Le Bret
si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
la fortune et la gloire…
Cyrano
et que faudrait-il faire
chercher
un protecteur puissant prendre
un patron et comme
un lierre obscur qui circonvient
un tronc et s’en fait
un tuteur en lui léchant l’écorce
grimper par ruse au lieu de s’élever par force
non merci
dédier comme tous ils le font
des vers aux financiers
se changer en bouffon
dans l’espoir vil de voir aux lèvres d’un ministre
naître un sourire enfin qui ne soit pas sinistre
non merci
déjeuner chaque jour d’un crapaud
avoir un ventre usé par la marche
une peau
qui plus vite à l’endroit des genoux devient sale
exécuter des tours de souplesse dorsale
non merci
d’une main flatter la chèvre au cou
cependant que de l’autre on arrose le chou
et donneur de séné par désir de rhubarbe
avoir un encensoir toujours dans quelque barbe
non merci
se pousser de giron en giron
devenir un petit grand homme dans un rond
et naviguer avec des madrigaux pour rames
et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames
non merci
chez le bon éditeur de Sercy
faire éditer ses vers en payant
non merci
s’aller faire nommer pape par les conciles
que dans les cabarets tiennent des imbéciles
non merci
travailler à se construire un nom
sur un sonnet au lieu d’en faire d’autres
non merci
ne découvrir du talent qu’aux mazettes
être terrorisé par de vagues gazettes
et se dire sans cesse
oh pourvu que je sois
dans les petits papiers du Mercure François
non merci
calculer avoir peur être blême
préférer faire une visite qu’un poème
rédiger des placets se faire présenter
non merci
non merci
non merci
mais…
chanter
rêver rire passer
être seul
être libre
avoir l’œil qui regarde bien
la voix qui vibre
mettre quand il vous plaît son feutre de travers
pour un oui pour un non se battre ou faire un vers
travailler sans souci de gloire ou de fortune
à tel voyage auquel on pense dans la lune
n’écrire jamais rien qui de soi ne sortît
et modeste d’ailleurs se dire
mon petit sois satisfait des fleurs des fruits
même des feuilles
si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles
puis s’il advient d’un peu triompher par hasard
ne pas être obligé d’en rien rendre à César
vis-à-vis de soi-même en garder le mérite
bref dédaignant d’être le lierre parasite
lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul
ne pas monter bien haut peut-être mais tout seul
extrait du
Cyrano de Bergerac de Rostand
acte II scène 8
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