jeudi, décembre 11, 2008

Rien sous le ciel n'est plus souple

et faible que l'eau.
Pourtant sa grandeur dépasse toute mesure
et sa profondeur est insondable ;
elle s'étend jusqu'à l'infini,
et se perd au loin dans l'illimité.
Qu'elle s'accroisse ou s'épuise, augmente ou diminue,
elle participe de ce qui est incommensurable.
S'élevant dans le ciel, elle devient pluie et rosée
et, retombant, elle humecte et arrose la terre.
Sans elle les dix mille êtres ne naîtraient pas
et les cent affaires ne seraient pas complétées.

Enveloppant largement la multitude des êtres,
elle est dépourvue de toute préférence.
Ses bienfaits s'étendent jusqu'aux insectes et aux vers,
mais elle n'attend aucune récompense.
Elle comble les cent noms de sa vertu sans être prodigue.
Tantôt son flot se gonfle sans limites,
tantôt elle est si ténue qu'elle devient insaisissable.
La roue -t-on de coups, elle ne porte aucune meurtrissure ;
la fouette-t-on, elle ne subit aucune blessure ;
la coupe-t-on, elle n'est pas sectionnée ;
la soumet-on au feu, elle ne se consume pas.

Douce et accommodante, elle coule en épousant les contours
et se ramifie en un réseau enchevêtré sans pour autant se disperser.
Sa finesse pénètre la pierre et le métal
et sa force porte le monde.
Elle se meut dans le territoire du sans-forme
et s'élève en spirale au-delà de l'indistinct.
Tantôt elle serpente dans les vallées,
tantôt elle déferle dans la plaine inculte des grands confins.
Selon sa surabondance ou son insuffisance,
elle emprunte et redonne au ciel et à la terre.

°

Huainan zi, du "Dao" originel, bibliothèque de la Pléiade

L.A. photographies ; l' éventail, Nov. 2008

Adresse aux vivants

" L'idée et le sentiment de crise dominent aujourd'hui les préoccupations de tous . Bien que le caractère de cette crise demeure confus, il apparaît de plus en plus nettement qu'elle n'affecte pas seulement l'économie planétaire, mais qu'elle modifie aussi la structure traditionnelle des sociétés, porte un coup sévère aux idéologies politiques, dévalorise les vertus patriarcales, ridiculise les diverses formes d'autorité. Le monde essoufflé par une progressive usure attendait une révolution, c'est une mutation qui s'annonce. Et sur les ruines encombrantes du travail, de l'argent, du crédit politique, de l'autorité, d'autres valeurs se font jour, qui annoncent une humanisation de la nature en général et de la nature humaine en particulier, laissant entrevoir la fin d'une ère et les prémices d'un nouveau style de vie. L' adresse aux vivants précise la frontière sur laquelle s'affrontent désormais une civilisation naissante. "
°
Raoul Vaneigem
Adresse aux vivants
sur la mort qui les gouverne
et l'opportunité de s'en défaire
SEGHERS
°
Né en 1934, Raoul Vaneigem a participé aux activités de l'internationale situationniste. Il est notamment l'auteur du traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations (1967), du livre des plaisirs (1979) et de l'ère des créateurs (2002), où se poursuit une réflexion qu'on peut lire comme une critique anticipée de la mondialisation.
°
Tout proche
Et difficile à saisir, le Dieu !
Mais aux lieux du péril croît
Aussi ce qui sauve.
,
Hölderlin
Patmos

" Prime de Noël "

Cet intéressant document de notre lumineuse
Christine Lagarde,
ministre de l'économie de l'industrie et de l'emploi.
Objet : prime exceptionnelle de solidarité
°
Sur le très musical et harmonieux blog
de Didier Da Silva, les idées heureuses
°
En moins d'une décennie, les noces de l'affairisme et de l'initiative individuelle n'ont laissé dans la corbeille que la crise boursière, le chômage, la dévaluation et la faillite industrielle ; modèle peu encourageant pour des écoliers qu'une politique pédagogique projetait déjà d'enrôler dans la grande armée de l'économie renaissante.
Raoul Vaneigem

La fenêtre est ouverte


et c'est l'instant où la nuit touche le jour sur une tête d'épingle. Soudain, le temps n'a plus d'importance et se dissout dans une belle lumière blanche. C'est l'éveil, on est arrivé tout au bout du temps. Le monde s'ouvre dans un poudroiement de détails, vent frais, camélias dans les jardins en contrebas, stylo sur le bureau. Dans le silence de Kichi-jôchi, deux cyclistes filent à vive allure dans la petite rue devant chez moi. Les roues glissent sur le long ruban noir de la route et quelques mots s'échappent de ces deux silhouettes qui s'enfuient. Plus tard, c'est un rire de femme. Et maintenant, le premier rayon de soleil s'est posé sur le coin de la table : il y a un moment ainsi où tout coïncide, rythme, souffle, poignet... Blanc sur blanc, la lumière du matin sur le bord de la page.