samedi, mai 13, 2023





en hiver

les Japonais  

l’hiver 

Anne-James Chaton


























21 juillet 2021


le vent est sec et froid


la bise aiguise les rocs


la lune claire prend une lumière de décembre


les nuages noirs se déversent sur la crête du mont Fuji


l’ouragan ratisse les feuilles de thé


le col de Hakone est resté ouvert


les giboulées tombent


l’averse se transforme en une pluie de petits cailloux


la mer sombre dans la nuit


les blanchailles des algues disparaissent


l’eau douce gèle sur le pinceau


la gelée s’accumule sur le toit


la jarre est brisée par le givre


l’ermitage est couvert de glace


les pierres sont fanées


la neige ploie les feuilles de narcisse


les herbes-du-souvenir sont sèches


les volubilis du matin se flétrissent


les liserons profitent des rares soleils


les chrysanthèmes portent de longs cheveux blancs


les poireaux conservent leurs feuilles vertes


les bambous patientent sous la neige


le saule pleureur se couvre de pâte de riz effilée


les feuilles de pins ont perdu leur rougeur


le concombre de mer a glacé en bloc


l’igname a atteint sa juste taille


les herbes de pampas se cachent


le pavot est fier de sa fleur


le chien trempé hurle dans la nuit


le chat lape la neige fondue


le singe voudrait aussi un petit manteau de paille


les pattes des canards sont bien au chaud dans leur robe de plume


les pluviers prennent leur envol


le grèbe a disparu


les grillons grésillent d’une voix affaiblie


les papillons sont endormis


le faucon survole le cap Irago


les maquereaux se massent à l’île Ogano


les poissons sautent dans le vent qui souffle


la biche se pare d’une écharpe blanche


les cerfs se réchauffent poil contre poil


la coquille de l’escargot de rivière hiberne


la fauvette fiente sur la pâte de riz cuit


le rat d’égout boit le glaçon amer


les moineaux rient des costumes des chanteurs


le bonze se laisse surprendre par l’averse


les pieds traînent dans la gelée


le parapluie se couvre de blanc


le sac vide sert de capuchon


les chauds vêtements de papiers sont de saison


les habits s’empilent sur les corps


les grêlons ornent les kimonos


les chaumes de riz noircissent


les chemins sont couverts de givre


les visages des bons buveurs attendent les flocons


les moines frappent gourdes et bols


le maître est à l’abri pour l’hiver


le jardinier balaie la neige


le marchand de pierre a délaissé son ouvrage


le vendeur de légumes verts s’est réfugié à l’intérieur


le charpentier fixe sa propre étagère


l’enfant joue avec une corde de paille de riz


l’écolier se fabrique des moustaches avec des peaux de lapin


l’homme se réchauffe près du feu


la femme brûle les aiguilles de pin pour sécher les serviettes


la maison est agenouillée autour de l’âtre


les visages souffrent des oreillons


les bâtons d’encens parfument la pièce


les bruits de capselles frappées résonnent


le décorticage du riz fait un bruit de grêle


l’écho du pilon à mochi s’élève


le soja étuvé et fermenté est tranché


la soupe de poisson-globe est servie


les feuilles d’hémérocalle sont mêlées au riz cuit


les ramures d’œnanthes sont brûlées


le riz fermenté donne une boisson sucrée


le gros radis est amer


le saumon séché est présenté


le feu de charbon de bois s’éteint sous la cendre


la couverture ouatée est froide au moment de se glisser dessous


les couvre-lits superposés sont lourds


le nettoyage de fin d’année va commencer


les comiques du nouvel an arrivent au village


le matin du jour de l’an ouvre la période des vœux


le brouillard recule


les herbes de printemps s’impatientent


l’orge se prépare à sortir


les iris s’apprêtent


les pousses mauves percent


les camélias jouent la précocité




















pierre d’avenir

l’émeraude est une pierre verte 

on en trouve de plusieurs sortes mais la plus vertueuse est celle qui est très claire si verte qu’elle transmet à l’air alentour sa propre couleur Il faut la tenir en grande révérence  elle porte bonheur rend puissant À qui la porte en pendentif elle donne tempérance et art de la parole Elle sauve des maladies qui rendent infirme protège la vue calme les ardeurs de la jeunesse éloigne la foudre et la tempête 

les magiciens l’utilisent pour sonder l’avenir
























parcourir

une courte distance

observer 

à l'horizon

une lumière verte 

abandonnée par le soleil couchant
























la mer était omniprésente

le livre s'intitulait 

une journée dans le delta 


quelque chose

d'impalpable a séduit les dieux

mais 

ils disparaissent lentement


la poésie cherche leurs traces

en se demandant ce que destin divin voudrait dire























poésie guidée 
par le souvenir 
d'

une montagne qui 
un jour fut 
un état d'esprit



































le vent 

a le pouvoir orgiaque 

de déplacer 

la chaleur de l'été envahie par 

les arbres 

et d'aller plus vite que 

les trains


on s'échappe du présent en mourant




je me suis consolé en me disant que 

la disparition d'

un vaste pan de mon passé 

était synonyme d'

une liberté nouvelle























une brèche dans le paysage

la 
soudaine 
épiphanie qui change 
une vie

le frelon noir





















je vois une chose

elle m'émeut

je la transcris comme je la vois

je m'abstiens de tout commentaire dans ma façon d'en parler

si j'ai bien écrit la chose 

il y aura bien quelqu'un pour en être ému à son tour

mais aussi quelqu'un pour dire

mais qu'est-ce que c'est que ça 

peut-être les deux auront-ils raison


je ne sais pas moi-même ce que 

j'ai vu 

ce jour là 


plus 

je cherche 

à comprendre 

à trouver les mots

plus 

cela m'échappe



















Charles Wilson

un physicien anglais 

découvrit en observant les nuages que certaines particules électrisées laissaient en traversant les régions sursaturées en vapeur d’eau des traces repérables qui matérialisaient leur trajectoire 

il tira de cette observation le principe de  

la chambre à brouillard  

où le trajet de corpuscules créés par la collision d’atomes avec une cible pouvait suivi à la trace être mis en évidence 





























la construction de cette chambre piège à particules élémentaires lui valut le Nobel en 1927






une telle réalisation matérielle géniale dans sa simplicité apparente allait avoir une longue postérité  chambre à bulles de Donald Glaser Nobel 1960 où la condensation en atmosphère humide est remplacée par l’évaporation révélant les parcours dans l’hydrogène liquide – principe différent mais but révélateur identique  enfin chambre à détecteurs multifils les particules à repérer l’étant grâce à un réseau de fils métalliques parallèles cette dernière machine inventée par Georges Charpak Nobel 1985 mille fois plus rapide et plus précise que ses devancières équipant aujourd’hui tous les laboratoires de recherche fondamentale du monde alors que la chambre à brouillard l’ancêtre n’est plus qu’une curiosité expérimentale


*


les connotations du mot brouillard impossibilité de se repérer confusion mentale à la limite opacité vont permettre de retourner comme un gant l’usage fait par Wilson de sa superbe machine à clarifier le réel but de toute la physique 

la machine du texte vise à obscurcir 

elle crée un système imaginaire inextricable à partir d’une entité certes invisible à l’origine mais qui pourrait être simple comme le sujet d’un roman

et comme rien n’est jamais perdu pour un romancier quand il soumet une idée au remue-méninges ni la chambre à bulles le cerveau dément du narrateur brassant une sorte d’ébullition permanente ni la chambre à fils séquences de vocables appelés par la méthode marabout/bout d’ficelle ne cessant au fil des pages d’enchevêtrer leurs pelotes ne seront en rien négligées par l’intrigue ou ce qui en tient lieu...

















un long silence 

interrompu 
par le cri 
d’

un pic noir


je vais sortir 

il faut oublier aujourd’hui 
les vieux chagrins
 
l’air est frais et les montagnes 
sont élevées

les forêts 
sont tranquilles comme 
le cimetière 

cela va m’ôter ma fièvre 
et je ne serai plus malheureux dorénavant


*
















































quelquefois 

dans un effort pour remettre le cap sur mon logis en fixant d'après les principes nautiques mes yeux sur l'étoile polaire cherchant ambitieusement mon passage au Nord-Ouest pour éviter de doubler de nouveau tous les caps et les promontoires que j'avais rencontrés dans mon premier voyage j'entrais soudainement 

dans des labyrinthes 
de ruelles 

dans des problèmes 
de rues sans issue ...

dans des énigmes 
de cul-de-sac 



inexplicables 
inquiétantes
insolubles
mystérieuses 
profondes
cruelles

effrayantes énigmes































la merveille 

des traits et des mots 

on l’oublie 

est due à ce qu’ils mènent ailleurs 


avant 

d’impitoyablement nous tirer 

à eux 

à nous


de nous mener d’abord à ce que nous voyons 




















note 

André du Bouchet 

dans 

Gréement de la réalité 

en 1953




il y a 
des détails consumés 
qui s’effacent comme de la cendre

il y en a d’autres 
qui sont comme autant de trophées 
ayant constitué le foyer d’une lutte dont ils conservent au repos 
et en retrait
l’énergie 

tout se soude 
par la cendre ou 
par le feu et
par ce froid particulier