mercredi, janvier 25, 2023

 

EN PLEIN MIDI


Zarathoustra 

se remit
à courir et à courir 
encore 

mais 

il ne trouva plus personne 

il demeurait seul 

il ne faisait toujours que se trouver lui-même 

alors 


























il jouit de sa solitude 
il savoura sa solitude et 
il pensa à de bonnes choses 
pendant des heures entières 

à l’heure de midi cependant
lorsque le soleil 
se trouva tout juste au-dessus de la tête de 
Zarathoustra
il passa devant 

un vieil arbre chenu et noueux 
qui était entièrement embrassé par le riche amour d’

un cep de vigne
de telle sorte que l’on n’en voyait pas le tronc 
de cet arbre pendaient des raisins jaunes
s’offrant au voyageur en abondance 

alors Zarathoustra 
eut envie d’étancher sa soif légère en détachant 
une grappe de raisin 

et comme il étendait déjà la main pour le faire 

un autre désir 
plus violent encore
s’empara de lui  

le désir de se coucher au pied de l’arbre 
à l’heure du plein midi
pour dormir


c’est ce que fit Zarathoustra  

et aussitôt qu’il fut étendu par terre
dans le silence et le secret de l’herbe multicolore 
sa légère soif était déjà oubliée et 
il s’endormit 

car 
comme dit le proverbe de 
Zarathoustra  

une chose 
est plus nécessaire que l’autre

ses yeux cependant restèrent ouverts 

car il ne se fatiguait point de regarder 
et de louer l’arbre et l’amour du cep de vigne

mais
en s’endormant
Zarathoustra parla ainsi à son cœur 


silence


silence 


le monde ne vient-il pas de s’accomplir 


que m’arrive-t-il donc 



comme
un vent délicieux 

danse invisiblement 
sur les scintillantes paillettes 
de la mer 
léger léger 

comme 
une plume 

ainsi le sommeil danse sur moi


il ne me ferme pas les yeux
il laisse mon âme 
en éveil

il est léger 
en vérité 
léger
 
comme 
une plume


il me persuade 
je ne sais comment 


 
il me touche intérieurement d’
une main caressante, 
il me fait violence. 

oui 
il me fait violence 
en sorte que mon âme s’élargit 


comme elle s’allonge fatiguée
mon âme singulière 



le 
soir 
d’

un septième jour 
est-il venu pour elle en plein midi 



a-t-elle erré trop longtemps déjà 
bienheureuse
parmi 
les choses bonnes et mûres 



elle 
s’allonge 
longuement 

dans toute sa longueur 



elle est couchée tranquille
mon âme singulière 

elle a goûté trop de bonnes choses déjà 
cette tristesse dorée l’oppresse 
elle fait la grimace


comme 
une barque 
qui est entrée 
dans sa baie la plus calme  

elle s’adosse maintenant à la terre
fatiguée des longs voyages et des mers incertaines 

la terre 
n’est-elle pas 
plus fidèle que la mer 



comme 
une barque s’allonge 
et se presse contre la terre 

car alors il suffit qu’
une araignée 
tisse son fil de la terre jusqu’à elle 
sans qu’il soit besoin de corde 
plus forte


comme 
une barque fatiguée 
dans la baie la plus calme  

ainsi 
moi aussi
je repose maintenant près de la terre fidèle 
plein de confiance et dans l’attente 
attaché à la terre 
par les fils les plus légers


ô bonheur 



ô bonheur 



que ne chantes-tu pas 
ô mon âme 



tu es couchée dans l’herbe 

mais voici l’heure secrète et solennelle
où nul berger ne joue 
de la flûte


prends garde 


la chaleur du midi repose sur les prairies 

ne chante pas 

 

garde le silence

 

le monde est accompli


ne chante pas 
oiseau des prairies 
ô mon âme 


ne murmure même pas 

 

regarde donc

silence 


le vieux midi dort
il remue la bouche  

ne boit-il pas en ce moment 
une goutte de bonheur 


une vieille goutte brunie 
de bonheur doré
de vin doré 

 

son riant bonheur 
se glisse furtivement vers lui 

c’est ainsi 
que rit 

un dieu 


silence 


combien 

il faut peu de chose pour suffire 

au bonheur 

 

ainsi disais-je jadis 
me croyant 
sage

mais 
c’était là 
un blasphème 

voilà 
ce que j’ai appris maintenant 

les fous sages 
parlent mieux que cela


c’est ce qu’il y a 
de moindre 
de plus silencieux
de plus léger
le bruissement d’

un lézard dans l’herbe 
un souffle
un chutt 
un clin d’œil 

c’est la petite quantité
qui fait la qualité du meilleur bonheur 

silence 



que m’est-il arrivé  

écoute 



le temps 
s’est-il donc enfui 



ne suis-je pas en train de tomber 

 

ne suis-je pas tombé 

écoute 

 

dans le puits de l’éternité 



que m’arrive-t-il 


silence 

je suis frappé 

hélas 

au cœur 

au cœur  

ô brise-toi

brise-toi 

mon cœur après 

un pareil bonheur 

après 

un pareil coup 


comment 

le monde ne vient-il pas de s’accomplir  

rond et mûr  

ô balle ronde et dorée

où va-t-elle s’envoler 

est-ce que je lui cours après  

Chutt 


silence

et en cet endroit 

Zarathoustra 

s’étira et il sentit qu’il dormait


lève-toi 

se dit-il à lui-même

dormeur  

paresseux  

allons

ouf 

vieilles jambes  

il est temps

il est grand temps 

il vous reste encore 

une bonne partie du chemin à parcourir


vous vous êtes livrées au sommeil 

pendant combien de temps 

pendant 

une demi-éternité 


allons

lève-toi maintenant 

mon vieux cœur 

combien te faudra-t-il de temps

après 

un pareil sommeil 

pour te réveiller 


mais déjà 

il s’endormait de nouveau 

et son âme lui résistait et se défendait et se recouchait 

tout de son long 


laisse-moi donc  

silence 

le monde ne vient-il pas de s’accomplir  

ô cette balle ronde et dorée 


lève-toi

dit Zarathoustra 

petite voleuse 

petite paresseuse 

comment  

toujours s’étirer 

bâiller 

soupirer

tomber au fond des puits profonds 


qui es-tu donc 

ô mon âme 

et en ce moment 

il s’effraya 

car 

un rayon de soleil

tombait du ciel sur son visage


ô ciel au-dessus de moi

dit-il avec 

un soupir 

en se mettant sur son séant 

tu me regardes 

tu écoutes mon âme singulière 


quand boiras-tu 

cette goutte 

de rosée 

qui est tombée sur toutes les choses de ce monde

quand boiras-tu 

cette âme singulière 


quand cela 

puits de l’éternité 

joyeux abîme de midi qui fait frémir 

quand absorberas-tu 

mon âme en toi 


ainsi parlait Zarathoustra et il se leva de sa couche au pied de l’arbre comme d’une ivresse étrange et voici le soleil était encore au-dessus de sa tête

On pourrait en conclure avec raison qu’en ce temps-là Zarathoustra n’avait pas dormi longtemps


























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