mercredi, septembre 15, 2021


voilà l’air

mais 

il est sans paroles


les mots ne sont que spéculation

du latin speculum 

miroir


ils cherchent et ne trouvent pas 

le sens de la musique




















la ville est toute en longueur 
pour ne pas froisser 
les lignes 
de l’eau

pas nécessaire 
de se développer toujours

on peut l’imaginer dépourvu 
de tout corps 

tel 
qu’il aurait voulu 
être



quitte à se tenir à l’écart… 

devenir lent...

les amours
coulent sans penser...


une place 

pour l’inattendu...
pour ce renversement des valeurs... 
pour quelque chose d’imprévu...





vivre 
toujours 
avec cette 
chaise à côté 
de soi pour que vienne 
s’y asseoir 

l’inconnu le clandestin






























comédie intérieure
comédie profonde
comédie secrète 
comédie familière
comédie personnelle

comédie privée 
comédie essentielle 
comédie domestique
comédie confidentielle
comédie amie
comédie particulière
comédie prochaine

comédie sexuelle

comédie viscérale
comédie inséparable
comédie indéfectible

comédie confidente
comédie complète
comédie cachée

comédie étroite 


*


vous devez être contente
il ne vous manque 
rien

stupide 
jugement porté 
sur l'extérieur de la vie 
quand tout le foyer du bonheur 
et de la souffrance 
est dans le sanctuaire 
le plus intime et le plus secret 
de nous-mêmes

dans certains états de l'âme presque surnaturels la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle si ordinaire qu'il soit qu'on a sous les yeux 

il en devient le symbole 

le spectacle extérieur vient aider 

à déplier 

une grandeur intime 



qui permet 
une appréhension directe
une saisie 
plus ou moins automatique par le dedans 
qui est immédiatement accessible 
à l'intuition du sujet, 
spontanément connu de lui seul, 
non communicable































le temps 

est cela même qui efface 

le temps



il ne se donne à lire 

que dans le cercle où s'écrit cet effacement



le temps 
est le nom d'
une impossible possibilité  






































l'
impossibilité 
pour

un instant 
de coexister avec 

un autre 
qui s'éprouve comme possibilité



ainsi 
le temps et l'espace 
apparaissent-ils en même temps 
ama


ils ont une origine commune mais cette origine commune comme la locution en même temps est ambiguë car si deux instants apparaissent en même temps ils ne sont plus distincts et s'ils sont distincts ils n'apparaissent pas en même temps


la 
présence 
du
temps 
est 
impensable



l'
énigmatique 
en même temps
est le lieu de l'aporie



*




plus loin 

à l’est 
c’est l’ouest


la parole écrite 
est le plus grand et le plus invulnérable 
des refuges 






dans 
leur chute commune 
de sorte que l’une et l’autre se soutiennent 
à mesure qu’elles tombent 

la perche 
est la seule ligne 
de biais au milieu des lignes 
de l’eau



comme 
un glissando musical 
sur 

une portée 
extrêmement rigide



























la  communauté  

est au moins celle du livre autour duquel 

se retrouvent les individus  

chacun à sa manière 

chacun pour soi

mais qui dans 

un second mouvement vers les autres 

prendra la forme du don 

de ce qui est 

écrit


























le symbolisme 
de l'arbre peut prendre 
d'autres formes comme celle 
de l'échelle 

dans une brève histoire de tout Ken Wilber utilise la métaphore de l'échelle du grimpeur et du point de vue pour décrire les étapes de la croissance et du développement

quand nous grimpons sur un barreau de l'échelle nous nous dés identifions du point de vue que nous avions du barreau précédent et nous nous identifions au point de vue que nous avons du barreau actuel

pourtant 
chaque nouveau barreau

repose 
sur les précédents et les inclut



bien 
que notre vision 
ait monté 
d'

un niveau

elle 
est soutenue 
par tous les niveaux 
inférieurs



le grand chaman Lakota décrit sa vision 

j'étais debout 
sur la plus haute des montagnes et tout autour de moi était 
le cercle complet du monde 

et tandis 
que je me tenais là 

j'ai vu 

plus que je ne peux le dire et j'ai compris plus que je n'ai vu  car je voyais en esprit les formes de toutes les choses et la forme de toutes les formes qui doivent vivre ensemble comme un être unique

et
j'ai vu 

que le cercle sacré de mon peuple était un des cercles qui constituaient un cercle grand comme la lumière du jour et celles des étoiles et au centre duquel poussait un puissant arbre en fleurs pour protéger tous les enfants d'une mère et d'un père uniques. 

et j'ai vu 
que tout ceci était sacré























Ce volume regroupe huit monologues écrits par Bernard Noël entre 1973 et 2015 ainsi que « Les premiers mots », 1973, qui les préfigure. « Chacun de nous est une société. Chacun de nous porte sa comédie, que Dante a voulue divine, Balzac humaine, Jacques Villeglé urbaine, et Bernard Noël intime ou mentale. 































La Comédie intime est la Comédie humaine de Bernard Noël, sa comédie humaine, où il se fait non pas le secrétaire de la société mais le porte-plume de ces voix qui travaillent en lui, qui le constituent comme sujet de l’écriture, comme TU. Construit en cours de route comme La Comédie humaine, La Comédie intime y met en scène des personnages qui deviennent des types : ces personnages se nomment je, tu, il, elle, on, nous, vous, ils. [...] 

Cet ensemble de personnages pronominaux s’accompagne d’autres, aux noms propres, cités ou non : Gramsci, Anna Magnani, Bataille, Mallarmé, Nerval, André Masson, et tous forment le « personnel » de La Comédie intime de Bernard Noël, ceux qui l’entourent et constituent son intimité, ceux avec lesquels il pense, vit, se construit. [...] 

Ces monologues des pronoms sont une façon de réfléchir par la fiction à la place de la personne, de l’intime dans la langue, dont les pronoms sont une représentation.