jeudi, octobre 01, 2020






Nous habitons une époque, hélas ! 

obscurément avertie qu’elle n’a point d’avenir, où les initiatives les plus osées se risquent… jusqu’à refaire ce qui a déjà été fait, à répéter ce qui a déjà été dit dans un temps antérieur, et où ce qu’on appelle l’avant-garde est une héroïque phalange de jeunes audacieux que le courage et l’amour du scandale excitent jusqu’à recommencer des gestes qui n’étaient déjà plus, pour les académiciens d’aujourd’hui, le sujet du moindre étonnement.






































Disons-le, parce qu’il faut le dire : nous vivons une époque bègue d’esprit, où la rérépépétitition tient la place éminente. Vous me direz, mon cher lecteur, que la routine confère aux choses un fondement sérieux. N’en croyez rien, et souvenez-vous de l’école où tant de balivernes qu’il a fallu désapprendre nous ont été rérépétées et cubiquement assurées avec la méthode de l’enfoncez-vous bien ça dans la tête. Mais les têtes n’en étaient pas plus claires ni les cœurs plus profonds, nous le savons et constatons tous les jours, ne serait-ce qu’à voir se façonner sous nos yeux notre Histoire qui est assurément de toutes les histoires humaines, la plus absurdement non-humaine, celle où assurément la sagesse fait le plus totalement défaut.


Légèreté et ignorance sont nos vertus cardinales, que vient couronner de son auréole éblouissante l’Imposture sacro-sainte et qui rallie tous les suffrages des regards si unanimement tournés vers les ténèbres extérieures que le moindre éclat d’une quelconque flammèche, le plus fumeux lumignon y sont aussitôt pris pour le plus incandescent soleil qui ait jamais voyagé par les immenses étendues de l’éternité. Armel Guerne Fragments 1961-1980





***



liminaire

un léger sifflement du vent

dans les feuilles des arbres

dans le blanc invisible du jour

un instant tout est interminable 


avancer sans savoir où 
silencieux s’élançant timide ou hésitant 
tuer le temps penaud à petits pas maladroit 
jambes et bras liés et serrés contre le corps engoncé 
évincé dans des vêtements trop étriqués 
souffrant du froid sec froissé 
qui serre étreint 
le tissu raide


ride et sourire à la trace 
bouche muette 
le silence à l’intérieur 
la commissure à peine désirable bat la mesure 
sans déborder outre.


sensation d’enfermement 
perdu en soi 
instable souffle blanc 
comme 
un léger sifflement du vent 
dans les feuilles des arbres 
la main qui glisse sur la feuille 
l’insupportable étirement 
à double tour étirée


cette pression insensée 
sans savoir où fermé 
dans le blanc invisible du jour 
l’âpreté des sens dans l’attente insupportable 
de ce qui ne vient pas 
ne viendra jamais 
qui fait défaut sans savoir pourquoi


avancer malgré tout 
pour combler ce vide en soi 
cet appel d’air étrange 
sans éviter le pire 
du jamais vu


ne plus y penser
mais effacer jadis jusqu’aux souvenirs 
de la veille et les rêves aux oubliettes évacués 
se fixer ailleurs pour seul objectif 
et tenter d’y croire contre toute attente 
oui pour tout voir autrement 
décidément l’espace d’
un instant tout est interminable


tête baissée 
les yeux dans le vide 
entre deux marches 
lieu de tension absolu
regard vitreux 
tête entrée dans les épaules tendues


avancer 
sans chercher son chemin 
sans demander son reste ni question ni remords 
sans un geste penser au lendemain 
au regard des autres 
le murmure des pas autour de soi 
des mots chuchotés dans son dos 
les traces blanches qu’on devine presque jamais 
sur le bitume à peine dessinées 
inutile de les suivre 
à l’infini


la souplesse est illusion d’esquisses 
l’écoute impossible 
sortie de route avancer 
pour mieux rentrer


se fixer 

ailleurs 

pour seul objectif
























Quand nous regardons longuement le ciel immense
nos idées et notre âme se fondent 
dans la conscience de notre 
solitude









Nous nous sentons irréparablement seuls et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur

Les étoiles qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années  le ciel incompréhensible lui-même et la brume indifférents à la brièveté de l’existence humaine  lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens  accablent l’âme de leur silence  

on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans sa tombe  et la vie  nous apparaît dans son essence désespérée effrayante…

Igor pensait 
à sa grand-mère qui reposait 
au cimetière à l’ombre des cerisiers 

il la revit
couchée dans son cercueil
une pièce de cuivre sur chaque œil 

il se rappela 
qu’ensuite on avait mis 
un couvercle sur la bière et qu’on l’avait descendue 
dans la tombe 

il se souvint 
aussi du bruit sec 
des mottes sur le couvercle… 

il se représenta 
sa grand-mère dans son cercueil 
étroit et sombre  abandonnée de tous 
et sans secours

il l’imagina 
s’éveillant soudain, 
et, ne comprenant pas où 
elle était, frappant contre le couvercle
appelant à l’aide et finalement accablée d’horreur 
mourant une seconde fois

il imagina
comme s’ils étaient morts 
sa mère  le Père Christophe  la comtesse Dranitski  
Salomon 

Mais quelque effort qu’il fît pour se représenter lui-même dans une tombe obscure loin de sa maison abandonné  sans secours et mort
 
il n’y réussit pas 

il n’admettait pas 
pour lui-même la possibilité de mourir

il avait 
le sentiment qu’il ne mourrait jamais… 

Anton Tchékhov  La steppe 



*


Igor, jeune garçon de neuf ans, part avec son oncle, le marchand Ivan Kousmitchov et le père Christophe Siriiski en carriole dans la steppe. Orphelin de père, il est envoyé par sa mère au lycée de la ville voisine. Après avoir été peiné de quitter sa maison, il découvre l’immense steppe, la chaleur, la halte dans une auberge misérable tenue par des juifs, la recherche du propriétaire Varlamov qui possède des dizaines de milliers d’hectares et près de cent mille moutons, les journées passées dans le convoi avec les rouliers, l’altercation avec Dymov, les rencontres diverses, les histoires racontées par les rouliers au coin du feu, toutes plus terribles les unes que les autres, l’orage violent, l’hospitalité partout sur la route, la fièvre et l’arrivée à la ville, l’arrivée chez la connaissance de sa mère qui accepte de le prendre en pension; puis son oncle et le Père le quitte. Il est seul.


pendant le repas 

la conversation fut générale 

elle permit à Igor de comprendre 

que ses nouvelles connaissances 

en dépit des différences d’âge et de caractères 

avaient 


un point commun  




tous avaient 

un beau passé 

et 

un bien mauvais présent



















































 





Anna Fisher 

a été choisie 
comme candidate astronaute 
en janvier 
1978 























en août 
1979  

elle a complété sa période de formation et d'évaluation  
devenant ainsi admissible pour l'affectation 
en tant que spécialiste de mission 
sur les équipages de 
la navette spatiale



ses missions  

le développement 
et le test du télémanipulateur 
RMS
communément appelé 

bras robotique de la navette 

le développement 
et le test des procédures 
de la porte d'urgence de sortie 
de la soute dans l'espace 

le petit véhicule extra-spatial  

les procédures de réparation d'urgence  

la vérification du logiciel de vol au SAIL  

à ce titre elle a examiné les exigences et les procédures de remontée test en orbite et la vérification du logiciel RMS  et a servi dans l'équipe évaluatrice pour les essais de vérification et de développement des missions à

STS-2
STS-3 
STS-4


elle finira par voler à la fin de 1984
dans la mission STS-51-A 
à bord de Discovery 

la mission était de déployer deux satellites 
et d'en récupérer deux autres



J’avais pris l’habitude de dire 

l’ombre

et de dire 

la lumière 

sans savoir au juste de quoi je parlais


 


Ici 

maintenant 

j’éprouve 

la lumière et l’obscurité

























collage

l’
ombre 
d’

un cep 




























le 
délié 
d’

une lettre


la fleur de givre sur le carreau 

une cicatrice inversée 

une morsure éteinte 

l’ouverture et le fermoir 

l’aube d’hiver et la nuit d’été 

la senteur du genêt sur le tumulus  

une phrase à l’infini

reprise 
biffée 
répudiée 
écrite…

la vigne  claire le raisin lourd

des papillons blancs

de la foudre


un sol d’humus et de feuilles

une humide contre une sèche

une rose contre un caillou

un feu de branches déjà vertes


*


si 
le petit vent n’est pas entièrement avalé 
par les cigales


un peu de fraîcheur 
arrivera peut-être jusqu’au vieillard 




il y avait 

ce qui se taisait

plutôt que ce qui se disait 


entre 

les arbres et la maison 

et entre 


la maison

les hêtres et le vieux tilleul 


une continuité mystérieuse 

taciturne


 

ce que je dis est bizarre

si j’éprouve 

de la joie à lire des poèmes 

c’est uniquement

parce qu’ils me permettent de m’oublier


quand 
je reviens à moi

je 
ne suis 
qu’

un être vivant

un homme incorrigible




être conduit par la langue à de la langue 

plus 
on s’y abandonne

plus 
la langue est cette nef

plus 
c’est elle qui conduit