mercredi, janvier 06, 2016

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serge marcel roche
















Ma vie au village  34


Notre destin se lit parfois près de l'antre de la mygale dans les bâtonnets qu'elle ordonne au gré de sa lucidité, elle les renfouille aussi, les déverse, voit l'avenir en ce qu'elle agence du réel, des traits sur la terre, idéogrammes à briser les nouées ou dessin prévisible de tous nos ossements. Absorbés par sa bouche, guettant l'orée du fil, la sécrétion en quoi se dit le salut ou la mort, et son front qui abstrait le masque, exsude l'angoisse qu'avons de la nuit, on ne la voit surgir rompant l'attente quand s'opère la vision, une suspension dans la poussière, un trou de la pensée et l'on repart aux pistes avec les pieds sales, le surin du soleil planté entre les yeux.


chemin tournant































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les mots














c'est blanc sur noir

addition

soustraction

amenuisement du sens


























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Meuble composé












principalement 
d'un cadre rigide de métal 
ou de bois 

supportant 
des parties souples 

(sommier, matelas) 

et garni de draps
de couvertures ou d'autres pièces 
protégeant du froid

sur lequel 
on s'étend principalement 

pour 
dormir
se reposer

























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Paul Klee 












Nocturnal Rock

1927 


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aux premières heures

un
deux  trois

le temps 
était là et a tourné


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Dans la presque obscurité


Marcel Proust

à Jeanine et Eliane



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les mots 
ouvrent d'étranges
passages




























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pour seul théâtre

une fenêtre















quoi ?

que faire ?

VOIR


regarder avidement




le bleu pâle le rose

pâle 

les reflets 
rose et bleu pâle

sur la vitre



les transparences

le ciel

les arbres





lire avidement
et se souvenir la vue

la lenteur

la mémoire




























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sans doute 
parce que le propre 
de la réalité













est de nous paraître irréelle, incohérente, du fait qu’elle se présente comme un perpétuel défi à la logique, au bon sens, du moins tel que nous avons pris l’habitude de les voir régner dans les livres - à cause de la façon dont sont ordonnés les mots, symboles graphiques ou sonores de choses, de sentiments, de passions désordonnées - si bien que naturellement il nous arriva parfois de nous demander laquelle des deux réalités est la vraie (…) parce que l’imagination ou la mémoire - même fraîchement impressionnée - ne fonctionnent somme toute jamais que comme des auxiliaires de l’organisme travaillant à digérer, s’assimiler, faire siens - par avance ou après coup - événements ou émotions, de façon - exactement comme pour les aliments - à les rendre sinon profitables, du moins tolérables)



Claude Simon

L’Herbe

Minuit

1958


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Photographie

Herbert List

GREECE

Cyclades Naxos

Young boy

1937

































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Caractère
















état position 
de ce qui est vertical


vérifier
avant d'aller plus loin 
sa verticalité avec un fil à plomb



*





Tout discours est pris dans le jeu des degrés. On peut appeler ce jeu : bathmologie. Un néologisme n'est pas de trop, si l'on en vient à l'idée d'une science nouvelle : celle des échelonnements de langage. Cette science sera inouïe, car elle ébranlera les instances habituelles de l'expression, de la lecture et de l'écoute (« vérité », « réalité », « sincérité ») : son principe sera une secousse: elle enjambera, comme on saute une marche, toute expression.

Roland Barthes 
par Roland Barthes




*






Alors

Alors rien 

dit-il 


regardant 
toujours par delà 
les arbres

les prés

la paisible 
campagne de janvier

ce quelque chose 
qu’il ne pouvait pas 

voir



arbres

































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à peu près
  indéfiniment


















Les langues pendantes 
du papier décollé laissent 
apparaître le plâtre humide 
et gris qui s’effrite, 

tombe par plaques 
dont les débris sont éparpillés 
sur le carrelage devant la plinthe marron, 

la tranche supérieure 
de celle-ci recouverte d’une 
impalpable poussière blanchâtre. 



Immédiatement 
au-dessus de la plinthe court 
un galon

(ou bandeau ?) 

dans des tons 
ocre-vert et rougeâtres
(vermillon passé) 

où se répète 
le même motif 

(frise :) 

de feuilles d’acanthe 
dessinant une succession 
de vagues involutées. 



Sur le carrelage 
hexagonal brisé en plusieurs 
endroits

(en d’autres comme corrodé) 

sont aussi éparpillés 
parmi les débris de plâtre 
divers objets 

ou 
fragments d’
objets 

(morceaux de bois, 
de brique, 
de vitres cassées, 
le châssis démantibulé d’une fenêtre, 
un sac vide dont la toile rugueuse 
s’étage en replis mous, 
une bouteille couchée, 
d’un vert pâle, 
recouverte de la même poussière 
blanchâtre et à l’intérieur de laquelle 
on voit une pellicule lilas de tanin desséché 
et craquelé déposée sur le côté du cylindre, etc.). 




Du plafond 
pend une ampoule de faible 
puissance 

(on peut sans être aveuglé en fixer le filament)

vissée 
sur une douille de cuivre 
terni. 



Au-dessous 
du minuscule et immobile 
déferlement
de vagues végétales
qui se poursuivent sans fin
sur le galon 
de papier fané, 

l’archipel crayeux 
des morceaux de plâtre
se répartit en îlots d’inégales grandeurs 
comme les pans détachés d’une falaise
et qui se fracassent à son pied. 



Les plus petits, 
de formes incertaines, 

molles, 

se sont dispersés au loin 
après avoir roulé sur eux-mêmes. 


Les plus grands, 
parfois amoncelés, 
parfois solitaires, 
ressemblent à ces tables rocheuses 
soulevées en plans inclinés par la bosse

(équivalent 
en relief du creux — ou d’une partie
du creux — laissé dans le revêtement du mur) 

qui en constitue
l’envers et sur laquelle ils reposent. 



Sur leur face lisse 
adhère quelquefois encore 
un lambeau de feuillage jauni, 

une fleur.


La description (la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l’entraînement des métaphores proposées, l’addition d’autres objets visibles dans leur entier ou fragmentés par l’usure, le temps, un choc (soit qu’ils n’apparaissent qu’en partie dans le cadre du tableau), sans compter les diverses hypothèses que peut susciter le spectacle. Ainsi il n’a pas été dit si (peut-être par une porte ouverte sur un corridor ou une autre pièce) une seconde ampoule plus forte n’éclaire pas la scène, ce qui expliquerait la présence d’ombres portées très opaques (presque noires) qui s’allongent sur le carrelage à partir des objets visibles (décrits) ou invisibles — et peut-être aussi celle, échassière et distendue, d’un personnage qui se tient debout dans l’encadrement de la porte. Il n’a pas non plus été fait mention des bruits ou du silence, ni des odeurs (poudre, sang, rat crevé, ou simplement cette senteur subtile, moribonde et rance de la poussière) qui règnent ou sont perceptibles dans le local, etc., etc.





Claude Simon

Générique  de Leçon de choses 

(Minuit, 1975, p. 9-11)




Photographie
Texture de mur humide 
de plâtre de couleur pour le fond


















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