Quand nous regardons longuement le ciel immense
nos idées et notre âme se fondent
dans la conscience de notre
solitude
Nous nous sentons irréparablement seuls et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur
Les étoiles qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années le ciel incompréhensible lui-même et la brume indifférents à la brièveté de l’existence humaine lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens accablent l’âme de leur silence
on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans sa tombe et la vie nous apparaît dans son essence désespérée effrayante…
Igor pensait
à sa grand-mère qui reposait
au cimetière à l’ombre des cerisiers
il la revit
couchée dans son cercueil
une pièce de cuivre sur chaque œil
il se rappela
qu’ensuite on avait mis
un couvercle sur la bière et qu’on l’avait descendue
dans la tombe
il se souvint
aussi du bruit sec
des mottes sur le couvercle…
il se représenta
sa grand-mère dans son cercueil
étroit et sombre abandonnée de tous
et sans secours
il l’imagina
s’éveillant soudain,
et, ne comprenant pas où
elle était, frappant contre le couvercle
appelant à l’aide et finalement accablée d’horreur
mourant une seconde fois
il imagina
comme s’ils étaient morts
sa mère le Père Christophe la comtesse Dranitski
Salomon
Mais quelque effort qu’il fît pour se représenter lui-même dans une tombe obscure loin de sa maison abandonné sans secours et mort
il n’y réussit pas
il n’admettait pas
pour lui-même la possibilité de mourir
il avait
le sentiment qu’il ne mourrait jamais…
Anton Tchékhov La steppe
*
Igor, jeune garçon de neuf ans, part avec son oncle, le marchand Ivan Kousmitchov et le père Christophe Siriiski en carriole dans la steppe. Orphelin de père, il est envoyé par sa mère au lycée de la ville voisine. Après avoir été peiné de quitter sa maison, il découvre l’immense steppe, la chaleur, la halte dans une auberge misérable tenue par des juifs, la recherche du propriétaire Varlamov qui possède des dizaines de milliers d’hectares et près de cent mille moutons, les journées passées dans le convoi avec les rouliers, l’altercation avec Dymov, les rencontres diverses, les histoires racontées par les rouliers au coin du feu, toutes plus terribles les unes que les autres, l’orage violent, l’hospitalité partout sur la route, la fièvre et l’arrivée à la ville, l’arrivée chez la connaissance de sa mère qui accepte de le prendre en pension; puis son oncle et le Père le quitte. Il est seul.
pendant le repas
la conversation fut générale
elle permit à Igor de comprendre
que ses nouvelles connaissances
en dépit des différences d’âge et de caractères
avaient
un point commun
tous avaient
un beau passé
et
un bien mauvais présent
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