mercredi, janvier 06, 2016

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à peu près
  indéfiniment


















Les langues pendantes 
du papier décollé laissent 
apparaître le plâtre humide 
et gris qui s’effrite, 

tombe par plaques 
dont les débris sont éparpillés 
sur le carrelage devant la plinthe marron, 

la tranche supérieure 
de celle-ci recouverte d’une 
impalpable poussière blanchâtre. 



Immédiatement 
au-dessus de la plinthe court 
un galon

(ou bandeau ?) 

dans des tons 
ocre-vert et rougeâtres
(vermillon passé) 

où se répète 
le même motif 

(frise :) 

de feuilles d’acanthe 
dessinant une succession 
de vagues involutées. 



Sur le carrelage 
hexagonal brisé en plusieurs 
endroits

(en d’autres comme corrodé) 

sont aussi éparpillés 
parmi les débris de plâtre 
divers objets 

ou 
fragments d’
objets 

(morceaux de bois, 
de brique, 
de vitres cassées, 
le châssis démantibulé d’une fenêtre, 
un sac vide dont la toile rugueuse 
s’étage en replis mous, 
une bouteille couchée, 
d’un vert pâle, 
recouverte de la même poussière 
blanchâtre et à l’intérieur de laquelle 
on voit une pellicule lilas de tanin desséché 
et craquelé déposée sur le côté du cylindre, etc.). 




Du plafond 
pend une ampoule de faible 
puissance 

(on peut sans être aveuglé en fixer le filament)

vissée 
sur une douille de cuivre 
terni. 



Au-dessous 
du minuscule et immobile 
déferlement
de vagues végétales
qui se poursuivent sans fin
sur le galon 
de papier fané, 

l’archipel crayeux 
des morceaux de plâtre
se répartit en îlots d’inégales grandeurs 
comme les pans détachés d’une falaise
et qui se fracassent à son pied. 



Les plus petits, 
de formes incertaines, 

molles, 

se sont dispersés au loin 
après avoir roulé sur eux-mêmes. 


Les plus grands, 
parfois amoncelés, 
parfois solitaires, 
ressemblent à ces tables rocheuses 
soulevées en plans inclinés par la bosse

(équivalent 
en relief du creux — ou d’une partie
du creux — laissé dans le revêtement du mur) 

qui en constitue
l’envers et sur laquelle ils reposent. 



Sur leur face lisse 
adhère quelquefois encore 
un lambeau de feuillage jauni, 

une fleur.


La description (la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l’entraînement des métaphores proposées, l’addition d’autres objets visibles dans leur entier ou fragmentés par l’usure, le temps, un choc (soit qu’ils n’apparaissent qu’en partie dans le cadre du tableau), sans compter les diverses hypothèses que peut susciter le spectacle. Ainsi il n’a pas été dit si (peut-être par une porte ouverte sur un corridor ou une autre pièce) une seconde ampoule plus forte n’éclaire pas la scène, ce qui expliquerait la présence d’ombres portées très opaques (presque noires) qui s’allongent sur le carrelage à partir des objets visibles (décrits) ou invisibles — et peut-être aussi celle, échassière et distendue, d’un personnage qui se tient debout dans l’encadrement de la porte. Il n’a pas non plus été fait mention des bruits ou du silence, ni des odeurs (poudre, sang, rat crevé, ou simplement cette senteur subtile, moribonde et rance de la poussière) qui règnent ou sont perceptibles dans le local, etc., etc.





Claude Simon

Générique  de Leçon de choses 

(Minuit, 1975, p. 9-11)




Photographie
Texture de mur humide 
de plâtre de couleur pour le fond


















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