dimanche, juin 18, 2023

sommeil

trop de lumière


fantômes

sordides et somnolents

figuiers 

de barbarie



couleurs scintillantes

joies atténuées

affaires étalées

trains bruyants

constellations lumineuses










































feux follets 
qui fascinent 
un bref instant au moment où dans l’obscurité 
l’instant suivant ils 
s’éteignent

image 

rêve  effacé

  

voix  tête 


bruits dehors 

toute la place 


rien entendre  

rien 

voir

insupportable ces bruits 


un regard complice 

une caresse 


ouvrir les yeux 

dans cette trop vive lumière 

du matin la 

douleur brûle les rétines et l’image piquetée 

de points noirs 


*



une fibre 
de lotus au centre 
de la colonne

concentrez votre attention sur le nerf


l'homme naît avec 

un centre

mais il en est totalement ignorant


l'homme peut vivre sans savoir qu'il possède 

un centre 

mais

il ne peut pas vivre 

sans savoir que ce centre existe


le centre 

est le lien entre l'homme et l'existence

le centre est la racine




















1981 

19 

1

Paradis




























1991

20

=

2

La fête à Venise
























un support
un mot
un espace qui s'éteint
un trait
un trait de scie
une fraction de temps
un mot sur son déplacement
un intervalle qui sépare
une matière de papier
un livre du premier jour
une plaque

































avec le soleil couché

la mer silencieuse

arrive à peine

à toucher

le rivage


la terre est un souffle

de fumée

azurine

d’où surgissent les hirondelles ivres

les ailes en arrière



























qui est d'

un bleu pâle 

un regard pâle 

azurin


azuré

bleu

azur

azuréen

bleuté





j’ouvre les yeux 

je me lève 

dans la maison profonde et silencieuse  le calme 

de la pièce à l’abandon 


je reste là sans rien faire

très longtemps

 

j’aime tuer le temps


immatériel aujourd'hui m'a dit le support


















 
davantage
du support premier sur le moment
de la terre éclairée solidité indifférente
du passage à vide le corps est un intervalle
du vide
dans le redoublement
dans le dédoublement
du temps
de même matière
détachée
de son support 
dans le temps
de sa précipitation
du support
de la peinture
distinct
dans le temps
du sens passager toujours sur sa
disparition matière

































de parole se
dissociant 
de la parole plus loin comme
dehors c'est l'espace
de la parole matière
de parole plus loin comme
dehors






























dissipation  action 

de 
disparaître en se 
dispersant en s'anéantissant



l'
onguent 
de 
linaire

substance grasse ou résineuse 
de consistance molle pâteuse servant à 
divers usages

plante 
dicotylédone herbacée 
dont les feuilles ressemblent à celles 
du lin































l'
onguent 
de 
linaire

pour le  préparer on fait chauffer 
de la linaire fraîche en fleurs 
dans de la graisse 
de porc sur un feu 
doux jusqu'à 
dissipation complète 
de toute humidité



par extension électron

puissance totale utile et perdue que consomme 

un dispositif 


dissipation 
d'énergie 


l'accélération 
des corps célestes a comme conséquence un rayonnement électromagnétique 
donc une dissipation 
de l'énergie se faisant ressentir en retour par un amortissement 
de leur vitesse



concernant 
un état 
de conscience ou 
un objet immatériel


un homme imaginait 

des féeries et quantité 
de merveilles qui s'offraient à leur propre 
dissipation successive car la création 
de l'esprit est en vérité 
une destruction indéfinie 
du beau par le plus beau 
du laid par le hideux 




le roc paraît

la route qui lentement s'élève 

suit le gave couleur 

de truite


peu 

de plantes nouvelles  quelques frêles linaires blanches 

dont 

je ne sais pas le nom



d'immenses obstacles environnent les grands plaisirs 
de l'homme ... 

en nécessitant 
une exorbitante une prompte 
dissipation 
de ses forces
























les textes 

rassemblés et publiés aux éditions 

dimanchematin

apportent 

des lancers 

de pensée-vivre 

des alertes pour remettre les yeux en face 

des trous la parole au corps et 

dire la précarité 

de l’expérience comme 

une chose vaste et  précieuse






























un temps 

du passé un souvenir lointain 

des rêves 

dont 

je ne me souviens plus au matin 


les 
mots pour 
les 

noter

tenter 

de les enregistrer 

effacent leurs dernières traces évanescentes 



c’est 

comme ouvrir 

un appareil photo 

et voiler la pellicule à l’intérieur

 

les traces lumineuses  

brûlent l’image qu’on révèle 

dans l’incertitude ce qui nous échappe cette trop vive lumière le 

doigt sur la bouche en signe 

de silence


je refuse 

que mes rêves se traduisent par 

de grands soubresauts

 

je veux 

simplement garder 

une image précise 

d’eux 















l’abri circulaire 
du chapeau fait face à la vague noire venue 
dans son dos 
détruire l’image

structure masse reflet

chatoiement illusion

absorption transparence opacité obscurité

ombre situation 

position état

dans l’espace


la forme se partage

en 

articulation jointure assemblage contraste 

contingence 

























































simplicité ingénuité 

complication direction 

conduite autorité


voie

dans l’espace



on se demande quel processus

de 

désordre vient s’immiscer à même 

la pierre le ciel


mutile

les pins et les fait remuer si vite 

qu’on n’aperçoit plus

le mouvement 

de leur 

disparition. 


vert tendre intense bleu

profond 


chaleur 

dense 

d’

un souvenir proche




penser situer

prises 

de parole intempestives réponses 

déjouant la consigne moments 

de lecture qui 

débordent l’attendu... 


que se passe-t-il 

dans ces moments 

d’échanges où la parole circule 

d’un point 

de surprise à un autre 


comment restituer ce qui est en jeu 

dans ces instants fragiles où le sens surgit 

du collectif 


une enquête sensible 

une approche théorique 


une question 

de montage 

de différences et 

de répétitions


le nageur pris 

dans la variabilité 

des vagues

apprivoise la matière fluctuante


lire avec 

un 
détecteur 
de métaux 

 pour 

des trouvailles sonnantes et trébuchantes

 pour le plaisir 

dans 

le sable des mots  

un léger désordre



l’

immense fixité 

du fouillis arrière 

de la forêt

atteste

qu’il a disparu 

d’

un bond 

et 

d’

un cri


un seul homme

une fois 

une seule

l’entendit


















la pierre lisse noire

je l’ai ramassée 

dans le parc 

de la vraie source la feuille à côté a 

un jour été pierre 


Lorine

la mer est passée


























Lorine Niedecker 

Traduit par Martin Richet


Grand-père / me disait : 

Apprends un métier / J’ai appris / à rester à mon bureau 

à condenser 

Pas de chômage / dans cette condenserie 



saisis par cette image du 

travail de poète  

nous avons voulu en présenter la matière et le processus  

le mélange le changement 

l’immense massive corruption de la langue 

 

aussi

le présent volume retrace plusieurs mouvements 

de condensation  


comment

la vie devenue lettre aux amis se fait matériau 

d’un poème 

 

comment 

la lecture se densifie en poétique 


comment 

le document et le savoir

informent l’expérience et l’écriture

 

ces mouvements 
déterminent notre table 
des matières 
dans ses 
deux parties



« De ton foyer au mien » présente un large choix de lettres adressés aux compagnons de route, poètes, éditeurs, amis. À Harriet Monroe (éditrice de l’importante revue Poetry), à Louis Zukofsky et son fils Paul, à Cid Corman, à Jonathan Williams et au jeune voisin de Black Hawk Island, Gail Roub. Prolongements de cette correspondance, deux essais de Niedecker, sur la poésie de Louis Zukofsky et Cid Corman, closent ces échanges.



Notre deuxième partie, « Lac Supérieur », nous renseigne sur le processus de composition du « magma opus » de Niedecker, au moyen d’un choix de notes préparatoires, d’un journal de voyage et de la première version du poème, parue en revue et remaniée pour sa publication dans North Central (1968). -- Martin Richet



Lorine Niedecker (1903-1970) a dédié sa poésie au paysage, à son évolution, à ses effets sur la vie de tous les jours. Outre son rapport à l’objectivisme, sa poésie est nourrie de sources diverses (surréalisme, politique, histoire, haïku) qui font l’originalité d’une œuvre prise dans des tensions antinomiques. C’est la singularité de cette poésie, à la fois lyrique, objective, économique, toujours localisée et souvent d’actualité, que ce volume entend donner à lire. Après Louange du Lieu (2012), Cette condenserie est le deuxième livre de Lorine Niedecker publié aux éditions Corti.



ici
















les fleurs 
dans leurs pots sont heureuses au bord 
de la fenêtre 


l'esprit est amoureux 
du monde


la couleur est une forme 
de lumière



il est bon 
de traverser
un territoire aride 
avec l'esprit 
vide


































le cerveau pense dans une obscurité totale

le cœur procède différemment




le mot exerce  un pouvoir


les pentes 
des montagnes sont-elles ascendantes ou 
descendantes


la montagne opère sur 
d'autres longueurs 
d'onde

le relief de la craie est extrêmement divers




les collines se séparent et se rassemblent 


à l'ouest le vent souffle avec toutes sortes de difficultés







la poésie est capable 
de donner quand elle est sapée par les vagues 
des falaises qui reculent très vite





























mais où nous mènent ces rochers 


les couches bougent 

basculent 

s'affaissent

provoquant 

flexures et failles 



l'accumulation 
des conglomérats 
de Valensole s'étale sur 10 millions 
d'années environ 

vers moins 3 millions d'années le comblement s'arrête





comment savoir si la mémoire est spatiale

après s'être manifestées 

les choses éprouvent le besoin 

de se retirer en elles-mêmes


*


la progression des jours est irrévocable


que voit l'esprit face au miroir


chaque instant est un point de départ