lundi, avril 06, 2020



pourquoi pas une ponctuation visible  

parce qu’elle vit 
profondément à l’intérieur des phrases

plus précise

souple

efficace

plus légère que 
la grosse machinerie marchande 



des points

des virgules 

des parenthèses

des guillemets 

des tirets







ici

on ponctue autrement et plus que jamais

à la voix

au souffle

au chiffre

à l’oreille

on étend le volume de l’éloquence lisible




moi aussi

j’ai essayé ce fut toute une guerre d’ongles mais maintenant je le sais 

nul ne pourra jamais trouer 

le mur de la terre



l'extinction 
Crétacé-Paléogène ou extinction 
K-Pg
antérieurement dénommée 
extinction 
Crétacé-Tertiaire 
ou 
extinction 
K-T
est 
une extinction massive 
et à grande échelle 
d'espèces animales 
et végétales 
qui s'est produite sur 
une courte période de temps 
il y a 
66 millions d'années




pratiquer l’évitement

l’esquive

combattre l’ennemi en se dérobant

quel curieux paradoxe

signe du temps

qu’est-ce
qui demeurera en nous d’intact pour
recommencer

?



peut-être

une voix céleste

relire 
n’est pas 

une 
perte 
de temps 

mais du temps retrouvé





























le 
physicien 
Thibault Damour 
explique 

la réalité existe au sein d’un espace-temps qui ne s’écoule pas

Une bonne façon que j’ai d’expliquer ça, c’est la dernière phrase du Temps retrouvé de Proust, qui représente les hommes comme des géants plongés dans les années 

cette phrase la voici 





Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes, - entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps 




Thibault Damour commente 

l’essence de Proust consiste à dire que l’idée habituelle de temps qui passe (c’est le temps perdu) est une illusion. Ce que sentait Proust intuitivement et ce que Einstein suggère, c’est que la vraie réalité est hors du temps. Il faut imaginer comme des paquets de cartes les uns sur les autres. Les cartes sont comme des photographies du passé, du présent et du futur, qui coexistent. Il n’y a pas quelque chose qui s’écoule 





























pourquoi 
pas 

une histoire 
mais cent mille histoires 



parce qu’il n’y a plus 



















à simuler et 
à encadrer
mais à faire déferler 
le plus amplement
minutieusement et rapidement possible
la narration et sa mémoire 
qui vont de l’horreur au comique
du constat de mort répété à l’état mystique
de l’information critique 
à la méditation catastrophique
du biologique au métaphysique 
en passant
kabbalistement
par la dérision 
l’obscénité et
bien entendu
le tragique

voilà 
le roman

trouver des mots nouveaux pour 
le confinement

vole le feu
vole le sel
vole le projet

de celui 
qui se battait dans

une organisation artistique

une école 
seulement faite de mots






























tout est double dans les choses

généralement tout peut se classer sous la dénomination 

de positif ou de négatif

mais 

il y a 

une observation 

à faire





la dualité 
se reproduit en se subdivisant 
indéfiniment 

de 
sorte 
qu'

une unité 
positive ou négative relativement à 
une autre


se
partage 
elle-même 
en deux autres unités positive et négative relativement 
entre elles







La création présente dès le principe 
deux termes opposés qui la renferment toute l'esprit et la matière







































Giulia Napoleone 

LA CLARTÉ 

NERO DI CHINA

2018-2019 

Galleria Il Ponte

Firenze







































celui 
qui prend du recul voit clair

celui 
qui est trop près ne voit que 
du brouillard

Lao-Tseu










résumé 
la galaxie a 
des bras où l’activité stellaire s’intensifie 
gaspillage 
des gaz 
dans la région inter-bras 
les atomes radioactifs se désintègrent 
le voyage dure environ cent millions d’années


1623
mysterium magnum 
de la révélation 
du verbe divin
par les trois principes 
de l’être ainsi que 
de l’origine 
du monde et 
de l’acte créateur 



nous 
sommes la triste opacité de nos spectres 
futurs

une extension 
à la fois étonnante et bouillonnante 



commençons
par évoquer le domaine
de la cryptographie qui consiste
à émettre des messages déchiffrables
uniquement par l'émetteur et par le destinataire

voyez
ces traces
curvilignes et arborescentes
que laissent les particules dans
les chambres à
bulles



































la vague et l'océan















la création présente

dès le principe

deux termes opposés qui la renferment toute

l'esprit et la matière









l'esprit
est à la fois
sentiment et connaissance

le
sentiment
se partage en amour et haine

la
connaissance
en fol et science

la
science
en synthèse et analyse.




c'est l'idée du non être qui s'échappant de l'unité par le nombre deux produit tous les nombres qui sont les types des créatures et rend la création possible

c'est pourquoi Dieu en créant a imprimé avant tout à la création ce nombre deux comme insigne qui la distingue à jamais de l'unité indivisible qui n'appartient qu’à lui





































pourquoi paradis ? 

parce que
même si j’étais en enfer
ce serait ma manière d’être













parce que
j’ai l’impression d’être
entré par hasard dans l’immense
humour du non-être

lequel pourtant  
éprouve la nécessité inouïe 
d’être 
dit



paradis 
la nécessité inouïe d'être 
DIT















ce qui est vrai

c'est que je vais dans tous les sens

parfois

je rentre dans les arbres

je m'ouvre

un passage

dans

une forêt de textes

résultat

une tempête de phrases

qui m'empêche de lever la tête pendant

des jours

































.

le Point

ce sujet est plus sérieux qu'on ne pense

le 
point 
est 

un mystère 
qui éblouit et défie l'intelligence 
humaine 









le vrai point

le point géométrique 
renferme dans sa définition deux conditions 
inconciliables 

il est 
indivisible pour être 
exact

et 

doit être 
localisé pour être point 
de départ



or 
s'il 
est indivisible 
il n'est point matériel 
et ne peut-être 
dans 

un lieu 

s'il 
occupe un lieu 
il n'est plus Indivisible

il n'est plus le vrai point 
géométrique


l’Unité seule
qui est par elle-même indivisible 
et sans limite

est incompatible 
avec la matière qui est essentiellement 
limite divisible





c'est 
la dilatation de ce point qui produit 
l'Espace

et c'est
le mouvement dans l’espace 
qui fait le Temps








































l'
expression 
nœud 

granthi du coeur

est utilisé par les Upanishad

défaire ce nœud 
c'est atteindre à l'immortalité






la parabole 
du détachement des nœuds
développée dans le Surangala-sûtra
est célèbre

défaire les nœuds de l'être
enseigne Bouddha c'est le processus
de la libération

mais

les nœuds 
faits dans un certain ordre 
ne peuvent être défaits que dans l'ordre 
inverse

c'est
une question
de méthode rigoureuse
que le Tantrisme s'applique 
à déterminer


































Masque yup'ik

Goodnews Bay Alaska

masque 
yup'ik d'Alaska 
en bois 

en partie recouvert 
de pigments noirs et blancs  
non daté



acquis par 
André Breton à New York en 1945

ce 
masque représente 

un visage humain 

les pommettes 
hautes sous des yeux asymétriquement 
ouverts

la bouche grimaçante

les traces d'épannelage
sont très lisibles sur la surface du masque

des pigments
blancs et noirs viennent cerner les paupières
et le nez

à l'intérieur
du masque deux tampons de douane.
catalogue de la vente
2003



masques 
une sélection 
de la collection André Breton

ici



































Lire un livre demande un temps fou
or nous vivons dans une culture de la citation 










Écrivain et poète « post-Internet », pourfendeur de l’écriture créative et défenseur du plagiat, Kenneth Goldsmith a de l’imagination à revendre et ne mâche jamais ses mots. Nous avons donc profité d’une escale parisienne du plus new-yorkais des théoriciens de la littérature pour échanger sur sa vision du futur de l’écriture.

Donner rendez-vous à un poète à 9 heures un lundi matin… Quelle idée nous avons eue là ! C’est finalement deux heures plus tard que Kenneth Goldsmith arrive, après une nuit d’errances parisiennes, ville où il est présent en tant que professeur invité par l’université Paris-VIII pour présenter l’uncreative writing – le contraire de l’écriture créative, donc –, discipline qu’il enseigne également à l’université de Pennsylvanie.

Dans ses cours, l’homme fait l’apologie du plagiat, de la copie, du vol et de l’emprunt littéraire. Fondateur d’UbuWeb, site d’archivage littéraire en ligne depuis 1996 qui se décrit comme une sorte de « Robin des bois de l’avant-garde », Kenneth Goldsmith est aussi le premier lauréat de poésie du Museum of Modern Art (MoMA) de New York et une figure de Twitter – 21 000 followers au compteur, peu commun pour un poète. Il lie l’évolution de la littérature à celle de la technique et a résumé ses vues sur le sujet dans un ouvrage dense mais passionnant, L’Écriture sans écriture, du langage à l’âge numérique (Jean Boîte Éditions, 2018).

Pour cet amoureux des mots, le roman n’est pas en train de mourir puisqu’il s’est arrêté dès 1939 avec la publication de Finnegans Wake de James Joyce. Mais pas de panique : quatre-vingts ans plus tard, la littérature se porte quand même très bien si l’on en croit le dandy Goldsmith


Usbek & Rica : En France, nous venons de créer des masters de création littéraire pour imiter les réussites américaines en matière de creative writing. Vous enseignez l’uncreative writing en réponse à ce que vous considérez comme une défaite pour la création littéraire… Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ?

Kenneth Goldsmith : L’écriture créative sert en réalité à faire des livres formatés. Ils se ressemblent tous dans le format, la voix, les personnages et les intrigues. Un de mes amis a fait une étude portant sur les livres candidats au Booker Prize et a montré qu’ils avaient tous la même structure narrative, qu’ils abordaient tous les mêmes thèmes... C’est désespérant mais c’est une industrie qui fonctionne ainsi. Je me souviens d’un cours à Columbia, en master, auquel on m’avait invité. Je leur expliquais ce que je faisais et ça ne les intéressait pas du tout car tout ce qu’ils voulaient, c’était vendre à Hollywood. Et donc faire la même chose. Alors qu’il faut oser le plagiat, la copie, l’absence d’originalité ! Toutes choses résolument prohibées par la technique du creative writing, et qui sont pourtant le seul moyen d’être véritablement original. Par ailleurs, la « créativité » s’est déployée partout : aujourd’hui, même les hôtels et les cafés sont « créatifs »… Donc je crois que ce mot n’est tout bonnement plus approprié. Il faut passer à autre chose.



Certains auteurs de fiction contemporains trouvent-ils quand même grâce à vos yeux ? Qui sont les grands écrivains de notre temps ? Jonathan Franzen, Chimamanda Ngozi Adichie ?

Non, désolé ! J’ai essayé, mais j’ai définitivement abandonné. Je lis de la fiction du XIXe siècle, voire du début du XXe. Je ne lis plus de fictions contemporaines car la réalité est bien plus intéressante et plus fictionnelle. La une du New York Times est bien plus folle que tous les romans d’aujourd’hui. Depuis vingt ans, nous avons de la télé-réalité partout, y compris un « président de télé-réalité ». Il n’y a pas encore d’art à la hauteur du personnage Donald Trump, qui vient de « The Apprentice » et comprend parfaitement l’hyper-réalité de l’époque. Il dépasse de très loin les œuvres d’art qui lui sont consacrées, y compris la mienne (à l’occasion de l’édition 2019 de la Biennale de Venise, Kenneth Goldsmith a présenté l’impression des 30 000 mails d’Hillary Clinton sujets à une investigation du FBI, ndlr). Donc, non, la réalité n’a plus besoin de romans. Pour moi, tout s’arrête en 1939 avec Finnegans Wake de James Joyce. Puis le roman est mort. Franchement, après un tel chef-d’œuvre, pourquoi s’ennuyer ?

Tout de même, après 1939, pas mal de choses ont changé, non ?


Oui, mais justement, je préférerais de loin lire des non-fictions sur la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de gens ont essayé de faire de l’art sur la Seconde Guerre mondiale et c’était toujours en deçà de la réalité. Ça me fait penser à la critique très juste de Claude Lanzmann adressée à Steven Spielberg, dans la querelle entre Shoah et La Liste de Schindler : « Je ne vais pas imaginer des choses, il suffit d’écouter les personnes. » Donc pour moi, et j’ai peut-être tort, le roman s’arrête en 1939. Je m’intéresse tout de même à Burroughs, car il est épris de technologie, et à Borges, qui a prédit Internet. Tous deux font de la création littéraire en lien avec leur époque.



Michel Houellebecq 
aurait dû copier intégralement des centaines de pages de Wikipédia et appeler ça son roman 

Et l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), porté dans les années 1960 par des figures comme Georges Perec ou Raymond Queneau ? C’était une démarche incontestablement littéraire mais bien dans son époque, non ?

J’aime beaucoup leurs idées, surtout Perec. Mais ils sont plus intéressants en tant que concept qu’à lire vraiment. La Vie mode d’emploi ou La Disparition sont presque pénibles à lire alors que c’est merveilleux comme concept. Et on ne devrait en parler que comme tel. Idem pour les théoriciens du nouveau roman comme Alain Robbe-Grillet. Conceptuellement, je le trouvais formidable, mais quand j’ai lu ses fictions je me suis dit : « Oh mon Dieu, il écrit de vieux romans ! » Même Houellebecq, je trouve ça déprimant de manque de créativité. Je sais qu’il y a eu une polémique à la suite de quelques passages copiés sur Wikipédia, et je trouve ça inepte ! Il aurait dû copier intégralement des centaines de pages de Wikipédia et appeler ça son roman. Il s’est arrêté à mi-chemin…


Justement, quel intérêt à copier des passages déjà existants ? Vous dites qu’il n’existe pas l’équivalent du ready-made de Duchamp en littérature, mais qu’est-ce que cela apporterait ? Ne serait-ce pas de l’art contemporain plutôt que de la littérature ?

Une prof de Princeton avait demandé à ses étudiants d’essayer d’écrire à la manière de Jack Kerouac. Les résultats furent évidemment très décevants, comparés au chef-d’œuvre original. Les étudiants auraient appris beaucoup plus en écrivant un chapitre de Sur la route. C’est la manière dont tous les artistes s’approprient l’art. Picasso a d’abord copié Rembrandt sans chercher à être « créatif », et tous les étudiants en art copient les chefs-d’œuvre des musées, alors pourquoi la littérature devrait-elle faire exception ? Concernant le ready-made, effectivement, ça manque. Alors art ou littérature ? Ça dépend si le contexte dépasse le concept. Si vous installez le livret d’utilisation d’iPhone dans une galerie, c’est de l’art. Mais si vous le recopiez et l’insérez dans un livre, c’est une appropriation littéraire. Ce genre de pratique existe en musique avec les samples, et tout le monde en reconnaît la dimension artistique.


Vous écrivez qu’Internet est le lieu de la littérature postidentité car, avec le phénomène des avatars, on peut écrire en disant être à la fois une féministe, un suprématiste blanc ou un militant des minorités radicales. Cela signifie que l’écriture pousse à renoncer à son identité pour devenir multiple ?

Nous ne sommes pas la même personne en permanence. Ma vie est fragmentée entre mes différentes activités, mes différents interlocuteurs. Il serait stupide de penser que nous sommes unifiés, uniques, et Internet permet d’adapter notre expression à cette multiplicité. Nous devons accepter les fractures et les disjonctions d’identité au lieu de chercheur à tout unifier.

Un autre changement lié à Internet est ce que vous appelez « l’écriture télépathique », à savoir le fait que vos écrits sont modifiés par les retours que vous recevez en direct (commentaires, likes, etc.). N’est-ce pas un risque de laisser la popularité guider le style au détriment de la création libre ?


Ce n’est pas véritablement une révolution. Quand on écrit un livre universitaire, on a un certain nombre de relecteurs qui vous font des retours et changent un peu le propos. Internet, c’est le même principe de façon amplifiée, et en acceptant les critiques venant d’inconnus. Crowdsourcer des idées et des phrases n’est pas forcément une mauvaise idée, cela peut rendre le livre meilleur. Je pense qu’on verra de plus en plus d’écrivains tester des choses sur Twitter pour voir comment leur audience habituelle réagit et modifier leur travail un peu à la marge. Je n’y vois pas une forme d’aseptisation, plutôt une adaptation.


On lit moins de fiction aujourd’hui qu’il y a dix car on en regarde beaucoup plus sur des écrans. Que vous inspire cette évolution ?


C’est une question complexe. Le problème, c’est que lire un livre demande un temps fou. Or nous vivons dans une culture de la citation, pas de l’engagement. Le nouveau contenu, c’est le contexte. Nous savons tout sans l’avoir expérimenté et les réseaux sociaux amplifient cela : vous avez lu mille histoires et livres sans les avoir lus entièrement. Regardez Wikipédia : quand on vous renvoie vers un lien complexe, vous scrollez distraitement mais vous ne lisez pas tout. Résultat, les romans ont moins d’audience.

On lit toujours tout le temps 
bien plus qu’il y a cinquante ans 

Pour autant, on lit toujours, tout le temps, bien plus qu’il y a cinquante ans, et nous sommes même entravés dans notre envie de lecture : si nous lisions autant que nous le voulions, nous ne ferions que ça. On lit toute la journée, sur Facebook, Twitter et les newsfeeds sur nos téléphones. La technologie a comprimé l’écrit et la lecture, mais nous ne faisons que cela. Et nous avons toujours besoin des deux temporalités : quand je vais à la plage, je vois plein de monde avec un téléphone dans une main et un livre dans l’autre. Nous devons juste admettre que cela va bien et que l’environnement fracturé est le trait caractéristique de la modernité. La lecture sur Internet, c’est le flow ininterrompu. Or, pour construire du sens, il faut sortir de ce flow pour faire autre chose : peindre, livre, écrire. C’est ça la supériorité de l’homme sur la machine : sortir du flow une fois de temps en temps pour lire un livre de 1 200 pages.


Vous avez écrit un pamphlet contre la traduction (Against translation: displacement is the new translation, Jean Boîte Éditions, 2016)… traduit en huit langues. Dans un monde de plus en plus globalisé, pourquoi ce refus de la traduction, et donc de la possibilité de donner accès à tous à des œuvres étrangères ?


Parce que même les meilleures traductions au monde sont imparfaites. D’où le titre « Displacement is the new translation » (qu’on ne traduira pas, par souci de logique, ndlr). Il faut s’imaginer dans la peau d’un migrant qui arrive, dont la réalité est fracturée, et qui va se fier à ses émotions car il ne comprend pas tout. Sans traduction je ne vais pas comprendre mais j’aime sentir la différence. Quand je viens à Paris et que je me promène dans le quartier de Château-d’Eau, je ne comprends rien : j’entre dans un restaurant africain sans savoir ce que je commande, et je trouve ça délicieux et merveilleux à la fois. À quoi me servirait une traduction des plats proposés ?




À quoi ressemblera la littérature d’ici vingt ou trente ans selon vous ?

C’est dur d’écrire un livre sur la technologie car la technologie change tout le temps. Le mien a paru en 2011 (2018 pour la traduction française, ndlr), ce qui est déjà vieux à l’aune des réseaux sociaux, mais je crois que je ne me suis pas trop trompé. Aujourd’hui encore, regarder Internet, c’est observer un gigantesque copier-coller qui donnerait le tournis à Warhol. D’ailleurs, il n’y a pas de Warhol numérique car c’est trop large : personne ne peut emmagasiner toutes ces infos et les détourner. 




Si nous regardions la technologie comme de la littérature, nous serions beaucoup plus apaisés 

À mon avis, l’avenir de la littérature passe par une relation plus posée avec elle, mais c’est terriblement dur pour nous. Le langage est la chose la plus complexe et précieuse que nous possédions. Y toucher, c’est affecter toutes les institutions. Tout peut sauter avec les mots, et ce de toute éternité. On oublie parfois leur puissance, mais ils reviennent toujours : regardez les réseaux sociaux, tout y est mots (sauf Instagram) et cela prouve leur puissance. Et voyez comme ça a bousculé toutes les choses, toutes les conversations qui se perpétuent et se prolongent sans fin : le futur du langage est réplicatif. Pour penser l’avenir, il ne faut pas affronter la technologie mais avancer avec elle. Dans une perspective théologique, si nous regardions la technologie comme de la littérature, nous serions beaucoup plus apaisés.