dimanche, août 09, 2020


si c’était 

cette notion 

du temps incorporé

des années passées non séparées de nous 

que j’avais maintenant l’intention 

de mettre si fort en relief

c’est qu’à ce moment même 

dans l’hôtel du prince de Guermantes 

ce bruit des pas 

de mes parents reconduisant 

M. Swann 





ce tintement rebondissant

ferrugineux

intarissable

criard et frais 

de la petit sonnette 



qui m’annonçait qu’enfin M. Swann était parti 

et que maman allait monter

je les entendis 

encore 

je les entendis 

eux-mêmes

eux situés pourtant si loin 

dans le passé



Alors, en pensant à tous les événements qui se plaçaient forcément entre l’instant où je les avais entendus et la matinée Guermantes, je fus effrayé de penser que c’était bien cette sonnette qui tintait encore en moi, sans que je pusse rien changer aux criaillements de son grelot, puisque, ne me rappelant plus bien comment ils s’éteignaient, pour le réapprendre, pour bien l’écouter, je dus m’efforcer de ne plus entendre le son des conversations que les masques tenaient autour de moi. 


Pour tâcher 

de l’entendre de plus près

c’est en moi-même 

que j’étais obligé de redescendre 


C’est donc que ce tintement y était toujours, et aussi, entre lui et l’instant présent, tout ce passé indéfiniment déroulé que je ne savais que je portais. 

Quand elle avait tinté, j’existais déjà, et depuis, pour que je l’entendisse encore ce tintement, il fallait qu’il n’y eût pas eu discontinuité, que je n’eusse pas 

un instant cessé d’exister, de penser, d’avoir conscience de moi, puisque cet instant ancien tenait encore à moi, que je pouvais encore retourner jusqu’à lui, rien qu’en descendant plus profondément en moi. 


Et c’est parce qu’ils contiennent ainsi les heures du passé que les corps humains peuvent faire tant de mal à ceux qui les aiment, parce qu’ils contiennent tant de souvenirs de joies et de désirs déjà effacés pour eux, mais si cruels pour celui qui contemple et prolonge dans l’ordre du temps le corps chéri dont il est jaloux, jaloux jusqu’à en souhaiter la destruction. 


Car après la mort le Temps se retire du corps, et les souvenirs, si indifférents, si pâlis, sont effacés de celle qui n’est plus et le seront bientôt de celui qu’ils torturent encore, mais en qui ils finiront par périr quand le désir d’un corps vivant ne les entretiendra plus.


J’éprouvais 

un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long non seulement avait, sans 

une interruption, été vécu, pensé, secrété par moi, qu’il était ma vie, qu’il était moi-même, mais encore que j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer. 


La date à laquelle 

j’entendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray

si distant et pourtant intérieur

était 


un point de repère 

dans cette dimension énorme 

que je ne me savais pas 

avoir


J’avais le vertige 

de voir au-dessous de moi

en moi pourtant

comme si 

j’avais des lieues de hauteur

tant d’années





















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