lundi, juin 23, 2025

 Le Bret


si tu laissais un peu ton âme mousquetaire

la fortune et la gloire…





Cyrano

                                          et que faudrait-il faire 

















chercher 

un protecteur puissant prendre 

un patron et comme 

un lierre obscur qui circonvient 

un tronc et s’en fait 

un tuteur en lui léchant l’écorce

grimper par ruse au lieu de s’élever par force 


non merci 



dédier comme tous ils le font

des vers aux financiers 

se changer en bouffon

dans l’espoir vil de voir aux lèvres d’un ministre

naître un sourire enfin qui ne soit pas sinistre 



non merci



déjeuner chaque jour d’un crapaud 

avoir un ventre usé par la marche 

une peau

qui plus vite à l’endroit des genoux devient sale 

exécuter des tours de souplesse dorsale


non merci



d’une main flatter la chèvre au cou

cependant que de l’autre on arrose le chou

et donneur de séné par désir de rhubarbe

avoir un encensoir toujours dans quelque barbe 


non  merci  



se pousser de giron en giron

devenir un petit grand homme dans un rond

et naviguer avec des madrigaux pour rames

et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames 


non merci 


chez le bon éditeur de Sercy

faire éditer ses vers en payant 

 

non merci 


s’aller faire nommer pape par les conciles

que dans les cabarets tiennent des imbéciles 


non merci 


travailler à se construire un nom

sur un sonnet au lieu d’en faire d’autres 


non  merci  


ne découvrir du talent qu’aux mazettes 

être terrorisé par de vagues gazettes

et se dire sans cesse  

oh pourvu que je sois

dans les petits papiers du Mercure François 


non merci 



calculer avoir peur être blême

préférer faire une visite qu’un poème

rédiger des placets se faire présenter 


non merci 

non merci 

non merci 


mais… 

chanter

rêver rire passer 

être seul 

être libre

avoir l’œil qui regarde bien

la voix qui vibre

mettre quand il vous plaît son feutre de travers

pour un oui pour un non se battre ou faire un vers 

travailler sans souci de gloire ou de fortune

à tel voyage auquel on pense dans la lune 

n’écrire jamais rien qui de soi ne sortît

et modeste d’ailleurs se dire 

 mon petit sois satisfait des fleurs des fruits

 même des feuilles

si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles 

puis s’il advient d’un peu triompher par hasard

ne pas être obligé d’en rien rendre à César

vis-à-vis de soi-même en garder le mérite

bref dédaignant d’être le lierre parasite

lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul

ne pas monter bien haut peut-être mais tout seul 



extrait du 

Cyrano de Bergerac de Rostand 

acte II scène 8
















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