lundi, mai 27, 2024






Ralph Rumney

il y avait des rites de passage pour être accepté dans des cafés comme chez Moineau  Tu devais savoir ce que Lautréamont Rimbaud Nietzsche ou Hegel pensaient de telle chose et si tu ne le savais pas on t’envoyait balader ou du moins on te prenait pour un moins-que-rien





























fondateur du magazine underground anglais Other Voices six pages grand format chaque semaine typographie originale distribution à la main ami de Guy Debord et des lettristes cofondateur de l’Internationale situationniste dont il est exclu en 1958 époux de Pegeen la fille de la milliardaire et collectionneuse d’art Peggy Guggenheim Ralph Rumney 1934–2002 est un type épatant

Other Voices édito de mars 1955  

ce journal n’est pas un jardin littéraire C’est une cocotte-minute Nous ne cherchons pas à devenir célèbres Ni n’essayons de réformer le monde Nous essayons d’affirmer les droits de l’artiste à être civilisé Nous sommes en guerre contre la mentalité de la classe moyenne Ceci est le combat perpétuel de l’artiste   Si vous lâchez la bombe vous trouverez des eunuques dans vos lits La putain de Babylone était une vierge mouillée

Peintre grand lecteur Hegel Sade Sappho Martial Marx ami des plus subversifs Debord Duchamp Ernst Bataille Burroughs Asger Jorn Ralph Rumney aura conduit sa vie avec l’élégance d’un équilibriste faisant de la recherche de la liberté libre l’axe majeur de son existence


Membre unique du Comité psychogéographique de Londres pacifiste convaincu Ralph Rumney eut l’ambition de faire de sa vie une œuvre d’art

Arrivé sans un sou en poche à Paris accepté tant bien que mal par la troupe des buveurs du Café Moineau Vali Dufrêne Guilbert Rumney y rencontre Debord magnétique tranchant intellectuellement brillant

Les rencontres s’enchaînent   Malraux Klossowski Cage stravinsky Cocteau Burroughs Klein Wolman Baj Duchamp Brauner Filiou

Arrive le moment de l’exploration psychogéographique de Venise 

L’idée consistait à déspectaculariser Venise en suggérant des parcours inédits La psychogéographie se préoccupe du rapport entre les quartiers et des états d’âme qu’ils provoquent Venise comme Amsterdam et le Paris d’antan se prête à plusieurs possibilités de dépaysement


Ayant le goût du roman-photo une autre narration les codes de la culture populaire et des détournements Rumney et ses amis font de Paris centre historique du pouvoir littéraire l’objet de leurs provocations. : 

J’étais d’accord avec tout le monde sur la manière d’appréhender les derniers surréalistes et autres dadaïstes qui traînaient dans le quartier  C’était un cadavre exquis qui commençait à sentir mauvais Quand on voyait Tristan Tzara sortir des Deux Magots avec son chapeau ridicule sur la tête on lui courait après et on lui rabattait le chapeau sur les yeux

La dérive 
lire les polars de Léo Malet 
devient un mode de vie à la limite de la clochardisation

Passage de café en café
la rue
la vie comme une aventure permanente 
et des tentatives d’évasion








Souvent dans la vie j’ai ressenti le besoin de prendre mes distances  Quelques années plus tard j’ai découvert l’île de Linosa difficilement accessible à cause des fréquentes grèves du ferry et du mauvais temps Linosa se trouve au sud de la Sicile pratiquement dans le golfe de Syrte  J’y ai fait plusieurs retraites d’un an ou deux au cours de ma vie Je m’y trouvais très bien parmi les quatre cents habitants régulièrement coupés du monde pour de longues périodes

Pas d’électricité ni de téléphone mais le travail peinture l’alcool l’amitié des habitants et des visites quelquefois

Dans les années 1960 le voici à la clinique de La Borde invité par Félix Guattari à donner des cours de peinture aux pensionnaires dans une serre désaffectée

A l’époque, j’avais une 2 CV avec laquelle j’allais à la clinique Un jour je l’ai laissée là-bas quelques semaines pare que j’étais retourné à Paris avec Félix Je lui avais conseillé d’acheter du matériel de soudeur à un jeune garçon dont c’était le métier avant d’entrer à la clinique Je lui ai dit qu’il pourrait faire des sculptures Quand je suis allé récupérer ma voiture à la clinique elle n’y était plus Le jeune gars l’avait découpée en morceaux pour en faire une sculpture ce que je trouve génial Moi j’ai beaucoup apprécié


Le vagabondage continue les rencontres les bouteilles les excès le mariage avec Michèle Bernstein première épouse de Guy Debord

Rumney meurt mais il court encore.


Ralph Rumney
Consul

entretiens avec Gérard Berréby 
en collaboration avec Giulio Minghini et Chantal Osterreicher 
avec la complicité de Danielle Orhan 
éditions Allia
2018
192 pages

































 



esquisse 
d’une théorie 
de la dérive psycho-émotionnelle

de la ville moderne 
coquille vide nous n’avons plus grand-chose 
à explorer

certains quartiers si l’on y prête attention  ce que le bruit de fond rend improbable  permettent parfois encore de remonter le courant vers le passé  ici dans cette ruelle derrière cette porte ont vécu des gens se tenait une réunion chantaient des poètes se fomentaient des plans d’évasion

cette nostalgie ne vaut pas celle du présent 



































c’est pourquoi depuis les années 80 en Europe la dérive psycho-géographique a cessé remplacée par un mouvement d’exode vers ce qui restait de campagne et de paysages naturels

la dérive psycho-émotionnelle ne dépend d’aucun paysage d’aucun urbanisme  elle ne dépend que de nous  c’est son côté stoïcien 

il ne s’agit pas et surtout pas de dériver au sens d’un délire  cela ramènerait à l’impasse de l’écriture automatique

et comme l’on pouvait être 
vaincu par Venise à la fin des années 50 

Venise a vaincu Ralph Rumney 

on se perd assez vite 
dans le labyrinthe de ses propres obscurités intérieures
 

il est encore plus évident que la dérive psycho-émotionnelle n’a rien à voir ni à faire avec une psychanalyse pas plus qu’avec un quelconque ésotérisme

de quoi s’agit-il 



fondamentalement 
de s’écarter 
intérieurement radicalement 
des habitudes 
tracées 





















eh bien 

nous voilà M. Pilgrim 

piégés 

dans l'ambre 

de ce moment 


il n’y a pas de pourquoi





















le néant noir sang a commencé à tourner


un système 

de cellules liées entre elles au sein 

de cellules liées entre elles au sein 

de cellules liées entre elles au sein 

d'un même système 


terriblement distincte dans l’obscurité 

une grande fontaine 

blanche 






the eye should learn to listen before it looks



















il y avait 

une fille qui vivait sur une île 






































les adultes 

l'ennuyaient et lui faisaient peur aussi


elle n'aimait pas 

les enfants de son âge
 

ils faisaient tous semblant d'être adultes


elle était donc toujours seule 

avec les cormoran   les mouettes  et les lapins sauvages






























elle avait découvert 

une petite plage loin de la ville 

aux eaux cristallines et au sable rose 


elle adorait cet endroit


les couleurs 

de la nature étaient 

si belles et il n'y avait aucun bruit
 




elle 

ne partirait que lorsque 

le soleil le ferait 

aussi




























 

déplacer le corps pour en 
colorer l'image


tourner et se
perdre dans le verbe




guetter l'instant


se 
porter loin 

attirer
l'attention sur l'infime






























ouvrir
une lumière à l'extrémité


faire rentrer
le jour dans la terre

s'accorder 
à son pas

glisser 
sur la neige










*



MO

infini
lumière
joie
gloire
puissance
science
félicité


OM



























 

4+5

poésie
respirer
de niveau


la vie contiguë au feu



7

souffle
entrer sortir

reprendre 
souffle

perdre 
souffle































5

sol stabilisé à ma place



4 + 4

elle retient
elle disperse

une trace légère perdure




12

la poésie se perd 
dans le sens horaire autour 
d'une poulie







8 + 8

une chose vide prend possession de son espace

parfois je suis animé par la vie révolue





6+6

la main 
sur la lumière endormie

le sang 
comme 
une manœuvre nocturne
































la part 


du oui qu'il y a 

dans le non et la part 

du non qu'il y a 

dans le oui sortent parfois 

de leur lit et s'unissent 

dans un autre lit qui n'est ni oui ni non


dans ce lit court le fleuve 

des plus vives eaux



















la poésie ramasse

un éclat 

d'horizon bleu et coupant





















la nuit dernière 

tout ce qu’elle a retenu

c’est 

un bourdonnement qui s’est enfui






















à présent 

elle étire des mots 



une fontaine

nouvelle s’écoule 

dans le vide  


le haut est léger et froid

le bas est noir et tiède 

le large s’étend 

le long s’étire 

le vaste s’ouvre

l’infini s'épanouit 


le jour est  parfumé



*



la fille 

de la recherche fondamentale est 

douée 

d'émerveillement


elle s'aventure 

dans la Vallée 

de l’Étonnement  


introduire 

une sorte 

d'Echelle 

de Jacob 

dans la philosophie 

des sciences


introduire

dans les 

degrés 

de raison qui permettent 

d'accéder aux 

différents niveaux 

de Réalité une 

dimension souvent négligée voire presque toujours absente 

dans la vision scientifique à savoir les 

degrés 

d'être les 

degrés 

de conscience et 

d'expérience intérieure





















les humains étant considérés comme des unités d’énergie dans les sociétés industrialisées ils résisteront qu’ils en soient conscients ou non Ainsi une grande partie de ce que l’on appelle aujourd’hui la dépression pourrait être comprise comme une hystérie démodée dans le sens d’un refus des formes actuelles de maîtrise et de domination Plus la société insiste sur les valeurs d’efficacité et de productivité économique plus la dépression proliférera conséquence nécessaire




































refuser 
de lier l’apparence extérieure 
à la fonction interne est primordial 
car ramené à l’étude de la philosophie 
de la vie et du langage il est essentiel d’examiner 
où réside 
le sens 

Arendt 
écrit que le philosophe 
doit quitter le monde pour penser 





























pour découvrir ce qui est réellement le philosophe doit quitter le monde des apparences dans lequel il est naturellement et originellement chez lui  comme le fit Parménide lorsqu'il fut transporté vers le haut  au-delà des portes de la nuit et du jour vers la voie divine qui s'étend  loin des sentiers battus des hommes  et comme Platon l'a fait aussi dans la parabole de la Grotte

quand 
le philosophe quitte le monde des apparences 
il disparaît en quelque sorte





lorsque 
le penseur réfléchit 
il disparaît également



























































 

les brouillards affluent et montent 

silence silence 


où est l’esprit 
se demande Arendt
lorsqu’il se retire du monde des apparences 
















il est 

Nulle part 

bien que connu de nous seulement en union inséparable avec un corps qui est chez lui dans le monde des apparences du fait d'être arrivé un jour et de savoir qu'un jour il repartira   l'ego invisible est à proprement parler 

Nulle part

selon Arendt pour penser véritablement nous devons nous éloigner du monde des apparences et nous replier sur nous-mêmes

une fois cette retraite effectuée  nous pouvons introduire dans notre esprit l’idée de la contemplation 

nous nous déplaçons dans notre esprit et hors du corps  et là  loin des autres et dans un sens loin de nous-mêmes  nous pouvons vraiment pratiquer la réflexion  

inquiétant  essais sur le silence