dimanche, mai 21, 2023


faites l’exercice honnêtement

lisez 
ces quelques lignes 
sans chercher à savoir qui a pu les écrire 
et quand  

rien 

ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil  car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio  pour écouter les émissions au cours desquelles premiers fragments du monde que nous rencontrons ils nous parlent nous regardent nous chantent des chansons nous encouragent nous consolent et ne nous détendant ou nous stimulant nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre 








































rien 

ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables nous préférons rester en compagnie de nos portables chums nos copains portatifs puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis 


































impossible de ne pas être percuté par l’incroyable actualité de ces lignes… écrites en 1956 

remplacez  radio  par  smartphone   émissions  par  podcasts  rajoutez  Netflix  et  réseaux sociaux  à l’ensemble et observez comme ce texte correspond à la perfection à notre temps 

la puissance de ce texte visionnaire est sans égale 

déjà à l’époque Anders voyait que la croyance dans un salut par le progrès technologique était vaine si cela ne nous permettait pas de nous resocialiser de nous rapprocher les uns des autres

pire en consommant des loisirs de masse le travailleur contribue lui même à la standardisation des goûts des usages nous dit le philosophe allemand 

les appareils de transmission et les émissions ou les  contenus  pour être plus moderne aliènent la singularité de chacun dans un mouvement qui nous rend interchangeables  et donc obsolètes




le problème de la  honte prométhéenne 

Anders est conscient des critiques que son propos peut susciter et il se défend par avance contre ceux qui voudraient le dépeindre en réactionnaire en rétorquant que le problème est rhétorique  

les défenseurs du progrès jugent ce dernier bon par essence et défendent un bloc celui du up to date : 

tant que l’on peut avoir la dernière version de l’homme on doit le faire et honte à ceux qui ne s’adaptent pas 

c’est ce qu’Anders appelle  la honte prométhéenne 


pour appuyer sa démonstration sur le progrès inutile et même  mortifère  il ajoute une seconde partie intitulée :  Sur la bombe et les raisons de notre aveuglement face à l’apocalypse  avec des analyses qu’il développera dans d’autres livres, notamment La Menace nucléaire 

considérations radicales sur l’âge atomique

ses thèses sont saisissantes et implacables sur l’insuffisante remise en question de notre rapport à la technique après Auschwitz et Hiroshima


aux États-Unis

on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable 


en tirant le fil de la  honte prométhéenne  Anders tire des conclusions pleines de prescience

ainsi à la fin du livre il prédit l’émergence du courant transhumaniste en ces termes  

de la croyance au progrès découle donc une mentalité qui se fait une idée tout à fait spécifique de  l’éternité  qu’elle se représente comme une amélioration ininterrompue du monde  

à moins qu’elle ne possède un défaut tout à fait spécifique et qu’elle soit simplement incapable de penser à une fin  

aux États-Unis on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable

puisqu’on y considère que seul existe  réellement  ce qui toujours s’améliore on ne sait que faire de la mort si ce n’est la reléguer en un lieu où elle puisse indirectement satisfaire à la loi universelle du perfectionnement 

la boucle est alors bouclée. 

disciple de Husserl premier mari de Hannah Arendt Anders a fréquenté les plus grands esprits du siècle et signait en 1956 un livre de leur niveau

si ce n’est déjà fait lisez donc L’Obsolescence de l’homme pour comprendre notre époque





























 


 

en général

on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée d’entretenir une constante apologie de la légèreté  

de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté 

le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration que la seule peur  qu’il faudra entretenir  sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur


c'est en tant que morts en sursis que nous existons désormais. 

Et c'est vraiment la première fois