mardi, novembre 21, 2023


immédiatement 

à côté 

des hommes tout à fait nocturnes se trouve généralement

comme liée à eux 

une âme de lumière


celle-ci est en quelque sorte 

une ombre négative 

que jettent 

ceux-ci


une espèce d'ombre clair


















*



voici 

des torrents qui se précipitent 
de plusieurs côtés 
dans un gouffre  

leur mouvement est si impétueux et entraîne l’ œil avec tant de force que les versants de la montagne nus ou boisés ne semblent pas s’incliner mais couler dans les profondeurs


perspective à vol d’oiseau 



***


Per inania regna  

à travers les royaumes vides
il avance là où les formes se sont retirées
où les noms ne tiennent plus
où le pouvoir n’est qu’un écho sans voix
ces royaumes ne sont pas déserts par manque
mais par excès de dépouillement 
tout ce qui pesait a été laissé derrière
marcher per inania regna
ce n’est pas errer dans le néant
c’est traverser l’espace après la chute des idoles
là où rien n’impose
rien ne promet rien ne commande
le vide devient passage
l’absence devient seuil
et celui qui traverse comprend enfin
que ce n’est pas le monde qui était plein
mais son regard qui était encombré
dans ces royaumes sans substance
la pensée cesse de régner 
et commence à respirer
































I. S.  

que vous a apporté l’écriture de Drame que vous qualifiez dans Vision à New York d’ exercices spirituels  soit cette pleine immersion du sujet dans le langage et même du sujet surgissant du langage 


cette dissolution du sujet correspond-elle à la période des avant-gardes et du groupe Tel Quel que vous avez ensuite quitté désireux de vous affirmer en tant qu’autorité propre avec un moi davantage consolidé dans les romans qui suivent 

?



Ph. S.  


forcément cela correspond à une période de ma vie 

j’ai écrit Drame en 1963-1964 donc j’avais 27-28 ans 

c’est un livre auquel je tiens beaucoup 

parce que je crois que c’est là où 

je commence vraiment à dire les choses 

le Parc c’est encore un peu une aquarelle 

or là phénoménologiquement j’en suis assez content

c’est-à-dire que je m’intéresse aux choses mêmes 

et je l’ai écrit en même temps que 

j’ai écrit mon premier texte sur Dante 

il y a déjà la pensée indienne certainement 

il y a l’Inde il doit y avoir la Chine… 

et l’exergue d’Empédocle si je me souviens bien   

le sang qui baigne le cœur est pensée 

les exergues sont très importants. 

je n’ai pas mis l’auteur exprès 

pour montrer qu’il n’y a aucun nom que c’est déjà un acte 

d’appropriation pour montrer que tout cela marche ensemble 

sans que cela ait besoin même d’être classé 

c’est la définition de ce que l’on pouvait faire 

dans Paradis en mélangeant aussi les noms mais sans majuscules 

c’est-à-dire que tout cela c’est un même tissu 

tout ce qui a été écrit tout ce qui a été pensé tout ce qui a pu se dire 

c’est un unique tissu 

tout est déjà écrit ou à réécrire sans arrêt

c’est pour montrer que la vie 

ce qu’on appelle la vie en fait c’est cela 

rien d’autre 

cela aussi encore est très à contre-courant 

parce que ce n’est pas la story 

le film la bande dessinée le roman… 

donc c’est une expérience très radicale 

avec vraiment une structure la scène du jeu etc.


extrait de 

Philippe Sollers et le dépassement du roman  

entretien avec 

Irène Salas paru dans la revue L’Infini numéro 83 

Gallimard,

été 2003
















je crois 

pour ce qui me concerne 

que le Corpus est ce dont rien de meilleur

ne se peut écrire 


 


c’est tout entendu… 

personne ne remet en cause cela  

cependant il faut s’avancer davantage



















le Corpus 

est le livre qui plus on le cherche plus il se cache  Nous l’avons tous éprouvé arpentant les épars chemins qui nous ont réunis jusqu’à lui et nous lient en cet instant dans la quête que nous menons en son sein







que celui qui 

aime à se laisser entraîner et qui désirerait se voir porté vers le ciel prenne garde à ne pas devenir trop lourd  c’est-à-dire qu’il n’apprenne pas trop de choses et surtout qu’il ne se laisse pas envahir par la science   c’est cela qui rend lourd   prenez garde  






















celui 

qui sombre sans regret

toujours trompé par son secret


celui

qui s’approche un peu et s’éloigne


celui 

qui sait et ne dit pas

ce qui pèse au bout de ses lèvres




















celui 

qui n’a rien dans les bras

sinon une grande tendresse


celui 

qui cherche dans ses mots



celui-là vous savez qui c’est




mon ignorance et l’aveu 

de mon ignorance voilà le plus clair 

de mon originalité























dès le troisième jour commença à souffler 
aussitôt la nuit venue 
un vent glacial 
qui semblait annoncer la neige. …


Ignotum per ignotius 

l'obscur par le plus obscur




temps d’obscurité 

on appelle en Norvège  temps d’obscurité  
les époques où le soleil 
demeure toute la journée au-dessous 
de l’horizon 

pendant ce temps
la température s’abaisse sans cesse lentement 




ténébreux

nébuleux

sibyllin

impénétrable

confus

mystérieux

énigmatique

secret

vague

sombre

difficile

inintelligible

caché


cette obscure clarté qui tombe des étoiles















quel merveilleux symbole 
pour tous les penseurs 
devant lesquels le soleil 
de l’avenir humain s’est obscurci pour 
un temps 





lorsqu’

une idée

commence à se lever à l’horizon la température 

de l’âme y est généralement 

très froide
 

ce n’est que peu à peu que l’idée 

développe sa chaleur....

.

écliptique de l’idée

























per inania regna
ce matin 
aussitôt levé 
je retrouve cet auteur aux rudes pensées

c’est comme si 
je me débarrassais 
dans l’air vif avec 
de la neige 
de la crasse 
de mon obscurité


*


dès que la nuit commence à tomber 

notre impression 
sur 
les objets familiers se transforme




il y a 
le vent




























 
qui rôde comme par des chemins interdits 
chuchotant 
comme s’il cherchait quelque chose 
fâché de ne pas le trouver




il y a 
la lueur des lampes
 
avec ses troubles rayons rougeâtres 
sa clarté lasse
luttant à contre-cœur contre la nuit 
esclave impatiente 
de l’homme qui veille 



il y a 
la respiration du dormeur
 
son rythme inquiétant 
sur lequel 
un souci toujours renaissant semble sonner 
une mélodie ...




8

dans la nuit

LVESO







per inania regna  

dans le royaume des ombres





Le Voyageur et son ombre

Der Wanderer und sein Schatten 1880


Le Voyageur et son ombre constitue la deuxième partie de Humain, trop humain II. il appartient à la période dite des esprits libres moment de transition où Nietzsche se détache de Wagner de la métaphysique et des idéaux romantiques pour adopter une pensée plus critique psychologique et aphoristique


le voyageur symbolise l’homme en mouvement  celui qui cherche qui s’arrache aux certitudes, qui traverse les idées sans s’y fixer L’ombre représente 

  • la conscience critique

  • la mémoire

  • le doute

  • parfois la fatigue parfois la lucidité


Le livre est un dialogue intérieur entre l’élan de la pensée et ce qui la suit, la corrige ou la freine


l’ouvrage est composé de aphorismes brefs souvent ironiques parfois méditatifs

  • la morale

  • la culture

  • la religion

  • l’art

  • la psychologie humaine

  • la condition du penseur solitaire

Il ne propose pas un système mais une marche intellectuelle faite de détours et de haltes


1. La pensée comme chemin

La vérité n’est pas un but fixe mais une errance lucide
Penser c’est voyager sans garantie d’arrivée

2. Critique des illusions

Nietzsche démonte les croyances morales religieuses et culturelles non par haine mais pour libérer l’esprit de ce qui l’alourdit

3. Naissance de l’esprit libre

Le livre décrit l’apprentissage d’une pensée indépendante capable de solitude de distance et d’ironie envers elle-même.

4. Psychologie fine

Nietzsche analyse les motifs cachés derrière les valeurs humaines 

peur désir de sécurité, 

ressentiment besoin de reconnaissance


Plus calme que Ainsi parlait Zarathoustra

moins violente que Crépuscule des idoles 

  • subtile

  • élégiaque

  • parfois mélancolique

  • souvent ironique.

C’est un livre de clairvoyance douce

écrit sous le signe de la marche de la distance et de la lucidité patiente


Le Voyageur et son ombre prépare les grandes idées à venir 

  • la critique de la morale

  • le perspectivisme

  • la solitude du penseur

  • la liberté intérieure


Il montre Nietzsche en chemin

avant le prophète de Zarathoustra dans une phase de désenchantement fécond


Le Voyageur et son ombre est un livre de marche intérieure où Nietzsche explore la liberté de l’esprit à travers le doute l’ironie et la lucidité dans un dialogue permanent entre l’élan de penser et sa propre ombre critique