Lionel André / promenades / randonnées / arts / littératures / air du temps
mardi, mars 05, 2019
c'est que du bonheur
Percevez-vous
parfois votre propre dissonance ?
il m' arrive d'éprouver ce sentiment flottant de perdre la face lorsque quelques mots étrangement scandaleux prononcés par d'autres me font soudain me sentir parfaitement excentrés des attentes du monde social ?
on
m' exhorte
à reprendre ces mots
mais je devine que les prononcer
reviendrait à renoncer
à
un
capital
autobiographique
indistinct mais précieux
et à faire acte d'allégeance à
une
sorte
de pacte qui me définit
à l'emporte-pièce
ces mots
m' intimident
me neutralisent
me mettent hors-jeu
me cantonnent au rang de fautif
ils me dénudent affreusement sans cesser de m' écraser et me laissent l'impression de ne pas être dignes du rang qui marque théoriquement l'accomplissement d'un être humain en société
je pressens
aussi que mon absence de réaction fait de moi le principal responsable de cette destitution
en général
je n'ai pas les moyens d'investir plus avant les effets de ce malaise car l'animosité et le désarroi qui s'emparent de moi me condamnent presque toujours à l'accablement
seules s'imposent des réactions épidermiques qui la plupart du temps par un processus de digestion dont j'ignore les rouages me poussent finalement à accepter les termes d'une communication qui me semblait encore intolérable quelques instants plus tôt
Alors
je pressens que je peux
aussi refuser d'adhérer à cette normalisation
je peux essayer de la transgresser
en considérant qu'il existe une alternative
critique à ces mots que mon for intérieur refuse
viscéralement
je
suis
devenu
une
anomalie
soit
mais à cela correspond un enseignement qui nourrit durablement la compréhension de ces mots qui me semblent parfaitement imprononçables telle une authentique trahison du corps lequel ne m'apparaît plus comme un appareillage physiologique mais comme le cimetière d'un langage à inventer
voilà
ce que personne ne commente
voilà
le scandale
l'isolement
du dissonant est grand
il
se perçoit
comme un être sinistre
vérifiant douloureusement
que derrière la légèreté apparente
de ces mots
il y a
mille accusations
que par respect pour la bienséance
du bonheur sans contexte personne n'évoquera
mais
on peut aujourd'hui en
dresser
un
inventaire
non exhaustif
se masturber l'esprit
être
un triste
sire quand tout le monde danse
un individu
lourd quand tout le monde est léger
être
un poids d'angoisse
un boulet critique
un écorché vif
un être théâtralement obscène
une escarre
sur la peau de soie de l'époque
un énergumène minable
un velléitaire
un irresponsable
cette
dernière
accusation étant
au fond la plus répandue
le langage du bonheur
sans contexte essentialise l'époque
en éliminant ce qui lui porte préjudice
il oblige le dissonant à se convaincre de son incapacité à jouir de la vie proposée selon ces termes ce qui le ramène ce pauvre psalmiste à sa condition de non-jouisseur convergeant vers cette intolérable et pourtant inéluctable issue : sa propre gravité
à partir de cet état de perception à l'instant où entendant ces mots aberrants le dissonant se pince la lèvre inférieure de désarroi il se découvre dans le miroir déformant que lui tendent sans avoir l'air d'y toucher ces gens raisonnablement passionnés par le monde social tel que le définit le langage du bonheur sans contexte
des mots se forment mais comme la flamme dans le vide s'éteignent instantanément dans l'environnement de ce bonheur ésotérique
le dissonant devient l'isolement même avec des nuances identifiables a posteriori dans l'instant il est tout à sa mortification
un triste sire
un infâme
effrayant rabat-joie
pisse-froid
tue l'amour
criticiste du système nourricier
sous-être ingrat
crachant dans la soupe
un fou incertain
un flou
nébuleux serviteur
d'
une cause indiscernable
voire opaque
un martyr stupide
ou dangereux
un abject
un dissident crapuleux
un terroriste
comment savoir ?
je
ne sais si l'on vous
a
un jour
fait comprendre
que vous étiez trop grave
pour l'époque
mais
c'est quelque chose
d'être jugé de cette façon
d'être privé de langage comme dénudé
avec
Éric Chauvier
C’est que du bonheur
Allia
2009
écrire
=
syntaxe du silence
cette
phrase
est immédiatement
une lutte
ce
corps
est immédiatement
une lutte
dans
le monde entier le langage de la
révolution
langage
muet de la question et du
corps
24
états
du corps par seconde
24
images
du corps par seconde
24
états
du corps dans le corps
24
états
de la phrase par seconde
le
corps
est mortel
comme toujours
le
corps
est divisé en deux
le
corps
divisé en deux
est divisé en deux
le
corps
divisé en deux
divisé en deux divisé
en deux est divisé en deux
une communauté / un langage / un sentiment
Terre Mère
je
chante au lieu
d'
une
communauté ouverte
où
le prénom
est le nom de tous
peut-être
le prénom des hommes
se cache-t-il enfin dans le poème
qui comprendra que la littérature n'est pas
un
langage
mais qui clamera
au bord de la nuit revenue
que
la
littérature
est
un
sentiment
précision
la Pythie
dit Plutarque
s'exprime en
un
langage
qui
rappelle
la définition que
donnent de la ligne droite
les mathématiciens :
la
plus courte
entre deux points
donnés
*
dans
la religion grecque antique
la Pythie
en grec ancien Πυθία
également appelée Pythonisse
est
l'oracle du temple d'Apollon à
Delphes
elle
tire son nom de
Python
le
serpent
monstrueux
qui vivait dans
une grotte
à l'emplacement du site actuel du sanctuaire
et qui terrorisait les habitants de la région autour du mont Parnasse avant d'être tué par Apollon
ou bien de Pytho le nom archaïque de la ville de
Delphes
illustration
John Collier
Prêtresse de Delphes
1891
musée national d'Australie-Méridionale
Adélaïde
La Pythie sort d’une des familles les plus honnêtes et les plus respectables qui soient ici et elle a toujours mené une vie irréprochable mais elle n’apporte avec elle en descendant dans le lieu prophétique aucune parcelle d’art ou de quelque autre connaissance c’est vraiment avec une âme vierge qu’elle s’approche du dieu
je
n'ai rien de spécial à vous
offrir
juste
une
fleur de lotus
dans
un
petit vase
à
regarder
un
long moment
*
je
pense
en pièces détachées
idées
séparées
images
formées par
contiguïté
je note
l'art de la poésie
tient à la fluidité resserrée
c'est-à-dire
à la vertu de densité
je
note aussi
que le poète juxtapose et
rive