Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
mardi, mai 14, 2024
si le migrant se reconnaît par rapport à un univers symbolique il s’attend à ce que tous les autres aient les mêmes liens nostalgiques qu’ils éprouvent comme lui
l’intraduisible sentiment
de
saudade
sur
la haute mer
d'une éternité
une éternité
faite de chaudes larmes
se
dresse devant
moi
la réalité silencieuse
à la fois très étrangère à mon souci et
mystérieusement
accueillante
qu’est-ce qui caractérise
un texte bref
dans l’état contemplatif
toute l’énergie est focalisée sur l’objet contemplé
la conscience subjective du regardeur
devient l’objet regardé et s’offre à lui comme
une matière informée
ainsi
pour voir
il faut perdre la conscience
de voir
la beauté
de la situation te paralyse Tes observations
du monde sont à zéro ou valent zéro Tu caches
des viscères
dans ton pantalon Tout le
déroulement
de l’animal à la porte reste correct Nous n’avons aucune coupe
de cheveux L’eau fuit
une femme
traverse son jardin à l’aube en longeant les murs
de sa maison
ce que nous
devons faire s’inscrit sur le côté
du sac de surplus
Poétique du contre-monde
Dans Le champ de la plinthe, l’unité de base de la composition choisie par Dominique Quélen est un bloc de texte de cinq lignes.
Trois cent cinquante de ces blocs sont disposés par groupe de quatre par page, espacés par trois intervalles de blanc d’une taille exactement équivalente à la hauteur d’un bloc.
Ces données formelles quantitatives s’avèrent essentielles car, objectives, elles nous aident à ne pas perdre pied. Oui : perdre pied dans la langue. Pourtant, les thèmes récurrents qu’on repère dans ces textes — la forêt, le paysage, la verdure, la couleur rouge, les quantités (mètres, mètres carrés, minutes…), la neige, l’eau, la douleur… — sont autant de signifiants relevant du langage le plus courant : pas de lexique rare, ni de procédés délirants (glossolalies, néologismes, fatrasies drolatiques…), ni de syntaxe échevelée ou incohérente. Toutes les propositions énoncées respectent la grammaire la plus pure. Néanmoins l’étrangeté est partout. Le lecteur est plongé non pas dans le non-sens patent reconnu comme tel, mais dans une langue dont le sens lui échappe « de peu » : le texte est gorgé d’un sens qui glisse sans cesse entre nos doigts.
*
L’horizon redevient horizontal. Vous soufflez sur des outils pour former une ombre. Vous l’obtenez. Nous voulons mesurer puis vous mettez toute votre langue dans votre bouche qui ferme bien. Voici la pierre jetable. L’ensemble dure cinq minutes. Des promeneurs vont. Je communique de la précarité et le secret d’un délicieux animal à partir de rien.
*
La pertinence du discours (c’est-à-dire tout ce qui permet d’inférer l’intention communicative du locuteur) s’avère d’une grande fragilité et notre langue, qu’elle soit quotidienne ou poétique, est très fortement corsetée par l’obligation de rendre compte d’un référentiel partagé (extérieur ou intérieur). Certains, comme Dominique Quélen, lui rendent sa liberté.