mardi, mai 14, 2024

 


dans les corridors 
de gaze noir suivant le pas 
des promeneurs aux lanternes et aux feuilles



dans l'ombre 
des futaies mouvantes sur l'arrête 
des cultures


































sentiment 

de solitude 
de regret après la perte 
de ce qui réjouissait le cœur  

patrie maison amis ou amant


si le migrant se reconnaît par rapport à un univers symbolique il s’attend à ce que tous les autres  aient les mêmes liens nostalgiques qu’ils éprouvent comme lui 


l’intraduisible sentiment 

de 

saudade




















à côté de 
prédications sensées
et ponctuellement rassurantes 

ça veut tout dire 
la neige cesse  
ça va 
ça a lieu  
un chien traverse 

abondent 
des propositions ne signifiant rien 
de raisonnablement partagé entre 

le locuteur 
l’auteur
 
et le destinataire
le lecteur

le hiatus est majeur entre le système lexico-syntaxique toujours valide et élémentaire et la signification du discours qui nous jette dans la perplexité






























solution de continuité 
dans une chose ou entre deux choses


fente
coupure
interruption
lacune
trou
interstice
solution de continuité
faille
espace
cacophonie
césure
manque
solution





























sur

la haute mer 

d'une éternité 


une éternité

faite de chaudes larmes


se 

dresse devant 

moi 

la réalité silencieuse 

à la fois très étrangère à mon souci et 

mystérieusement

accueillante





















qu’est-ce qui caractérise

un texte bref  

une capacité 
accrue de s’ouvrir à 
une expérience spécifiquement poétique 


le poème bref est à l’abri 
de cette tentation de prendre 
du recul par rapport à l’impression immédiate 

nous sommes rapatriés 
dans ce sentiment d’unité 
que le long discours nous ferait perdre


















la vision physique 

donne lieu à 
une étendue spatiale 
qui sépare 
l’observateur et la chose observée 


dans la vision 
intellectuelle de Plotin 
cette extériorité est supprimée 
en même temps que s’estompe la conscience de soi 
 

il n’y a pas 
un point où l’on 
puisse fixer ses propres 
limites de manière à dire 

jusque là 
c’est moi




























dans l’état contemplatif

toute l’énergie est focalisée sur l’objet contemplé  

la conscience subjective du regardeur 

devient l’objet regardé et s’offre à lui comme 

une matière informée 


ainsi


pour voir

il faut perdre la conscience 

de voir


















la beauté

 

de la situation te paralyse Tes observations 

du monde sont à zéro ou valent zéro Tu caches 

des viscères 

dans ton pantalon Tout le 

déroulement 

de l’animal à la porte reste correct Nous n’avons aucune coupe 

de cheveux L’eau fuit


une femme 

traverse son jardin à l’aube en longeant les murs 

de sa maison 




















ce que nous 

devons faire s’inscrit sur le côté 

du sac de surplus




















Poétique du contre-monde

Dans Le champ de la plinthe, l’unité de base de la composition choisie par Dominique Quélen est un bloc de texte de cinq lignes. 

Trois cent cinquante de ces blocs sont disposés par groupe de quatre par page, espacés par trois intervalles de blanc d’une taille exactement équivalente à la hauteur d’un bloc. 





















Ces données formelles quantitatives s’avèrent essentielles car, objectives, elles nous aident à ne pas perdre pied. Oui : perdre pied dans la langue. Pourtant, les thèmes récurrents qu’on repère dans ces textes — la forêt, le paysage, la verdure, la couleur rouge, les quantités (mètres, mètres carrés, minutes…), la neige, l’eau, la douleur… — sont autant de signifiants relevant du langage le plus courant : pas de lexique rare, ni de procédés délirants (glossolalies, néologismes, fatrasies drolatiques…), ni de syntaxe échevelée ou incohérente. Toutes les propositions énoncées respectent la grammaire la plus pure. Néanmoins l’étrangeté est partout. Le lecteur est plongé non pas dans le non-sens patent reconnu comme tel, mais dans une langue dont le sens lui échappe « de peu » : le texte est gorgé d’un sens qui glisse sans cesse entre nos doigts.


*


L’horizon redevient horizontal. Vous soufflez sur des outils pour former une ombre. Vous l’obtenez. Nous voulons mesurer puis vous mettez toute votre langue dans votre bouche qui ferme bien. Voici la pierre jetable. L’ensemble dure cinq minutes. Des promeneurs vont. Je communique de la précarité et le secret d’un délicieux animal à partir de rien.



*


La pertinence du discours (c’est-à-dire tout ce qui permet d’inférer l’intention communicative du locuteur) s’avère d’une grande fragilité et notre langue, qu’elle soit quotidienne ou poétique, est très fortement corsetée par l’obligation de rendre compte d’un référentiel partagé (extérieur ou intérieur). Certains, comme Dominique Quélen, lui rendent sa liberté.


Le champ de la plinthe 
Dominque Quélen par Pierre Gondran dit Remoux