GIDEON LEVY
Journaliste et éditorialiste au quotidien israélien
Haaretz
Israël ne commet pas une Shoah contre le peuple palestinien
pourtant ces 19 derniers mois il s’en est rapproché à une vitesse effrayante.
cela doit être dit et avec encore plus d’insistance aujourd’hui
comme chaque année je me tiendrai au garde-à-vous lorsque la sirène retentira et mes pensées erreront
elles passeront du souvenir de mes grands-parents Sophie et Hugo dont j’ai vu les noms gravés sur le mur commémoratif du vieux cimetière juif de Prague aux images de Gaza qui ne me quitteront plus
depuis mon enfance j’ai toujours imaginé un grand incendie consumant tout pendant la sirène
avant la guerre à Gaza j’imaginais des juifs y brûler
cette année je reverrai aussi les bébés brûlés vifs la semaine dernière dans leur tente servant d’abri à Khan Younès et avec eux les milliers d’enfants de femmes et d’hommes qu’Israël a tués sans pitié
L’EXÉCUTION DE QUINZE SECOURISTES PALESTINIENS
comment peut-on rester au garde-à-vous aujourd’hui sans penser à l’horrible enquête de Yaniv Kubovich sur l’exécution de 15 secouristes palestiniens par des soldats israéliens, qui les ont abattus de sang-froid avant de détruire leurs ambulances et d’enterrer leurs corps dans le sable
sans penser à l’habitant de Sinjil, en Cisjordanie, dont les maisons ont été incendiées par des colons, après quoi des soldats sont venus lui lancer des gaz lacrymogènes jusqu’à ce qu’il succombe à une crise cardiaque, comme l’a rapporté Hagar Shezaf mercredi 22 avril
sans penser à la communauté pastorale d’Umm al-Khair dans les collines au sud d’Hébron et aux pogroms incessants que ces paisibles habitants subissent de la part de l’armée et des colons qui ont uni leurs forces pour les expulser de leurs terres
comment ne pas penser à l’article courageux et choquant de la chercheuse Orit Kamir Haaretz, version hébraïque 22 avril sur les Israéliens qui restent indifférents face à cette guerre ce qui selon elle invalide leur droit de se plaindre des Allemands qui ont agi de la même manière et être d’accord avec chaque mot qu’elle a écrit
ou à l’article non moins choquant de l’historien de la Shoah Daniel Blatman sur les enfants de Gaza et les enfants de l’Holocauste Haaretz version hébraïque, 23 avril
il écrit que le jour où les combats ont repris à Gaza restera gravé comme une infamie dans l’histoire des juifs
on ne peut qu’espérer que ce sera bien le cas
Blatman écrit
j’étudie l’Holocauste depuis 40 ans. J’ai lu d’innombrables témoignages sur le pire de tous les génocides perpétrés contre le peuple juif et d’autres victimes
cependant la réalité celle des récits de massacres commis par l’État juif par leur ressemblance effrayante me rappelle les témoignages des archives de Yad Vashem cette réalité était impensable même dans mes pires cauchemars
il ne s’agit pas là d’une comparaison avec l’Holocauste mais d’un terrible avertissement quant à la direction que prennent les événements
ne pas y penser aujourd’hui revient à trahir la mémoire de la Shoah et de ses victimes
ne pas penser à Gaza aujourd’hui revient à renoncer à sa propre humanité et à profaner la mémoire de l’Holocauste
c’est un signal d’alarme quant à ce qui est à venir
en Israël on a tendance à prétendre que le 7 octobre est la pire catastrophe qui ait frappé le peuple juif depuis la Shoah.
il s’agit bien sûr d’une comparaison perverse qui dévalorise la mémoire de la Shoah.
il n’y a aucune similitude entre l’attentat meurtrier et unique du 7 octobre et la Shoah
mais ce qui a suivi évoque bel et bien son souvenir
il n’y a pas d’Auschwitz ni de Treblinka à Gaza mais il y a des camps de concentration
il y a aussi la famine la soif le déplacement des personnes d’un endroit à l’autre comme du bétail et un blocus sur les médicaments
C’EST UN BAIN DE SANG PAS UN COMBAT
ce n’est pas encore la Shoah mais l’un de ses éléments fondateurs est en place depuis longtemps la déshumanisation des victimes qui s’était installée chez les nazis frappe désormais de plein fouet en Israël
depuis la reprise de la guerre le 23 mars 2025 1 600 Palestiniens ont été tués à Gaza
c’est un bain de sang pas un combat.
il se déroule non loin de chez nous perpétré par les meilleurs de nos fils
il advient dans le silence et l’indifférence nauséabonde de la plupart des Israéliens
Ariel Rubinstein économiste et lauréat du Prix Israël a publié un article profond et inspirant [dans Haaretz en version hébraïque le 22 avril dans lequel il explique pourquoi il ne se tiendra pas au garde-à-vous cette année pour la minute de commémoration
moi je me tiendrai debout et je penserai à mes grands-parents mais surtout à Gaza
GIDEON LEVY
Journaliste et éditorialiste au quotidien israélien
Haaretz
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