font ceux qui l’apprécient et la partagent les histoires racontées par les habitants...

































187. Le dernier repas dans ce monde-ci, le premier repas dans l’au-delà

Je pense aux témoignages des résidents du Zenshôen, sanatorium dédié à la maladie de Hansen. Jusqu’en 1996, la loi japonaise imposait la quarantaine à vie à ceux qui avaient une fois été touchés par cette maladie, même s’ils en étaient guéris. 

Entrer dans ces sanatoriums (il y en avait plusieurs) signifiait ne plus jamais revenir dans ce monde-ci, être condamné au ghetto à perpétuité. Les conditions de vie y étaient si inhumaines, surtout dans la première moitié du XXe siècle, qu’ils ressemblaient plutôt à des camps de concentration.

Nombre de résidents ont raconté le jour où ils ont été internés dans un sanatorium. Ils se souvenaient parfaitement de leur premier repas sur place, que la plupart d’entre eux n’arrivaient pas à avaler, comme si porter ces aliments à la bouche signifiait se transformer en habitant de « l’au-delà »pour toujours.

Ils se souvenaient également du dernier repas préparé par leur famille avant leur départ, sachant qu’ils ne les reverraient plus jamais.

un repas 
peut cristalliser en lui tout le drame 
ou le passage d’

un monde à l’autre


188. Cristallisation

La cuisine cristallise les moments. 

Je me souviens encore aujourd’hui du « premier repas » que j’ai fait après le décès de mon grand-père. 

J’étais loin du Japon, en voyage, et je savais que je ne pourrais pas rentrer à temps pour ses obsèques. 

Pendant les deux jours qui ont suivi son décès, je n’ai rien mangé. 

Le troisième jour, on m’a commandé un poulet rôti dans une cantine de la ville. 

À la première bouchée, j’ai éclaté en sanglots. 

Je savais que cet instant, celui où j’acceptais de continuer à vivre dans ce monde en mettant quelque chose dans ma bouche, était le moment de la véritable séparation entre moi et lui, qui n’avait plus besoin de s’alimenter.

C’était le repas qui me condamnait à rester dans ce monde-ci.



961 heures à Beyrouth
de Ryoko Sekiguchi 
P.O.L.,2021



En lisant en écrivant : lectures versatiles #33










































je me suis convaincu 

qu’il n’y avait pas 

de calcul 

que l’on ne puisse faire 

de tête 


c’est-à-dire 

que si l’on ne pouvait pas le faire 

de tête 

ça voulait dire 

que l’on ne comprenait pas
















donc en fait 

il y a 
une règle
 
qui consiste à dire justement
quelle que soit la complexité du calcul 
il vaut mieux aller 
faire 

un tour à pied et réfléchir 
comment les choses vont s’agencer etc. 

avant 
de commencer



*



les paroles claires marchent devant nous

les paroles claires sont nos ancêtres

les paroles sont nos enfants


elles nous regardent de derrière 



nos 
enfants 
sont nos ancêtres




























elle s'ajuste à l’indécis


le 
vertige 
d’

un ralenti































le tournoiement des figures

la douce agonie des contours

la lente défaite des images


le miroitement de la rumeur

le scintillement des particules


elle s'ajuste à l’indécis

elle consent 

à la dilution des corps et des paroles



ce matin de belle humeur 

elle se sentait plus légère que le monde 


où était l’erreur 


le monde n’avait pas changé 


pourquoi cette joie inattendue 

et quand 

se dissipera-t-elle 


?





nous parlons 

de choses toutes proches

si difficiles maintenant à imaginer

tant le temps fou

les ont profondément 

enfouies