lundi, juillet 20, 2020








En 1993 
je me souviens 
avoir senti physiquement, 
de façon progressive mais physiquement, 
ma pensée s’émanciper de la faculté 
de juger. 

Noein 
se disjoignait de 
krinein. 





D’étranges muscles s’assouplirent. 

Je vis soudain clairement la Urteilskraft en action : 
en train de mener toutes ses guerres, 
guerres d’intégration, 
conflits d’honneur, 
guerre morale, 
guerre de religion, 
guerre de goût, 
guerre de classe 

(guerre faite précisément au nom d’
un goût précisément dit “de classe”, 
classicus, 
classique).

Le jugement, 
fait d’opinions, 
est communautaire, 
c’est-à-dire linguistique, 
dialogique, 
fratricide. 

Le jugement est vigilance.



Attention : “Attention !”.



Il sépare, 
discrimine, 
hiérarchise, 
montre du doigt, 
exclut, 
tourne le pouce. 

C’est cette modalité de la pensée collective 
(judicare, krinein) 
que je me résolus finalement à quitter. 

C’était le printemps. 

C’était le mois d’avril. 

Je traversais le pont qui mène au Louvre 
à rebours gagnant la rue 
de Beaune. 

Je privilégiais soudain la pensée 
au sens plus ancien, 
plus radical, 
plus originaire, 
de noèsis. 

Pensée qui cherche la trace. 

Qui suit à la trace la proie qu’elle ignore 
et dont son flair est si curieux 
dans l’invisible. 

Veillance 
infiniment souple qui rêve son désir. 

Noein est ce museau qui re-cherche, 
individuellement, 
de vestige en indice. 

Yeux fermés. 

Étrange attention inattentive qui va jusqu’à franchir la limite de la contemplation elle-même dans l’extase 

(c’est le théorétique chez Aristote, 
c’est l’extatique chez Loggin le Rhéteur, 
c’est la nuit de l’âme chez Jean de La Croix). 

Je quittais la lecture consciente, 
appliquée, 
jugeante pour la lecture inconsciente, 
œuvrante, 
voyageante. 

Un autre mode de vie 
se cherchait dans l’habitude jusque là orientée 
et monotone des jours. 

Je poussais la porte du bureau 
de mon ami Antoine Gallimard et lui disais adieu. 

Je prévins trois amis par téléphone. 

Aussitôt 
l’Agence France-Presse distribua la nouvelle 
et on ne me vit plus





















































traducteur cleptomane 

mon ami


un dormeur

c’est quelqu’un qui comprend toujours 
et toujours pardonne 

un dormeur 

ne peut jamais être 

un ennemi


dès qu’
un homme s’endort

il tourne le dos à la vie
à toute haine
toute méchanceté cesse d’exister pour lui
comme pour 

un mort 





les Français disent que 
partir c’est mourir 

un peu


je 

ne 
l’ai jamais cru 
car 

j’aime voyager

et 
chaque fois 
que 

je 
prends le train 
je me sens revivre



mais dormir 
oui 
dormir
c’est mourir un peu
et même plus qu’un peu
c’est mourir beaucoup 
c’est quitter la vie 
celle-ci 
en fin de compte
n’étant rien d’autre que la conscience
c’est
pour 
un peu de temps
mourir totalement 





c’est ainsi
l’homme qui dort 
met bats les armes
rengaine sa volonté 
à la pointe acérée et malfaisante 
et se comporte envers nous
avec l’indifférence
en effet
de celui qui 
depuis longtemps 
est entré en décomposition



qui 
demanderait 
sur notre terre 

une plus grande bienveillance 

?




pour moi
j’ai toujours exigé le respect 
à l’égard des dormeurs et jamais 
je n’ai permis 
qu’en ma présence 
on les insulte



des 
dormeurs
ou dites du bien ou ne dites 
rien



à franchement parler
je ne comprends même pas pourquoi
de temps en temps 
nous n’irions pas fêter également 
les dormeurs 
déposer sur leur lit 
non pas des couronnes 
mais au moins 

une fleur

pourquoi nous n’irions pas 
eux sitôt endormis
organiser 

un repas de funérailles

un tout petit

rien que 
pour nous réjouir
nous délivrés alors
pour quelques heures 
de leur société trop souvent pesante
trop souvent ennuyeuse 
et pourquoi
à leur réveil
nous ne pourrions pas faire retentir 
de burlesques trompettes d’enfants 
saluant par cette fanfare 
leur résurrection quotidienne. 

c’est 
pour le moins 
ce qu’ils mériteraient








































quelles sont les probabilités 

pour
qu'

un triangle équilatéral

regroupant 
sur chacun de ses côtés

le mètre et la coudée réunis

nous procure

9 fois

la hauteur de la Grande Pyramide

dont l'origine est 

céleste

?





il y a 

9 chiffres

base de la composition 
pour l'ensemble des nombres

et 

9 dieux 

président 
à la Genèse de l'
Egypte 



l'ennéade 
































par dire 

comment les choses

comment les étendues

se craquellent 
sur des profondeurs pleines et pourtant
affolantes et vides 

comment les mots

horizontaux

s'enfoncent 
au gré de leur course
dans le marais vertical et mouvant
des mots


par dire









en 
aller-retour de haut en bas
sur

un échafaudage




bricolé
en spirale et branlant 
à perte de vue

avec congélations et décongélations 





































le mouvement général 

est celui 

de la bifurcation afin 

de produire 

une dissonance

et 

de s’enfoncer dedans



chaque texte 

bloc et ou fragment 

est 

un agrégateur 












il récolte

récole

recolle

attire et suture la langue 

dans 

une forme fragile et vacillante






elle émet 
des signaux
détachés de toute certitude

chaque 
page ressemble 

un journal de phrases

amas de fragments épars 

la question est celle de l’effet 


quels effets 

produisent ces segments 

segments de sens et 

trous de sens dans la circulation 

des signifiants



une agrégation de trous de sens

des formes qui accumulent 

une incertitude

ce que 
les expériences 
contemporaines peuvent faire 
au langage  

une déliaison logique 

une pratique 

de
la parataxe déployant 

un paysage linguistique 
de l’absence de 
repères




un parfum et une odeur d’éternité 

une odeur de vin doré

bruni et divinement rosé 

de vieux bonheur

un bonheur enivré de mourir

un bonheur de minuit qui chante  

le monde est profond 




ET PLUS 
PROFOND QUE NE PENSAIT 
LE JOUR 

!





































le vocabulaire est conçu 
d’après les données de l’espace 
à trois dimensions





la vision 
de la quatrième dimension 
nous découvre des horizons absolument 
nouveaux




elle complète 
notre compréhension du monde 












elle 
permet 
de réaliser la synthèse 
définitive de nos connaissances 

elle 
les justifie toutes

même 
lorsqu’elles paraissent contradictoires
et l’on comprend que ce soit 
là 

une idée totale 
que des expressions partielles ne sauraient 
contenir

du fait 
que l’on énonce 

une idée 
au moyen de mots en usage 
on la limite par là même au préjugé de l’espace 
à trois dimensions







si 
nous savons que les trois dimensions 
géométriques 

largeur hauteur et profondeur 

peuvent 
toujours être contenues 
dans 

une idée 

ces trois dimensions
par contre

ne peuvent 
jamais suffire 
à construire intégralement 

une qualité

que ce soit 

une courbe dans l’espace

ou 

un raisonnement de l’esprit




et 
de cette différence 
non mesurable par des quantités 
que faute de mieux nous appelons quatrième dimension 
de cette différence 

entre 
le contenant et le contenu 

entre 
l’idée et la matière

entre 
l’art et la science




ni
les chiffres

ni
les mots

construits
à trois dimensions

ne peuvent rendre compte


voyage au pays de la quatrième dimension

































PHILIPPE RAHMY

PROPOSITIONS
DÉMOCRATIQUES
DEMOCRATIC
PROPOSALS
PROPUESTAS
DEMOCRÁTICAS
VORSCHLÄGE
FÜR DIE DEMOKRATIE



Texte introductif



Fin programmée de l’ordre néo-libéral, 
je signale l’informatique, 
puissance effective au bénéfice de tous, 
comme outil d’émancipation, 







et les informaticiens, 
architectes 
des infrastructures financières et industrielles, 
et de l’écosystème social 
en toutes ses catégories, 
en tant que nouvelle classe sociale. 




Comme l’ont été le prolétariat et la bourgeoisie, 

les informaticiens, dont le groupe se distingue de la profession homonyme, incluant mathématiciens, médiamaticiens, maîtres d’ouvrage, physiciens, codeurs, ingénieurs, techniciens, administrateurs, développeurs, modeleurs, rédacteurs, intégrateurs, ouvriers de production et de maintenance, usagers des outils et réseaux informatiques assurant aujourd’hui la pérennité et, demain, la chute du système néo-libéral, chacun selon son savoir et ses capacités d’action, répondent à la définition de classe sociale, malgré l’hétérogénéité idéologique, générique et fonctionnelle de cette classe, reflet du monde contemporain en ses porosités. 

Comme le prolétariat et la bourgeoisie hier, 

ils y répondent parce qu’ils rassemblent le seul groupe humain assez large et fort pour renverser le pouvoir en place et pour porter la prochaine révolution.  

Outrepassant la technique dont cette nouvelle classe se servira pour parvenir à ses fins libératrices, une telle révolution implique un idéal de justice, orientant les moyens informatiques, à défaut de quoi les informaticiens demeureront les idiots utiles du pouvoir.  

Pour la première fois dans l’Histoire, grâce à des outils informatiques favorables aux pauvres et contraignants pour les riches, conçus selon une compréhension égalitaire de l’accès au capital, au sens large, dont personne, ni les États, ni les banques, ni les marchés, ne pourront davantage se passer demain qu’ils ne s’en passent aujourd’hui pour accaparer les richesses naturelles et produites et tirer profit de la spéculation, les acteurs actuels du néo-libéralisme œuvreront au bien commun, redistribuant, malgré eux, une large part de cette immense fortune au développement constant de l’humanité. 

Les riches seront toujours aussi riches, 
mais ils travailleront à éradiquer la pauvreté. 

Les termes et les modalités d’une telle redistribution seront définis et gérés par 

un Code numérique de l’égalité, 
régissant les flux financiers, mais aussi la juste répartition des ressources, des savoirs et des chances, à l’échelle planétaire. 

Ce code couronnera les textes de loi, décrets et déclarations existants, hérités des précédentes révolutions et réformes. 

Sa portée sera universelle. 

Il signera l’abolition des frontières, la fin des nations, l’avènement de la société humaine.






































l’herbe fraîchement coupée 
et l’heure de la sieste 
qui arrive



il fait 
un jour à tenir 
le paysage 
debout


s’effacer 

dans 
le mouvement de 
l’arbre



un mot
ne peut sauver les heures 
qui passent





il y a 
juste 

une différence 
de point de 
vue





il y a 
les visages 
de l’enfance ouverts comme 
des paysages

le regard immobile 
ne change pas dans l’ombre



l’
immensité du vide 
comme la colère 
d’

une foule invisible



elle ouvre 
avec ses mots et ses gestes 
tant de chemins

vers
le vide
vers la clarté
pour atteindre la plénitude



certains souvenirs 
ne se délitent pas avec le temps

le temps 
n’est
pas 

une destination



nous sommes 

là 
et nous ne pouvons qu’être 




je 
ne remplace jamais 
les ciels



déplacement 

lent

contradictoire

avec fissures et tensions





retrouver 
les visages et les êtres disparus

elle laisse 
les ombres la traverser traverser 
ses rêves

tu 
marches 
dans la ville 

un peu comme un intrus



les chemins 

s’entrecroisent où s’entremêlent 

formes et êtres

vagues et forêts

oiseaux et fleurs

images et souvenirs




le long trottoir
d’asphalte et de poussière



dans

le bruissement du vent

dans

les arbres
et les murmures
des statues




le jour
enflé de fatigue cherche nos failles


la lumière caresse l’incertitude
quand glissent les
couleurs

c’est
à l’intérieur que
ça souffle


les oiseaux 

dans
le pâle
espace du soir

leur paraphe secret qui signe notre monde


une lumière 
qui incise à jamais ton regard



dans le ciel
ce qui bouge n’avance pas
tremble plutôt ou tourne et vibre





la lumière
est toute pénétrée d’ombre




comme
dans 

un train

le paysage

si 

tu changes de place

tout fuit en avant





j’ai tendance à accumuler





ces instants 

dont je ne saurais dire la durée 
parce que tout sentiment de durée s’abolit




une simultanéité 

de
tous 
les points
des harmoniques




une concentration

du temps 
dans l’instant

en 
même temps que l’instant accède 
à 

un déploiement sans précédent



aux volets 

il y a 
le murmure de la rue inondée 
de soleil

cela 
m’est apparu 
comme 

un choc







avec 
liminaire

Promenade photographique entre le tronçon de la Petite Ceinture au niveau de La Gare salle de concerts jazz située au n°1 de l’Avenue Corentin Cariou Paris 19ème  et le Parc de la Villette Les jardins Passagers jardin partagé exposition photographique d’Adeline Care dans Le Jardin des miroirs création de Bernard Tschumi dans le cadre de Plaine d’Artistes

ici



































ceux qui attendent un coup de fil

ceux qui attendent d’être chassés

ceux qui ne peuvent pas dormir

celui qui s’approche en silence

celle qui s’arrêtera pour toujours









































il 
émanait 
de lui 

une sollicitude 

qui 
saisissait 
d’

un mystérieux respect 

















on
entre seul chez
ceux qui furent

aucun cortège n’entre
avec

celui qui est mort
dans le monde des morts

qui 
n’est 
pas 

un monde



la 
lamentation 
funèbre 

qui 
le pleure n’est même 
plus 

un bruit 
pour ses oreilles

celui-là 
qui jadis partit 
était aussi seul à quitter 
la lumière 

que celui qui 
déjà s’apprête à s’en aller
suffoquant à mourir dans le jour qu’il découvre




il
faut
dire de la mort

port terrible
où on s’embarque seul

sur ce qui
sombre

pour ce qui
sombre
































appeler Biographie 


un ouvrage 

qui pourtant ne relate rien 

de ma vie d’homme comme telle

où il est seulement question d’écrire

c’
est affirmer 
qu’

une certaine vie 

n’est 

ni antérieure

ni extérieure à écrire







qu’on ne saurait donc connaître cette vie-là 

autrement qu’en 

écrivant



Biographie 
n’est donc pas 

un pur contenu 

même ce mot

surtout ce mot

n’a tout son pouvoir qu’en liaison concrète 

avec ce qu’il implique 

la vie économique 

de l’entreprise littéraire


je crois 

que toute consommation passive 

de l’ouvrage que j’écris est impossible 


j’ose espérer 

que sa lecture  loin d’assouvir l’appétit 

éveille le désir d’écrire et 

à la limite


j’aimerais 

que cet ouvrage soit seulement scriptible

tel donc que seul 

un scripteur 

du moins virtuel

puisse en faire la lecture