Invocation à Joyce de Jorge Luis Borges
Épars dans des capitales éparses
solitaires et nombreux
nous jouions à être le premier Adam
qui donna leur nom aux choses
Sur les vastes pentes de la nuit
qui touchent à l'aurore
nous cherchions je m'en souviens toujours les mots
de la lune de la mort du matin
et des autres coutumes de l'homme
Nous fûmes l'imagisme le cubisme
les conventicules et les sectes
que vénèrent les crédules universités
Nous proscrivîmes les majuscules
nous inventâmes les vers imponctués
et les strophes en forme de pigeon
des bibliothécaires d'Alexandrie
Cendre que le labeur de nos mains
et feu ardent que notre foi
Toi entre-temps
dans les villes de l'exil
dans cet exil qui fut
ton instrument exécré et choisi
l'âme de ton art
tu dressais tes ardus labyrinthes
infinitésimaux et infinis
admirablement mesquins
plus populeux que l'histoire
Nous serons morts sans avoir aperçu
la bête biforme ou la rose
qui sont le centre de ton dédale
mais la mémoire a ses talismans
ses échos de Virgile
et c'est ainsi que dans les rues de la nuit persistent
tes splendides enfers
tant de tes cadences et de tes métaphores
les ors de ton ombre
Qu'importe notre lâcheté s'il y a sur la terre
un seul brave
qu'importe la tristesse s'il y a eu dans le temps
quelqu'un qui s'est dit heureux
qu'importe ma génération perdue
ce vague miroir
si tes livres la justifient
Je suis les autres
Je suis tous ceux
qu'a rachetés ta rigueur obstinée
Je suis ceux que tu ne connais pas et que tu sauves
trad. Ibarra in L'or des tigres - Gallimard - Du monde entier
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