dimanche, juillet 07, 2019


Le soleil dans les mots


Fondre comme neige au soleil

Rien de nouveau sous le soleil


Une place au soleil

Avoir des biens au soleil

Cela n’a vu ni lune ni soleil

Un rayon de soleil dans la vie
















Faire sa cour au soleil levant

Piquer un soleil

Une couleur qui passe au soleil

Prendre un bain de soleil

Un coup de soleil

Exécuter un soleil

Ce poisson à reçu six soleils
il est resté six jours sur la grève

Le soleil de minuit

L’empire du Soleil Levant






La lune dans les mots

Depuis des lunes

Lune de miel

Pêcheur de lune.

Poisson-Lune.

Sel de lune

Aboyer à la lune

Confrère de lune

Visage de lune

Coucher à l’enseigne de la lune

La lune est le soleil des loups

Faire révérence à la lune

Exécuter un coup de pied à la lune

Tomber de la lune

Avoir des lunes

Être bien luné

Être dans la lune

Demander promettre la lune

Vouloir prendre la lune avec ses dents

Montrer la lune en plein midi

Il est bête comme la lune

Faire un trou à la lune


































Dans le monde numérique contemporain

le langage est devenu 

un espace provisoire

passager et déprécié

simple matériau pour être déblayé

reformaté

stocké

et repris dans n’importe quelle forme 

adaptée

avant qu’on s’en débarrasse 

aussi vite











Parce que les mots d’aujourd’hui 

ne coûtent rien et sont produits à l’infini

ils ne sont que déchets

représentant peu

signifiant encore moins



La perte de boussole 

par la réplication ou le spam 

est la norme



Les notions d’authentique ou d’original 

sont de plus en plus 

intraçables 



Ce que nous ne pouvons télécharger 

n’existe pas


La régurgitation est le nouveau mode non créatif 

au lieu de créer

nous honorons et chérissons



embrassons la manipulation 

et la réutilisation 






























Comment représenter le réel ? 

C’est la question que s’est posée la peinture face à la photographie et au cinéma au XXème siècle. En ce début de XXIème siècle et avec le numérique, la question concerne désormais la littérature : comment écrire sans écriture ? 

Comment écrire à l’âge numérique où la création avec tous ces textes, en « open source », ces messages, ces copier-coller qui pullulent en ligne et en réseau, n’a plus lieu d’être ? Comment écrire à cet âge où la figure d’un auteur seul, à son bureau, dont le geste consistant à tracer des lettres sur une feuille, n’a plus lieu d’être non plus ? 

Réponse avec le professeur et poète américain, Kenneth Goldsmith, dans cet essai tout juste traduit en français (par François Bon), L’écriture sans écriture, du langage à l’âge numérique. Et en 4 exemples 















C’est le poète japonais Shigeru Matsui à qui l’on doit ces « purs poèmes », soit des « codes alphanumériques binaires » qu’on trouve en informatique. Et c’est un 1er exemple pour répondre à la question : comment écrire sans écriture ? 

D’abord, en n’étant pas créatif. Certes, ça fait longtemps que l’auteur tout-puissant est battu en brèche, avec les ready-made, les collages et les samples. Mais dans l’écriture, qu’on la critique ou pas (qu’il s’agisse de Platon qui la voyait comme le tombeau de la mémoire ou de Derrida qui en faisait la trace de sa Grammatologie), une idée persiste : celle du créateur qui écrit une œuvre originale, unique et transmissible. 

Or, ce qui compte ici, ce n’est plus qui parle et ce qu’il dit, 1er ou pas, original ou pas, mais la manière dont cela est dit, construit, conçu, faisant du génie une sorte de programmeur web.  

Parfois, à écouter Guy Debord, on peut se demander ce qui distingue son ton monotone d’un code informatique… En cela, il préfigure d’ailleurs cette nouvelle écriture sans écriture : celle où l’auteur importe moins que le texte, celle aussi où le sens originel importe moins que le réagencement, la reprise, la relecture et que le détournement dont il fait l’objet. 

C’est la 2ème réponse à « comment écrire sans écriture ? » : en abandonnant certes le geste 1er de la formation des phrases, mais pas la manipulation de ces mêmes phrases. Debord proposait de dévier de nos chemins connus, et c’est bien ce qui passe aujourd’hui, avec par exemple : la dérive du chef d’œuvre de Kerouac, Sur la route, redactylographié intégralement sur un blog ; avec, aussi, le détournement des pires résultats de requête Google ; ou avec ce mot « rouge » que l’on fait dérailler… 

Ce n’est pas du Frédéric Chopin, mais du Henri Chopin. Et c’est le 3ème exemple que l’écriture sans écriture, c’est non seulement de la reprise (sans auteur), du détournement (sans un sens définitif), et c’est aussi un dépouillement : loin de là le contenu, original, propre et 1er, et le contenu tout court. 

Peu importe qu’il s’agisse du mot « rouge », peu importe son sens, l’idée est d’en entendre la texture et les tensions, le contexte où il émerge et qui révèle cette matière tendue. Ecrire sans écrire, c’est ainsi accorder toute son importance non plus à ce qui est dit, mais au dire lui-même, non plus au contenu mais au contexte : 

Enfin, dernier exemple : Georges Perec et sa « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » pour répondre à cet impossible projet : comment écrire sans écriture. Kenneth Goldsmith le cite, enfin, pour révéler la fécondité de l’ordinaire. Traitement de texte, base de données, identités cryptées : vous pensiez recopier, répéter, plagier, vous vous pensiez englué dans le quotidien d’une écriture non-créative, vous en sortez pourtant renouvelé. 



































une longue ligne 

une ceinture

Quel est ce courant
Qu’est-ce que le vent qu’est-ce que c’est
Où la longueur est-elle sereine



elle est là



un lieu sombre

n’est pas 

un lieu sombre















seulement

blanc et rouge font
noir

seulement

jaune et vert font
bleu



un rose 
est écarlate

un arc 
est de toutes les couleurs

une ligne le discerne

une ligne suffit à le discerner



































STEIN

une lampe 
n’est pas le seul signe du verre

lampe et gâteau 
ne sont pas les seuls signes de la pierre

lampe gâteau
et couvercle ne sont pas la seule 
nécessité absolue

un projet 
un projet courageux

une maladie comprimée
et pas de café
pas même 

une carte 
ou 
un changement 
pour infléchir chaque direction





un projet 
qui a cet excès et cette
rupture est celui qui montre du remplissage

TENDRES BOUTONS




La sœur n’était pas 
un monsieur. 

Était-ce surprenant. 

Ça l’était. 
La conclusion est venue lorsqu’il n’y avait pas d’accord. 

Tant qu’il y avait question 
il y avait décision. 


Remplacer 

une relation 
de hasard 
par 

une fille 
ordinaire 
ne fait 
pas 

un fils

C’est arrivé de telle sorte que le temps était parfait et que grandissait un tout divisant le temps si bien que là où il n’y avait pas d’erreur avant il n’y en avait pas maintenant. Par exemple avant lorsqu’il y avait une séparation il y avait attente, à présent lorsqu’il y avait séparation il y avait la division entre vouloir et partir.































le sens réside

dans la possibilité de reconnaître


l'espace visuel

par essence

n'a pas de propriétaire


fusion et décomposition

et non pas

addition et soustraction


le sodium et le chlore réagissent ensemble








les méthodes techniques 

avec lesquelles les mots sont travaillés

sont

d'

une infinie variété

































le présent est seul

essarté


défricher 
une terre en arrachant et éventuellement
en brûlant

les arbres et les broussailles 
avec les souches et 
les racines


être en marge
















c'est avoir atteint le lieu du présent

le lieu

de l'avant et de l'après-lieu


le présent

est le temps que l'on conjugue

contre




un lumineux trajet

dans

un tracé plus long




la clé 
de l'oeuvre 
est

le 
songe 
d'
une clé





l'obsession du jour

le cœur et l'esprit

des mains disponibles

le livre des questions



































LE LIVRE

Comment peut-on 
aborder la notion de beauté aujourd’hui ? 

Après plus de vingt siècles de réflexions sur un plan esthétique, philosophique ou poétique, elle apparaît toujours aussi mystérieuse et difficile à définir.









Sur la terre ou dans l’univers, partout nous contemplons de belles  choses : un paysage, un ciel étoilé, des reflets colorés sur l’eau, de la neige qui tombe, un animal, le visage d’un homme, d’une femme, un regard… Mais derrière ces apparences, nous sommes amenés à nous interroger : regardons-nous toutes ces merveilles de manière objective ou subjective ? La beauté existe-t-elle par hasard ou provient-elle d’une force divine ? Est-elle supérieure à la nature lorsqu’elle est artistique ? Quelle est son utilité ? Peut-elle faire progresser nos sociétés ? Autant de questions qui, depuis l’Antiquité, ont fait réagir, converser et écrire des philosophes, des écrivains, des poètes, des peintres, des historiens de l’art et des penseurs de toutes les disciplines et nous éclaire sur l’importance de la beauté dans nos existences.



LES AUTEURS ET LEURS EXTRAITS

La Beauté est un choix de textes de quatre-vingts auteurs, de l’Antiquité jusqu’au monde contemporain, parmi lesquels Sapho, Platon, Héraclite, saint Augustin, Hölderlin, Shelley, Madame de Staël, Victor Hugo, Nietzsche, Baudelaire, Poe, Van Gogh, Delacroix, Marcel Proust, Simone Weil, Kandinsky, Tanizaki, Marguerite Yourcenar, François Cheng…

































horizon 
qui selon la pente du jour
me parle et se tait 



Sentes dans le temps

Jean-Claude Schneider

éditions Apogée

Trois cheminements
parmi ces halliers de questions que le monde
la vie et l'histoire
sans repos
font surgir devant nos pas



rendre le regard

autre












comme ces figures

engluées à leur gangue d’huile et pigments :

de chair boue buée re-

corporées

au souffle à la salive qui obombrent les jours

rétine

ayant bu, buvant, boira - soif

d’un sans-fond

pour ça : la mixture reluquable

à revoir, donc, la savoir

apparaître puis, s’effaçant, se repaître

horizon qui selon la pente du jour

me parle et se tait :

les apparences

dont le nom

ne répète que le vide où s’est tenu

(mais cela me suffirait, cela

je ne m’en dégoûterais pas si étaient

redonnées ces poignées d’heures

à ma soif)

le bord tremblé de leur contenant 



Sentes dans le temps 
Jean-Claude Schneider
Éditions Apogée
2001, pp.11-12

































une lumière invisible

opère en moi le vouloir et le faire



oubliant

ce qui est derrière moi

et me portant de tout moi-même

vers ce qui est en avant



je 
marche
droit au but

































le système était en train de s'effondrer


la lumière 
boit les ténèbres

et puis 

elle 
coule

elle se noie


















en ce temps-là

pourtant

c'était différent


les hommes sentaient les choses

différemment

leurs réactions étaient

différentes



les mots ainsi forgés et les phrases

forgées par ces mots

étaient secs

et clairs

comme s'ils avaient été de bois





ce que l'on 
ressentait ne disparaissait
jamais