mercredi, décembre 17, 2025


Il ne prévient pas


il n’argumente pas

il se dépose
comme une lumière sans source
ou comme la neige
dont on découvre la profondeur
après coup















Il tombe sans bruit

sans promesse formulée
et pourtant tout se déplace 
le temps se resserre
le monde se fait plus proche
presque habitable


Ce n’est pas un élan

c’est une gravitation
une attraction d’abîme douce
qui n’entraîne pas vers le bas
mais vers le cœur des choses


L’amour tombe

comme tombe l’instant présent 
entier
sans mémoire capable de l’égaler
et déjà en train
de s’évaporer


*




CREELEY


L’amour vient doucement

enfin il tombe

autour de moi sur moi

à sa manière de toujours
 


Qu’est-ce que j’en savais

quand je me croyais

capable de faire

seul tout le chemin


Par amour
















De souvenir aucun ne peut soutenir la charge
de ce qui arrive maintenant









La mémoire polit

















adoucie
ordonne
elle met à distance

L’instant lui ne protège pas 

il frappe
il ouvre
il engage tout le corps
et retire aussitôt sa main



Ce qui se trame

dans l’intensité du présent
n’a pas de réserve
pas d’archive fidèle








Joie peine plaisir

y sont à nu
sans justification
sans durée garantie


C’est une aura brève

une combustion claire
quelque chose qui éclaire
puis s’éteint
avant même d’avoir été nommé


Et sitôt évaporé

l’instant ne laisse
ni manque exact
ni possession possible
seulement une trace vibrante
dans l’attention 
comme si le réel
avait montré son visage
un battement de souffle
puis s’était retiré
dans le silence
qui le rend à nouveau possible






MANON

de souvenir aucun

n’est en mesure de procurer

semblable aura de joie

de peine ou de plaisir

que tout ce qui se trame

dans l’intensité de l’instant




présent et sitôt s’évapore



élégies mineures

































Au cœur d’une pensée du conflit entre Israël et la Palestine, Terres enchaînées cherche à défaire les pièges idéologiques, politiques et éthiques dans lesquels nous sommes pris. 









Pour ce faire, il cherche à tracer un possible : il le fait depuis ici et aujourd’hui, mais aussi depuis hier. Il le fait enfin depuis ailleurs, que cet ailleurs se nomme Palestine ou Israël. Ce possible repose d’abord sur la sortie du déni de la politique de colonisation et d’occupation des Territoires palestiniens, un déni qui organise la guerre tout comme il façonne les usages actuels du mot « antisémitisme ». Terres enchaînées donne également à lire des entretiens issus d’une enquête menée en Palestine à partir d’octobre 2023. Ces entretiens permettent de penser à nouveaux frais, donc en de nouveaux termes, les coordonnées de la question palestinienne. Car, quand les mots vitrifient la pensée, le temps est venu d’en trouver de nouveaux.



« Il est politique d’ôter à la haine son éternité. »



***


Il est politique d’ôter à la haine son éternité 


non par oubli
mais par désamorçage 
du temps qu’elle réclame pour durer

La haine se nourrit de répétition

d’un passé figé qu’elle transforme en destin

Lui retirer l’éternité

c’est rompre son illusion de nécessité
l’arracher à la durée mythique
où elle se donne des droits



Le politique commence là 

dans le refus de transmettre intact
ce qui prétend ne jamais finir
dans l’acte de rendre la haine mortelle
limitée, périssable
soumise au temps commun



Car ce qui a une fin

peut être traversé
désarmé
transformé



Ôter à la haine son éternité

ce n’est pas nier sa force
c’est lui refuser le trône du sacré
la déchoir de son prestige sombre
et rendre à l’avenir
la possibilité de ne pas lui ressembler



C’est un geste discret

mais décisif 
rendre le temps à la vie
et retirer à la haine
le luxe de durer toujours