jeudi, août 17, 2023


SCOTIA DESERTA

Tous ces détroits, ces lacs, ces pertuis...


***


Et les mouettes à la jetée de Largs :

assis dans ce café

à la grande fenêtre pleine de vent et de lumière

à lire, à observer


***


















À penser... la glace, autrefois

je la regarde qui descend

depuis la haute arrête centrale

jusque dans l’Atlantique


je la sens qui creuse les lacs

sculpte les crêtes rocheuses

lisse les longues plages


la terre émerge

meurtrie, étourdie

dans la lumière arctique


les fous de Bassan s’assemblent sur les îles

les aigles sur les monts couverts de pins

la linaigrette

danse au vent


des hommes arrivent

regardent alentour, perplexes

quel nom pour ce lieu ?

Alba


***


Méditations de la page blanche

contemplations de la montagne

imprimées dans l’esprit


***


Un homme laissa trace de sa présence

là-bas à Bute et aux îles Garvellach

et au détroit de Kilbrannan

c’était Brandan, le saint voyageur


oui bien sûr, Brandan avait la foi

mais qu’importe cela

c’était avant tout

un navigateur

une silhouette qui mille après mille

doublait les caps

égrenait les îles

frayait une voie

entre écume et nuages

attentif aux lignes du monde :


le détroit d’Islay

l’estuaire de Lorn

la passe de Tiree

le détroit de Mull

Skerryvore et la pointe de Barra

le loch Alsh, le pertuis Rhea

le détroit de Raasay


***


Ah, le son clair de ces mots

et un monde

qui s’ouvrait, qui s’ouvrait !


***


D’autres figures traversent la scène

en voici une :

Kentigern était son nom


dans l’église que je fréquentais

autour de mes neufs ans

un vitrail gris-bleu

représentait cet homme

un livre à la main

debout sur une grève

prêchant aux mouettes


moi, perdu dans ce vitrail

j’oubliais le sermon

(toujours le bien et le mal

les métaphores confuses

les lourdes comparaisons)

impatient de sortir

de retrouver la grève déserte

de marcher des heures entières

un livre à la main parfois

mais pas le moindre prêche en tête


essayant de saisir quelque chose

qui n’avait besoin d’aucun nom

quelque chose qui avait pour forme

les vagues bleues et le roc gris

et avait un goût de sel


***


Un sentier rocailleux

et l’odeur de varech

entre Fairlie et Largs


Fumée en dérive

l’éclat des feuilles d’automne

sur les bords du loch Lomond


Mouettes fantômes dans la grisaille

kiiya, kiiya, kiiya, kiiya

septembre à Applecross


Tiree

un matin de mars

royaume du vent


Sept îles

dans le soleil d’août

Islay, Jura, Scarba, Lunga, Luing, Shuna, Seil


J’arpente la côte

tous ces détroits, ces lacs, ces pertuis


vivant l’ouvert

appréhendant l’univers


ordre et anarchie

chaos et cosmologie


géographie de l’esprit


***


Avez-vous entendu Corrievreckan

aux grandes marées de mars

sous les rafales du vent ?


il gronde si fort

qu’on l’entend de la terre

à vingt milles de là


les cartes marines

signalent une vitesse de neuf nœuds


pour les sens

qui ne font pas de calculs

mais à quoi rien n’échappe

c’est un violent tourbillon blanc


origine

d’une pensée de la vague et du vent


Que les images filent

rapides et claires


que les idées soient folles

(échange vif d’hôte à hôte, lumière)


voilà la seule façon

de dire la côte


toute la réalité irrégulière

de ce littoral brisé par la mer


***


Discours pélagien

poétique atlantique


choses premières et dernières




Kenneth White est mort en ce mois d’août 2023


Il avait 87 ans.


Toute une vie incandescente

parsemée d’éclairs et d’extases glacées…


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