dimanche, février 28, 2021


là où vous poussez

vous devez tout savoir

pour survivre






















l’horaire des récoltes

la posologie des recettes

la métallurgie des vêtements

la charte des pièges

le langage des poissons

la mécanique des vents

l’analyse des eaux

le code de tous les moteurs

la construction de tout ce qui abrite

vos corps vos cœurs vos vies


vous pourriez construire la route

vous-mêmes

mais c’est pas comme ça que ça marche



Noémie Pomerleau-Cloutier 

LA PATIENCE DU LICHEN







Très loin sur la côte nord du golfe Saint-Laurent se trouve au milieu du chemin un panneau de signalisation portant le mot FIN : 

le voyageur doit s’arrêter à cette hauteur. 

Or, au-delà de la limite de l’asphalte existent sur plusieurs centaines de kilomètres des communautés qui ne sont accessibles que par les airs, l’eau ou la glace, selon les saisons. 

Fascinée depuis son enfance par le bout de la route 138, Noémie Pomerleau-Cloutier est allée à la rencontre des Coasters – innus, francophones et anglophones –, a enregistré leurs voix pour remailler en poème ces territoires morcelés et ces luttes à finir. 

La patience du lichen est un témoignage poétique d’une rare envergure, un reportage au grand cœur qui plonge dans l’histoire et l’intimité de cette partie méconnue du Québec.


 


le 
reste 
du monde 
n’est pas plus 
large que ce qui 
afflue 
ici




















Kimuru Noriaki


*

note rapide sur une image

elle trace 

une ligne fine entre
une ligne fine et 
une ligne fine





























la vie doit être appréciée dit-elle 

sinon quoi d'autre ...


elle travaille 

pour faire quelque chose

aspire à en savoir plus qu'elle ne sait déjà


elle ne sait pas d'où ça vient


à chaque ligne qu'elle trace

elle sait 

qu'il y en a 

des centaines d'autres à venir


elle souligne 

le 
charme 
d'

une ligne dans l'espace

le paysage lui donne raison 






































7 avril

(…) un bonheur parmi les couteaux.


15 avril

(…) un accroc, un départ, une fuite,


13 avril

(…) sans avoir recours aux « lacs transparents »


20 avril

(…) au café Vermeer / le petit pan de mur jaune






















23 avril

(…) à part ça rien. quelques roses, beaucoup d’oiseaux.


27 avril

(…) une pluie attendue 

(…) depuis des mois, 

(…) ta venue depuis des siècles…


....

Isabelle Garron dernière levée























 

je regardais

fixement 
devant moi mais non pas 
sur

un point 
ou
un objet précis
































mes yeux étaient écarquillés 
mes sourcils non froncés

comme ils le sont d'ordinaire quand 
un objet précis requiert toute 
mon attention

aucun intérêt de cet ordre n'avait précédé
le fait de regarder


mon regard 
était vacant ou pareil à celui 
d'

un être 
qui contemple l'éclairage du ciel 
et s'abreuve de sa 
lumière



tout regarder sans discontinuer 

les oiseaux dans le ciel au-dessus de moi
sans tracer de lignes mais fusant 
dans tous les sens 

devenir 
ignorant de soi-même
tendre à cela tout le temps



prisonnier 
d’

un soudain 

engourdissement 
du réel
d’

un appesantissement 
du monde 

comme 
chaque fois les alentours 
s’enfoncent 


































avec le déroulement de la peinture vient le vent

si on veut la conserver l’enfermer

alors transformée elle disparaît

on ne la retrouve jamais 


*























qu’il

oh ! 

qu’avec son air des anges 

il m’élève

me dépose

pourvu

que j’entrevoie 

ses marques

ses bizarres lunules 

son plumage piqueté sous les ailes 


tel

un grand oiseau 

des tempêtes après avoir marché 

un temps 

sur la grève 

pourpre-tonnerre

emplumé de tonnerre pourpre

qu’

une brusque bourrasque 

de ses rémiges neigeuses éparpille alentour 

un sourire colossal

voulant le seul envol 

nous évente d’émerveillement