dimanche, juin 09, 2024


matière

feu 

vent écume et ténèbre


derrière 

des éclats temporaux  l'écho en éclats  entre 

deux pierres blanches


sois attentif

n'examine rien vainement

sonde et compare  

c'est la loi générale de la philosophie




















la branche 

élaguée aux lignes de vie 


peut-être 

rythme

d'un astre errant


*




la volupté est 

comme 

l'acmé du temps


le temps fonctionne 

comme 


le développement 

jamais relâché d'eaux courantes 

au nombre infini

qui suivent 

leurs voies éparpillées

et s'entrecroisent à intervalles réguliers

lors des moments intenses 

de la vie

































Paul Mazon 

notice introductive au Prométhée enchaîné 
d’Eschyle




le conflit 
de Zeus et de Prométhée
offrait-il cependant matière à 

une véritable tragédie  

il ne semble pas 
contenir le germe d’

une action dramatique 

































Prométhée désobéit 
Zeus le frappe 

que peut faire ensuite le dieu puni 
sinon gémir  

le dieu offensé 
sinon détourner la tête ou frapper 
toujours plus fort  

































il n’y a pas là de lutte
il n’y a donc pas là de drame 

pour qu’il y ait lutte
il faut donner une arme à Prométhée 

il pourra 
alors tenir tête à Zeus 

il pourra
même enchaîné sur son roc 
être pour le roi des dieux  un adversaire 
avec lequel on doit 
compter






























Invitant à nous rappeler que les mots « lac » et « lacune » sont liés étymologiquement, 
Dorothée Volut 
écrit à propos de Contour des lacunes : 

« À l’automne 2019, chaque matin après avoir amené mon fils à l’école, j’allais m’asseoir une heure à l’auberge du village, sur la place entre l’église et la fontaine.


































« À cette période, Électricité De France procédait au grand nettoyage du barrage de Fontaine-Lévêque qui se trouve en amont. Jour après jour, par le jeu des barrages en aval, les fonds de la gorge resurgissaient. 

Un jour que j’étais en train d’écrire à la terrasse, une amie a déposé ce livre sur ma table : L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert (Zone Sensible, 2016).


« L’anthropologue Keith Basso y relatait sa rencontre déterminante avec la culture apache en 1979 et la relation sacrée que ce peuple entretient avec les lieux : en bien des points, à chaque mot, je me sentais Apache. 

La couverture totalement blanche de ce livre, au centre duquel, légèrement embossé, se devinait le relief circulaire d’un lac, prolongeait le silence que la lecture des paroles indigènes m’imposait.




« J’avais quitté Marseille pour le retrait, pour la survie. Guidée par une amie, j’étais arrivée dans un paysage vers lequel rien d’autre qu’une crise n’aurait pu m’amener : falaises calcaires arides, petites collines sèches de chênes pubescents, gorges immobiles au fond desquelles gisait l’eau millénaire du Verdon. Sans le savoir, je me mettais au travail pour redéfinir les conditions d’émergence de mon geste d’écrire, et vivre. 

Une récolte parcimonieuse, mais suffisante, apparut au fil des ans.


« Du temps où je n’écrivais pas, où le dessin était mon seul trait, j’avais noté un jour sur un carnet : la poésie est la langue de la mémoire. C’était penser dans une matière pré-verbale. »


Composé de façon antéchronologique (le texte le plus récent en ouverture ; le texte le plus ancien en conclusion), Contour des lacunes est le quatrième livre de Dorothée Volut publié chez Éric Pesty Éditeur. Il succède à alphabet (2008, rééd. 2016), à la surface (2013) et Poèmes premiers (2018). Il est une nouvelle étape, déterminante, dans le cheminement d’écriture que poursuit opiniâtrement son autrice depuis le début du XXI° siècle. En miroir de à la surface, chronologiquement composé, Contour des lacunes semble, pour ainsi dire, tourner le dos à son temps.


















sans savoir pourquoi

j'aime ce monde


où nous venons pour mourir



entoure-moi de ténèbres 

poète

















entoure-toi de silence 

sois aveugle et  solitaire comme Homère 

sourd comme Beethoven


mais ouvre d'autant plus attentivement

l'oreille de ton âme


et comme à l'approche 

de la flamme les lignes incolores 

d'un écrit mystérieux se montrent soudain ainsi 

devant toi 

des images apparaîtront tout à coup

 

de l'ombre surgiront 

des colorations 

de plus en plus vives

des formes 

de plus en plus tangibles et 

d'harmonieuses alliances 

de mots se combineront en un sens lumineux


A cet instant 

écoute 

regarde

en retenant ton haleine 

puis 

à l'heure 

de l'effort producteur 

rappelle-toi ces visions fugitives




le temps s'étire

journée de pluie printanière


et moi je rêve















CONTRETEMPS 


circonstance 

événement imprévus qui vont à l’encontre de ce que l’on projetait 

empêchement 

ennui

incident 

un contretemps fâcheux


A contretemps  

mal à propos 

d’une manière inopportune


























procédé rythmique consistant à attaquer 

un son sur 

un temps faible et à le faire suivre d’

un silence sur un temps fort 



la damnation c’est d’être obligé de se répéter dans les limites d’un corps qui a été condamné à ne réitérer que le même geste ou la même pensée très limitée

le paradis en revanche c’est la répétition mélodique ou musicale de la joie qu’il y a à se répéter dans l’illimité


Pollet retrouvé Contretemps

avec

BORIS POLLET 
PHILIPPE SOLLERS
JULIA KRISTEVA 
JEAN-PAUL FARGIER



















étude pour un autoportrait

1976

je n’aime pas particulièrement mon visage, 
mais c’est le seul que j’ai tout le temps 
à ma disposition 

Francis Bacon






























face vrillée sur miroir noir Chair
empilée de thorax abdomen
entrelacs de jambes viande et os
trou de sphère d’isolé en cage Artère
saignant l’organe innommable



Jean-Hugues Larché 

2020





















la bête fantomatique
campe la toile vide
indéfini garde distance
coulisses de toril
ténèbres en double noir
arrière aspiré lâche
rage de poussière
pattes avant rivées
une esquissée
palissades d’ivoire
piano deuil de clarté
Orphée retourné d’enfer
corne à lame tombante
terrible esse d’échine
accrochera l’adversaire
Oreste non absout
vide violent de trame
ultime autoportrait




Bacon en mille mots par Jean-Hugues Larché