mercredi, mars 10, 2021



 Bertso


Les habitants du quartier squatté d’Errekaleor font silence 

Dès que le couple debout sur l’estrade aura débuté sa scansion le seul son qui aura ici sa place sera celui des bertsos  ces improvisations chantées en langue basque

La femme ferme les yeux plonge au plus profond de sa langue  puis commence























Elle chante clair et fort avec ce roulement des  r  qui la caractérise

Les strophes s’enchaînent au fil d’une mélodie sans fioritures 

Un premier vers de dix pieds l’autre de huit ses mots se coulent sans heurts dans une métrique extrêmement codifiée

Le rythme d’abord traînant s’accélère entièrement au service de la chute 

Encore quelques rimes et voilà qu’elle surgit époustouflante au milieu des vivats et des applaudissements

L’homme se met à son tour à chanter lui répond elle sourit déjà

Puis les éclats de rire se répandent

Une habitante du quartier dévoile le thème de la prochaine improvisation   Carles Puigdemont est enfermé avec un prisonnier d’ETA

Le chant débute après quelques secondes de concentration 

Restent aux étrangers la musicalité de l’euskara et l’émotion du public

Les deux bertsolaris invités Amets et Maialen sont détenteurs de la Txapela le trophée du grand concours de bertsos se déroulant tous les quatre ans face à pas moins de 14 000 personnes 

Mais malgré l’engouement de la communauté euskaldun pour leur art leur vie leurs amours même ils n’ont rien de célébrités lointaines 

Pour improviser les meilleures blagues à même de faire rire des squatteurs ou pour trouver le vers qui touchera au cœur les habitants d’un petit village de montagne il faut être ancré dans ce territoire dans ses anecdotes ses rumeurs et ses humeurs 

Ainsi bien qu’auréolés d’un certain prestige les bertsolaris ne sont pas des stars n’endossent pas le costume de l’artiste tel qu’on le connaît ailleurs

Le moment de la création étant celui-là même où ils s’exposent au public  nulle tour d’ivoire ne les en protège ni ne les en éloigne 

Le bertso se love entièrement dans le temps et l’espace où il est chanté et inventé  bien que l’on sache pertinemment que pour qu’il soit réussi  de longues heures d’entraînement l’ont nécessairement précédé

Amets et Maialen continuent ainsi leur duel  n’épargnant pas les cuisiniers et leur tofu les couvreurs-squatteurs et leurs talents douteux pour finir par relater les dernières nouvelles de la communauté 

Ce sont deux bertsolaris parmi ces centaines d’autres qui font retentir leurs rimes lors de banquets au fin fond d’un trinquet ou devant une église

Ce qu’ils nous racontent à nous étrangers c’est un amour passionnel pour la langue basque d’autant plus fort qu’elle est aujourd’hui minoritaire dans son territoire 

Sur les trois millions d’habitants du Pays basque  seuls  600 000 sont bascophones

Ce danger de disparition renforce à n’en pas douter l’attachement à cette langue à son maniement raffiné et à la culture qu’elle seule peut véhiculer

 

Être basque
 
se traduit 
littéralement en euskara 
par

parler la langue basque 



un bertso à huit rimes 
improvisé en une poignée de secondes par Maialen Lujanbio 
vainqueure de la finale du 17 décembre 2018 
autour du thème 


Il y a une demi-heure que la même voiture vous suit


Miribillako rotondan

errekarriz errekarri

bezalaxe egin ditut

mila bueta errukarri,

geratzen dira kotxeak

ta guk begira elkarri

beraieck « etorri » esan

ta guk : « dirua ekarri ! »

Nahi bezalasso bezero

atseginik ez da sarri

ta askotan gisan orain

autoan estu ta larri,

ertzain auto bat atzetik

eta sirenak aldarri

baietz bera libre utzi

ta neri isuna jarri (bis)


Au rond-point de Miribilla

de pavé en pavé

j’ai tourné mille fois

de manière misérable ;

les voitures s’arrêtent

et nos regards se croisent

eux nous disent : « viens ! »

et nous : « donne le fric ! »

Il n’y a pas souvent

de clients qui nous sont agréables,

et comme tant de fois, en ce moment,

me voilà dans la voiture, tendue et inquiète,

derrière nous une voiture de police

et les sirènes qui crient,

je parie qu’ils le laisseront libre

et que l’amende sera pour moi. (bis)




Abécédaire du Pays basque insoumis






















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