dimanche, avril 07, 2024

l'existence est une illusion d'optique 


le monde d'aujourd'hui est ennuyeux 

je n'aimerais pas avoir 22 ans de nos jours car toute perspective 

est fermée

interdite


du coup

le passé nous apparaît comme miraculeux


et ça ne me fait même pas enrager

 je préfère réagir par l'ironie
















c'est 

une arme considérable mais qui n'est plus comprise

 

elle est en train de disparaître 

comme l'esprit français et l'esprit des Lumières


ne trouvez-vous pas que 

nous sommes en plein détraquage humain

avec ce post-Empire numérique 


comme je le dis dans Agent secret 

nous voilà dans une période extrêmement tendue

qui montre par tous les côtés ce qui ressemble à 

un désir de totalitarisme


encore et toujours 

Rimbaud

ce remarquable camarade de combat, 

comme je l'ai dit 

dans 

une conversation infinie


Sollers avait ajouté 

c'est que chez moi 

tout 

est 

œuvre 


















Christine Angot rend hommage à Philippe Sollers


France Inter

L’édito culture 4 avril 2024.


Je sais bien qu’Arnaud Viviant a déjà fait une chronique ici

sur le livre de Philippe Sollers

La Deuxième Vie 

Mais je ne peux pas ne pas en parler


C’est un livre qui ne ressemble à aucun autre et qui m’a bouleversée 

Sollers l’écrit quelques mois avant de mourir

















Il est sur son lit de mort il l’écrit ou il le dicte

C’est la fin de sa vie il le sait 

Il est allongé sur un lit dans une unité de soins palliatifs du 15e arrondissement

Sa vie est finie question de mois de semaines mais il écrit


Il se dit je suis encore là j’écris


La deuxième vie je la vois elle est là je l’aperçois déjà


L’au-delà je suis aux avant-postes


J’ai écrit de mon vivant je continue


La première vie la deuxième


On verra si on a une troisième


La deuxième vie c’est aussi la vie écrite bien sûr


Le fait d’avoir toujours écrit donc d’avoir toujours eu deux vies


Une vie réelle et une autre sur la page


La vie méritant toujours d’être écrite et d’être publiée

même celle d’un pédophile comme Matzneff 

comme ça on sait ce qu’il a dans la tête c’est concret


La passion de Sollers pour la littérature était une passion de la vérité qui allait jusque-là


La littérature comme révélateur du réel


La deuxième vie comme révélant la première

montrant noir sur blanc qui sont les gens de quoi le monde est fait


Ce texte La deuxième vie 

je l’ai découvert bien avant sa publication dans des conditions très particulières.


Je n’avais pas vu Philippe Sollers depuis un an et demi


Je savais qu’il était malade et ne voyait plus que très peu de personnes


Même ses auteurs n’avaient plus de contact avec lui


Il n’avait jamais été mon éditeur

mais m’avait défendu et avait compté pour moi


Je pensais souvent 

Un jour

je vais apprendre sa mort et je ne lui aurai pas dit au revoir 


Les journaux l’ont annoncé un vendredi


Le mardi suivant

quelques personnes dont je faisais partie ont été autorisées par la famille 

à se rendre dans l’unité de soins palliatifs 

où il a fini sa vie pour lui dire au revoir


Antoine Gallimard des gens de la maison 

Teresa Cremisi des auteurs Yannick Haenel  Meyronnis Jean-Jacques Schul


On était une petite vingtaine dans un couloir au sous-sol

près d’une pièce dont la porte était entrouverte.


Sollers était allongé sur un catafalque 

costume sombre

chemise blanche

cravate

visage sec amaigri

Plus le sourire ni les gestes ni rien


À ses pieds

une photo de lui

telle qu’on le connaissait

l’œil rieur le fume-cigarette


Il y avait des chaises le long du mur

on pouvait s’asseoir ou se lever et s’approcher


Je lui ai dit en silence  merci  pour m’avoir lu pour m’avoir défendu


On faisait des allers-retours entre cette pièce et le couloir


Puis Julia Kristeva sa femme a proposé qu’on se recueille autour de lui


Yannick Haenel debout à la tête du catafalque a dit quelques mots personnels


Puis il a lu le début de La Deuxième Vie


Le narrateur est au cimetière


Il vient de sortir de la tombe


On le prend pour un jardinier


Il marche dans les allées


Et il y avait une telle vie.


Une telle puissance de vie qui sortait du texte

une sorte d’éclair incroyable

un élan du cœur absolu qui s’animait juste à côté du corps inerte


Un tel contraste dans cet endroit plombé

à côté du corps sec

que oui

il y avait une deuxième vie


Et elle était là


Il aurait fallu être aveugle pour ne pas la voir


Et 

il y a cette phrase

dans la deuxième vie


chaque jour 

est octroyé comme un jour de plus

ce qui change la couleur de chaque minute
















col de la Fougère col du Haut du Four


rien ne fatigue

rien ne coûte quand on aime 

la distance des lieux est bientôt franchie par les ailes 

de l'Amour

















le Savoir Absolu 

est 

un merveilleux souvenir 

d’autrefois et rien que pour son ivresse calme 

la première vie 

malgré tous les obstacles mériterait 

d’être vécue 


l’être humain n’est pas sans recours 

et peut être sauvé quand 

tout est perdu 


le Savoir Absolu en réalité opère un tri inlassable 

il ne juge pas il choisit


tout vous est de l'Amour 

une leçon vivante
























écris 

comme si tu étais 

seul dans l’Univers et que 

tu n’aies rien à craindre des préjugés des hommes