jeudi, décembre 02, 2021


en écrivant 
on s’arrête de temps en temps 
sur 


un beau passage 


qui est mieux réussi que tous les autres 
et au-delà duquel soudain 
on ne sait plus 
continuer






















quelque chose est allé de travers


c’est 
comme 
s’il y avait 

une réussite mauvaise ou stérile

et peut-être 
faut-il précisément s’en faire 

une idée 

pour 
saisir ce que signifie 

une bonne réussite


au fond 
il y a 
deux consignes 
qui se font 
face 


le une-fois-pour-toutes 

et 

le une-fois-n’est-pas une fois






à 
ce moment on se 
dit 

c’est si beau 
qu’il ne faut pas laisser 
échapper

cela vaincrait
n’importe quelle paresse 

car malgré tout 
il faut pour être inspiré

à chaque instant 
se replonger dans la recherche 
le travail
accommoder le regard
et alors très vite

on jouit

à coup sûr ça jaillit


c’est 
comme ça 
que je ressens 

l’inspiration

chaque fois
même vision approfondie 
où quelque chose s’est heureusement déplacé 
concentré
où les rapports nouveaux 
s’aperçoivent


longue période de recherche

puis 

vision 

l’accommodation est faite

c’est beau 


c’est fatigant 

on croit que c’est tout mais non 

c’est trop beau

je veux revoir ...

alors on repart et l’accommodation repart très vite ...

et l’inquiétude recommence 

c’est trop beau etc



Proust a admirablement dit 

les épisodes 
les degrés
les passages du mourir


je veux dire 
qu’à chaque moment il a donné 

un supplément de concret 
comme s’il allait à la racine du concret 
 
petite attaque aux Champs-Élysées... 
la rougeur...
la main devant la bouche ...



pourquoi est-ce vrai 
et non seulement réel ou réaliste


parce que cette réalité du concret 
désigne ce qui va 
mourir 

plus c’est concret 
plus c’est vivant

plus c’est vivant
plus ça va mourir





occlusion

congestion

syncope

 

le temps est 

celui que les couleurs ont mis pour passer


sous l’effort de la lumière

le cœur est serré par l’angoisse de l’éternité

et de la mort


il s’arrête de battre 

non mauvais

paralysie 

syncope 

?













Proust est merveilleux 

je souscris


mais quelle est cette  

merveille 



c'est 

l'expérience intérieure




















dans le texte d’À L’Ombre des jeunes filles en fleurs le narrateur est dans une calèche avec sa grand-mère et Madame de Villeparisis aux environs de Balbec 

il aperçoit trois arbres 

qui peu à peu s’approchent 

ressent 
une impression 
de déjà vu 

multiplie les hypothèses 

aucune n’est 
la bonne 


les arbres 

s’approchent au plus près

puis s’en vont 


ou plutôt 


c’est 

le narrateur qui s’en va

emporté par ladite 

calèche 

et par  la vie 


avant même 
l’évocation des trois arbres 
on lit ceci en guise 
d’avertissement 

nous descendîmes sur Hudimesnil 

tout d’un coup 
je fus rempli de ce bonheur profond...

un bonheur 
analogue à celui que m’avaient donné
entre autres
les clochers de Martinville

mais cette fois il resta incomplet 


lorsque la calèche s’éloigne

le narrateur a la sensation poignante de les abandonner

comme des morts laissés 

sans sépulture


et de fait ces trois arbres vont rester plantés au beau milieu de La Recherche sans avenir sans résolution  ils ne réapparaîtront pas parmi les épiphanies du Temps Retrouvé resteront hors de toute téléologie ou synthèse réconciliatrice


c’est 

une reconnaissance 

définitivement manquée

une occasion 

qui n’aura pas été saisie


Proust le dit d’emblée

et le souligne : 


en effet si dans la suite je retrouvai le genre de plaisir et d’inquiétude que je venais de sentir encore une fois, et si un soir — trop tard, mais pour toujours — je m’attachai à lui, de ces arbres eux-mêmes en revanche, je ne sus jamais ce qu’ils avaient voulu m’apporter ni où je les avais vus 


de 
ce texte 
on peut dire qu’il 
est 

une aporie
 
en réveillant 
l’étymologie du mot aporia 
qui signifie littéralement 

sans chemin

sans issue 


et 
autre chose 
encore
 
si 
cette expérience 
fait appel à la mémoire 
le narrateur multiplie les hypothèses  

où les a-t-il déjà vus 

?

elle est 
celle du choc 
d’

une mémoire 

qui ne se soumet pas au passé 

pas de souvenir

rien à voir avec les retrouvailles 
de la mémoire 
involontaire


***



chacun connaît 

le sentiment d’avoir oublié 

quelque chose dans sa vie consciente


quelque chose 

qui est resté en route 

et qui n’a pas été tiré au clair ...


lorsqu’on quitte 

une chambre 

qu’on a longtemps habitée

on jette 

un regard bizarre

autour de soi avant de partir 


là aussi

quelque chose est resté

dont on n’a pas eu 

idée


on l’emporte néanmoins avec soi 

pour recommencer 

ailleurs
















ne pas oublier  


la matière 

de nos livres 

la substance de nos phrases 

doit être 

immatérielle


non pas prise telle quelle dans la réalité


























nos phrases elles-mêmes 

et les épisodes aussi 

doivent être faits de la substance transparente 

de nos minutes les meilleures

où nous sommes hors de la réalité 

et du présent


c’est 
de ces gouttes de 
lumière 

qu’
est fait le style et la fable 
d’

un livre


au fond 
toute ma philosophie revient
comme toute philosophie vraie 

à justifier
à reconstruire 
ce qui 
est

























02122021 

poursuite 
du temps froid perturbé
 
averses 
de neige plus fréquentes...


encore et encore

à demander quelle

épaisseur

la neige


le réceptacle des sensations

par la voix

par la matière






















seule à paraître claires

les généralités

là où 

un souffle se concentre


la traîne d'ouest 

un peu molle et encore humide 

cédera  la place 



un fort régime de bise

s'arrête auprès de moi


ce 

qu'il y a 

de secret me tire des 

tourbillons



au même moment 

le contenu se découvre 


dehors

une branche de lecture















laissez votre œil 
se fixer 
sur 

un grossier morceau de branche d’arbre 
une forme curieuse 

pendant 
une conversation
rare avec 

un être 

qui vous est cher 
ou qu’il s’y pose même 
inconsciemment 

et quoique la conversation puisse être oubliée quoique chaque circonstance qui l’accompagne soit aussi perdue pour la mémoire que si elle n’avait jamais été cependant votre œil pendant toute votre vie prendra 






















un certain plaisir à de telles branches d’arbres 

auxquelles il n’en aurait pris aucun auparavant 

un plaisir si subtil 

une trace de sentiments si délicats 

qu’ils nous laisseront tout à fait inconscients de leur particulier pouvoir mais indestructibles par 

un raisonnement quelconque 

et qui formeront par la suite 

une partie de notre constitution