Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
vendredi, février 11, 2022
des traces
même infinitésimales
permettent
de saisir
une réalité
plus profonde
impossible à atteindre autrement
des traces
plus précisément des symptômes
dans le cas de Freud
des indices
dans le cas de Sherlock Holmes
des signes picturaux
dans le cas de Morelli
*
vivre
le subtil
le rapide
l’instant réel
le souffle
la force brève
le sol nécessaire
lignes de géographie
l’odeur unique emplie de lumière
papier ou flammes
les murs
lettres
livres lamentations
il y a
un poème
*
on trouve
dans la tradition plurimillénaire
indienne
deux courants qui se consacrent
aux pouvoirs de la parole
le plus ancien
est celui des mantras
fondé sur la conviction que la voix originelle
est chargée de puissance
plus récente
la théorie poétique indienne du rasa
la gustation
allie
une approche du mot
comme signe phonétique
et
une métaphysique du langage
les itinéraires chantés
ou
songlines
des aborigènes d’Australie
ce
labyrinthe
de sentiers invisibles
sillonnant tout le territoire
du continent est tout entier habité et connu
par des histoires
chemins
roches buissons etc.
étant eux-mêmes les marques
de tel ou tel passage de l’aventure de tel ou tel
ancêtre
grâce à l’inscription de ces aventures dans le paysage
les hommes peuvent s’y repérer
comme avec
une carte
le paysage est lui-même la carte
celle des
empreintes des ancêtres
la mère
pour l’enseigner à son enfant
tout en chantant le récit
imprime
sur le sol des marques
de ces marques
êtres totémiques légendaires
les ancêtres
c’est en chantant
le nom de tout ce qu’ils avaient croisé
en chemin
qu’ils avaient fait
venir le monde à l’existence
Elle compose des livres et non des recueils. Ils traitent un domaine, un thème ou une période de notre histoire ; ils le questionnent en poésie. Ce livre-ci envisage la pratique de la marche à pied, plus précisément le rapport qu’entretiennent la marche et l’écriture.
Le livre convoque un ensemble d’écrivains promeneurs.
Tous impénitents marcheurs, ils ne forment pas pour autant un groupe, plutôt une escouade d’éclaireurs, souvent solitaires ; car il s’agit d’abord de montrer qu’écrire procède d’une stricte ambulation personnelle qui peut se résumer à : dis-moi comment tu marches, je te dirai ce que tu écris.
La richesse du livre apparaît ainsi, au gré des promeneurs accompagnés ; l’écriture de Swensen va en éprouver les façons et absorber chaque fois quelque chose de la spécificité de l’élu pérégrinant.
Si c’est un livre de marches, c’est donc aussi un livre de paysages ; mais fabriqués par l’écriture qui rappelle chaque promeneur dans ses motifs.
Ainsi visite-t-on – et nous revoyons aussi – les campagnes de George Sand, les longues solitudes de Thoreau près de son étang, les inquiétudes citadines de Virginia Woolf, l’allégresse et le constant qui-vive de Robert Walser, les longues courses, aux écarts enchevêtrés de G.W. Sebald.
Ainsi, pas à pas, sommes-nous emmenés dans le sillage de quelques grands arpenteurs, sous la houlette de leurs manies pédestres, à la découverte d’une écriture nourrie d’exemples et abreuvée de paysages.
Vers, phrases et monde ainsi multipliés par cet exercice basique et si changeant qui toujours enracine le globe-trotter « dans son lieu et sa formule ».