dimanche, juillet 07, 2019



Comment représenter le réel ? 

C’est la question que s’est posée la peinture face à la photographie et au cinéma au XXème siècle. En ce début de XXIème siècle et avec le numérique, la question concerne désormais la littérature : comment écrire sans écriture ? 

Comment écrire à l’âge numérique où la création avec tous ces textes, en « open source », ces messages, ces copier-coller qui pullulent en ligne et en réseau, n’a plus lieu d’être ? Comment écrire à cet âge où la figure d’un auteur seul, à son bureau, dont le geste consistant à tracer des lettres sur une feuille, n’a plus lieu d’être non plus ? 

Réponse avec le professeur et poète américain, Kenneth Goldsmith, dans cet essai tout juste traduit en français (par François Bon), L’écriture sans écriture, du langage à l’âge numérique. Et en 4 exemples 















C’est le poète japonais Shigeru Matsui à qui l’on doit ces « purs poèmes », soit des « codes alphanumériques binaires » qu’on trouve en informatique. Et c’est un 1er exemple pour répondre à la question : comment écrire sans écriture ? 

D’abord, en n’étant pas créatif. Certes, ça fait longtemps que l’auteur tout-puissant est battu en brèche, avec les ready-made, les collages et les samples. Mais dans l’écriture, qu’on la critique ou pas (qu’il s’agisse de Platon qui la voyait comme le tombeau de la mémoire ou de Derrida qui en faisait la trace de sa Grammatologie), une idée persiste : celle du créateur qui écrit une œuvre originale, unique et transmissible. 

Or, ce qui compte ici, ce n’est plus qui parle et ce qu’il dit, 1er ou pas, original ou pas, mais la manière dont cela est dit, construit, conçu, faisant du génie une sorte de programmeur web.  

Parfois, à écouter Guy Debord, on peut se demander ce qui distingue son ton monotone d’un code informatique… En cela, il préfigure d’ailleurs cette nouvelle écriture sans écriture : celle où l’auteur importe moins que le texte, celle aussi où le sens originel importe moins que le réagencement, la reprise, la relecture et que le détournement dont il fait l’objet. 

C’est la 2ème réponse à « comment écrire sans écriture ? » : en abandonnant certes le geste 1er de la formation des phrases, mais pas la manipulation de ces mêmes phrases. Debord proposait de dévier de nos chemins connus, et c’est bien ce qui passe aujourd’hui, avec par exemple : la dérive du chef d’œuvre de Kerouac, Sur la route, redactylographié intégralement sur un blog ; avec, aussi, le détournement des pires résultats de requête Google ; ou avec ce mot « rouge » que l’on fait dérailler… 

Ce n’est pas du Frédéric Chopin, mais du Henri Chopin. Et c’est le 3ème exemple que l’écriture sans écriture, c’est non seulement de la reprise (sans auteur), du détournement (sans un sens définitif), et c’est aussi un dépouillement : loin de là le contenu, original, propre et 1er, et le contenu tout court. 

Peu importe qu’il s’agisse du mot « rouge », peu importe son sens, l’idée est d’en entendre la texture et les tensions, le contexte où il émerge et qui révèle cette matière tendue. Ecrire sans écrire, c’est ainsi accorder toute son importance non plus à ce qui est dit, mais au dire lui-même, non plus au contenu mais au contexte : 

Enfin, dernier exemple : Georges Perec et sa « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » pour répondre à cet impossible projet : comment écrire sans écriture. Kenneth Goldsmith le cite, enfin, pour révéler la fécondité de l’ordinaire. Traitement de texte, base de données, identités cryptées : vous pensiez recopier, répéter, plagier, vous vous pensiez englué dans le quotidien d’une écriture non-créative, vous en sortez pourtant renouvelé. 


































Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire