dimanche, octobre 04, 2020


un promeneur 
solitaire dans la foule



Je lis 

chaque 

mot écrit que je découvre sur 

mon passage. 























Réservé aux pompiers. 

Alarme connectée avec vidéosurveillance. 

Achète votre voiture, paiement comptant. 

Il y a de la beauté, une perfection sans effort dans la tombée graduelle de la nuit. 

Le mot LIBRE brille en vert clair sur le pare-brise d’un taxi, suspendu dans la rue obscure, comme découpé et collé sur un fond noir, le bristol d’un album. 

Un autobus éclairé et sans passagers débouche à toute vitesse d’un tunnel, galion fantôme en haute mer. 

Un de ses flancs est entièrement recouvert d’une publicité panoramique 

Profite maintenant des saveurs de l’été. 

Les mots de la rue acquièrent une séquence rythmique. 

Achète or. 

Achète argent. 

Achète or et argent. 

Don du sang. 

Achète or. 

Don du sang. 

Aux arrêts d’autobus brillent des panneaux lumineux avec les derniers films à l’affiche. 

Les Dieux d’Égypte. 

La bataille pour l’éternité commence. 

Les Tortues Ninjas : 

les Héros sont de retour. 

Invitations, ordres et interdictions successifs auxquels je n’avais jusqu’alors pas prêté attention en passant dans cette rue. 

Interdit de laisser des récipients hors des containers. 

Interdit d’entrer. 

Viens savourer nos cocktails. 

Célèbre avec nous tes grandes occasions. 

Avant que j’arrive à la terrasse d’un bar, les voix des buveurs, le son des verres et des couverts sur les assiettes de tapas montent comme un murmure choral. 

Je traverse sans m’arrêter l’épaisseur de voix et d’odeurs. 

Viande grillée, graisse animale, fumée de friture et de tabac, carapaces de gambas. 

Spécialités de viande à la braise et côtelettes d’agneau. 

Goûtez notre riz au homard. 

Il y a un étalage de succulence verbale, une splendeur de nature morte hollandaise dans la typographie des pancartes. 

Croquettes. 

CÔTE DE BŒUF. 

Gambas à l’ail. 

Tripes à la madrilène. 

FROMAGES. 

Aubergines au salmorejo. 

LOUP À LA BILBAÏNA. 

EMPANADA DE BONITE. 

PAELLA. ENTRECÔTE. 

Le soir de juin amène sur les trottoirs de Madrid une ample placidité de ville balnéaire où les familles vont passer l’été. 

Je me promène en me laissant porter et me rends compte que cette soirée est la dernière que je vis dans ce quartier où je suis resté de si nombreuses années. 

Un homme et une femme aux cheveux blancs et d’aspect juvénile sourient, leurs visages rapprochés, dans la vitrine d’un magasin d’aides auditives. 

Sur les publicités, les personnes âgées ont un sourire non dénué d’optimisme et les jeunes rient aux éclats, la bouche grande ouverte, montrant leur langue et leurs gencives. 

Je n’avais pas fait attention à cette affiche ni à son invitation ou à son injonction, à ses caractères blancs sur le fond bleu d’un bonheur de retraités avec des sonotones invisibles : Sois tout ouïe. 

Écoute les véritables sons de la vie


Un promeneur solitaire dans la foule

Antonio Munoz Molina

traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon

Les éditions du Seuil 

2020.
















cinq contemplations

+

une


contemplation 
du coucher de soleil à l’Ouest

contemplation 
de l’eau puis de sa transformation 
en glace et en joyaux baigné de lumière

contemplation 
du sol et des pavillons de la Terre pure 
en visualisant distinctement les détails de la seconde 
contemplation

contemplation 
des arbres de joyaux diffusant 
différentes lumières







contemplation 
des étangs et des ruisseaux 
de la Terre pure



+

contemplation 
d’instruments de musiques dont le son 
permet de percevoir comme 
un tout 

le sol
les arbres et 
les étangs de joyaux




la contemplation 
est 

une conscience 
qui fait corps avec les nécessités
de l'heure
bonheur
et

s'ouvre
à la dimension sacrée 
de l'instant



























Nichinichi kore kōnichi


un koân du chan et du zen 

il 
s'agirait de la réponse 
du maître chinois Yunmen Wenyan 
à la question qu’il aurait lui-même posée aux moines 
dans le recueil 
de kōan

Recueil de la falaise bleue


Nichinichi kore kōnichi 

se 
traduit littéralement 
par 




































chaque journée 

est 

une bonne journée 

ou 

essayer 
de vivre chaque jour 
d'

une manière qui a du sens 



*


habillez-vous 
mangez chiez c'est tout

il n'y a pas 
de cycle des morts et des renaissances 
à craindre

pas 
de nirvana à atteindre

pas 
de bodhi à acquérir 

soyez 
une personne ordinaire
sans rien à accomplir 






















C’est 
un ami qui aide à vivre. 

Du fait 
qu’un tel homme a écrit 
en vérité on a plus de plaisir à vivre 
sur la terre  

déclare Nietzsche à propos de Montaigne






































alors qu’il serait difficile 
d’en dire autant de Platon, Kant ou Hegel. 

Quatre siècles et plus se sont écoulés depuis la rédaction des Essais, mais leurs lecteurs toujours y rencontrent un homme, souvent un frère. 


chacun ne cesse, avec Montaigne, de trouver matière… à quoi, au juste ? 

A penser, sans doute, mais sans gravité. A douter, bien sûr, mais sans drame. 

A « s’éjouir », surtout, en épousant heure par heure, avec son singulier mélange d’attention aiguë et d’abandon nonchalant, cet étrange métier de vivre – imprévu, fluctuant, vivace.

C’est ce que confirme à sa manière le philosophe André Comte-Sponville dans son Dictionnaire amoureux de Montaigne. 

Rarement un volume de cette belle collection aura si bien mérité son titre. 

Certes, il existe déjà un savant Dictionnaire Montaigne, riche d’une centaine de collaborateurs, sous la direction de Philippe Desan (Garnier, 2007), et des bibliothèques de commentaires, gloses et points de vue sont à disposition. 

Mais ce qui prime, chez Comte-Sponville, c’est d’abord la ferveur. 

Elle habite et nourrit cette vaste conversation avec le gentilhomme d’Eyquem. Avant tout, ce Dictionnaire… montre qu’avoir fréquenté Montaigne toute une vie n’émousse pas l’étonnement, n’atténue pas le plaisir.


Ni l’amitié. Pas l’amitié mythique de Montaigne et La Boétie – qui est réelle, évidemment, mais aussi mise en scène, presque « surjouée », par eux-mêmes. 

Plutôt celle d’un lecteur philosophe, qui veut partager ce qui lui paraît sonner si juste chez cet alter ego toujours en équilibre entre jadis et à présent. 

On lira donc ces centaines de pages, dépourvues de lourdeurs, comme une approche, à la fois pédagogue etsubjective, de l’univers de Montaigne.


Convergences et divergences

La plupart des entrées sont judicieuses, les citations sont très nombreuses, le tour des grandes questions est assuré, de « Montaigne philosophe ou non ? » à « Montaigne sage ou pas ? », en passant par les incertitudes impossibles à lever, notamment sur ses croyances religieuses.

Exercice d’admiration, d’initiation et de partage, ce livre est aussi, çà et là, exercice d’explication, au sens d’altercation, de confrontation. Loin de se contenter d’exposer Montaigne, et de donner allègrement envie de le fréquenter, André Comte-Sponville s’emploie à dialoguer avec cet ami absent-présent auquel il doit tant. 

Cette dette première « ne supprime pas, entre lui et moi, de nombreux désaccords », écrit le philosophe. La liste des convergences et divergences – façon « Montaigne et moi » – n’est pas des plus modestes, et ne constitue pas le meilleur de ce beau dictionnaire. 

Ceux qui apprécient l’auteur y retrouveront, au fil des pages, ses partis pris concernant le désespoir, le bonheur, la sagesse, la médecine, le suicide, la vieillesse ou le Covid – entre autres.


Resterait à chercher si être amoureux de Montaigne ne rendrait amoureux de soi-même. 

Cela n’a rien d’impossible, au contraire, puisque les Essais incitent à cultiver « l’amitié que chacun se doit », et rappellent combien « de nos maladies, la plus sauvage, c’est de mépriser notre être ». 

Ensuite, évidemment, c’est une question de mesure.


































 








La philosophie 

nous ordonne d’avoir la mort toujours présente devant les yeux  de la prévoir et de la considérer avant le temps où elle viendra  et elle nous donne ensuite les règles et les précautions pour pouvoir pourvoir à ce que cette prévoyance et cette pensée ne nous blessent pas 

Ainsi 






























font les médecins qui nous jettent dans les maladies 
afin qu’ils aient des sujets sur lesquels 
ils puissent employer leurs drogues 
et exercer leur art

Si 

nous n’avons pas su vivre 
c’est une injustice de nous apprendre à mourir 
et de donner à la fin 

une forme différente de son tout


Si 

nous avons su vivre avec constance et tranquillité  
nous saurons mourir de même 

Les philosophes se vanteront à ce sujet tant qu’il leur plaira  
mais il me semble que la mort est bien le bout 
 non pas pour autant le but 
de la vie 

C’est sa fin  
son extrémité non pas pour autant 
son objet



Tiens 

pour ton dernier jour 

chaque jour qui luit pour toi 

et tu béniras la faveur de l’heure inespérée


Il est incertain 

où la mort nous attende

attendons la 

partout


La préméditation de la mort 

est préméditation 

de la liberté



Qui a appris à mourir

il a désappris à être 

un esclave























Sphinx archaïque

sommet d'une stèle funéraire en marbre 

hauteur totale : 423.4 cm

530 av. J.-C. 

Metropolitan Museum of Art New York


*


Légende

récit de la vie du saint du jour 
lu au réfectoire et à l'église en particulier 
à l'office de matines

leçon lecture

ces prélats chambardèrent de fond en comble 
le psautier

biffèrent les légendes 
des saints 

vie de saint enjolivée de merveilleux 
par l'imagination et 
la piété populaire

la légende de saint Nicolas
patron de la Lorraine 
qui ressuscita trois enfançons 
hachés dans un saloir 


je pris 

un livre ...

c'était 

un abrégé de la Vie des saints
 
j'ouvris au hasard 

je tombai sur la légende excentrique de saint Siméon le Stylite 
dont Voltaire s'est beaucoup moqué... 

recueil 
ouvrage contenant ces récits 

sur la table est ce livre où Dieu se fait visible
La légende des saints 
seul et vrai panthéon 
 
rayons et ombres

avant de se coucher 
pour purifier son sommeil

elle 
s'imposait de relire 
la Légende 

La Légende dorée


récit à caractère merveilleux  ayant parfois pour thème des faits et des événements plus ou moins historiques mais dont la réalité a été déformée et amplifiée par l'imagination populaire ou littéraire.



*



LÉGENDE


Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués  mais continueront à parler et à écrire comme si de rien n’était  ce qui est sans importance  puisque plus personne n’écoute ni ne lit vraiment

Les Banques le Sexe la Drogue et la Technique règnent  la robotisation s’accélère  le climat explose  et la planète sera invivable pour l’humanité dans trente ans

Malgré tout 

un nouveau Cycle 
a déjà commencé et les masques tombent

À vous de juger 



à paraître 
en 2021 aux éditions Gallimard 

c’est-à-dire 
en 133 de l’Ère du Salut.