mardi, juin 20, 2023





Paul B. Preciado


Puisque mon désir de vivre en dehors des prescriptions normatives de la société binaire hétéro-patriarcale a été considéré comme une pathologie clinique caractérisée sous le vocable de «  dysphorie de genre  », il m’a paru intéressant de penser la situation planétaire actuelle comme une dysphorie généralisée. Dysphoria mundi  : la résistance d’une grande partie des corps vivants de la planète à être subalternisés au sein d’un régime de savoir et de pouvoir patriarco-colonial.  































Tel est le point de départ de ce livre de «  philosophie documentaire  » où l’auteur, malade du covid et enfermé seul dans son appartement, emprunte à tous les genres (essai, fiction, journal) pour raconter à sa façon un monde dont les différentes horloges se sont synchronisées au rythme du virus, mais aussi du racisme, du féminicide, du réchauffement climatique… et de la rébellion à venir. Une manière de carnet philosophico-somatique d’un processus de mutation planétaire en cours.

Si la modernité disciplinaire était hystérique  ; si le fordisme, héritier des séquelles des deux guerres mondiales sur la psyché collective, était schizophrène  ; le néolibéralisme cybernétique, lui, est dysphorique.

L’hypothèse centrale de cet essai  : les événements qui se sont produits pendant la crise du covid à l’échelle mondiale marquent le début de la fin du réalisme capitaliste.

Sommes-nous condamnés à croire tout savoir et ne rien pouvoir faire pour changer le cours des choses (paranoïa conspirationniste) ou continuer à tout faire de la même manière mais sentir que plus rien n’a de sens  (dépression individualiste)  ? Non  : il est possible de franchir le pas vers une autre épistémologie terrestre. Encore faut-il refuser la nouvelle alliance du néolibéralisme numérique, des rhétoriques néo-nationalistes, l’explosion des inégalités économiques, des violences raciales, sexuelles et de genres, la destruction de la biosphère pour initier un profond processus de décarbonisation, de dépatriarcalisation, de décolonisation  : c’est l’«  hypothèse révolution  » dont ce livre pose les prolégomènes…


liminaire



*


la dysphorie 

du grec δύσφορος dusphoros de δυσ- :  difficile  et φέρω :  à supporter  o

humeur dysphorique généralement labile désigne une perturbation de l'humeur caractérisée par un sentiment déplaisant et dérangeant d'inconfort émotionnel ou mental symptôme de la tristesse de l'anxiété de l'insatisfaction de la tension de l'irritabilité ou de l'indifférence


caractéristiques

la dysphorie sémantiquement opposée à l'euphorie est le trouble émotionnel et mental perçu chez un individu insatisfait ou mécontent et dans certains cas le trouble caractérisé par l'indifférence concernant son entourage

les troubles de l'humeur peuvent induire la dysphorie souvent avec un risque élevé de suicide en particulier chez les individus atteints de trouble bipolaire en phase dépressive

le terme désignant uniquement la condition liée à l'humeur la dysphorie peut apparaître en réponse à divers événements de la vie telles qu'une maladie importante ou un deuil et plus couramment lors d'une rupture amoureuse

la dysphorie peut être également causée par les substances chimiques des psychotropes tels que les antipsychotiques typiques et atypiques



*



où suis-je 

?

Bruno Latour



tu 

sens bien qu’il ne s’agit pas d’

une crise 

mais d’

une mutation 

 

tu 

n’as plus le même corps et 

tu 

ne te déplaces plus 

dans le même monde que tes parents











































s’interroger 

sur 
son rapport à la montagne 
afin 
de savoir
 
quel aspect 
nous convient le mieux
 

calme et lointain 

ou 

abrupt et immédiat
























quand tranquille est le cœur vient 

la tranquillité


convient à cœur tranquille

la vie 

dans les montagnes

 

les montagnes ont surplus 

d’existence tranquille mais gare à la montagne quand le cœur 

n’est pas tranquille


c’est en fait 

une vie dangereuse 

si l’on n’a pas d’abord cette paix 

de l’esprit


*




pour échapper à la violence de ce monde 

il ne reste plus qu’à fuir 

dans la montagne 

des Immortels



*



les rivières 

vont aménager leurs vallées à travers 

le poudingue 


l'érosion 

pluviale glaciaire fluviale

va découper le relief du plateau en formant 

vallons et collines
























c’est 

une absolue perfection

et comme 

divine 

de savoir jouir loyalement 

de son être























voilà 

vous me copierez ces mots 

mille fois



et puis et puis et puis et puis et puis et puis et puis



en jugeant l’un par l’autre 


aucune prépondérance 


pas 
de vrai plaisir sans totale 
autonomie 


heureux qui joint la santé 
du corps à l’exercice 
de la pensée

 

ciel terre mer et toutes choses   
un néant 

partout où le vent m’emporte  je m’installe 
un moment

que 
de vide 
dans le monde