jeudi, février 02, 2023


Turin 3 janvier 1889

Lettre à Cosima Wagner à Bayreuth

À la princesse Ariane ma bien-aimée


C’est 
un préjugé 

que je sois 
un être humain 


 j’ai souvent vécu parmi les êtres humains 

et connais toutes les expériences que les êtres humains 

sont capables de faire 

de la plus basse à la plus élevée



















J’ai été 

Bouddha en Inde Dionysos en Grèce 

Alexandre et César sont mes incarnations  tout comme 

le poète de Shakespeare lord Bacon

 

À la fin

j’ai encore été 

Voltaire et Napoléon peut-être également

Richard Wagner… 


Mais cette fois-ci

je viens 

comme le Dionysos victorieux qui fera de la terre

un jour de fête… 


Non que j’aie beaucoup de temps… 

Les cieux se réjouissent que je sois là… 


J’ai 
également 
été 

accroché sur la croix…



















le Zarathoustra de Nietzsche rompt avec l'humanisme 


pour lui

l'humanité n'est pas 

une fin 

mais 

un passage 

entre la bête et ce qu'il appelle le surhomme
























l'homme est
une corde entre bête et surhomme tendue  

une corde sur un abîme

dangereux de passer
dangereux d'être en chemin
dangereux de se retourner
dangereux de trembler  
dangereux de rester sur place


et ensuite 


j'aime 

ceux qui 
ne savent vivre qu'en déclinant 
car ils vont au-dessus 
et au-delà


j'aime 

celui qui 
oeuvre et qui invente 
pour bâtir au surhomme sa demeure et d'avance lui préparer 
Terre bête et végétal

car de la sorte veut son propre déclin


j'aime 

celui de qui 
même dans la blessure 
l'âme est profonde et qui 
dans 

une petite expérience vécue 
peut à sa perte aller
 
ainsi dessus 
le pont volontiers passe


j'aime 

tous ceux qui sont comme de pesantes gouttes 
une à une tombant 
de la sombre nuée 
sur l'homme suspendue 

ils annoncent l'éclair et
comme des hérauts 
vont à leur perte




de l'éclair 

voyez

je suis un héraut 

et 

une pesante goutte qui tombe de la nuée

mais cet éclair a nom 

surhomme























il se nommait très caractéristiquement 

alcyonien 


les moments passés ensemble furent en effet 

alcyoniens


de nature à répandre sur le restant de ma vie 

leur reflet doré


il est très calme




















il a 
quelque chose 
d'

un goéland

mais c'est 

un oiseau fabuleux d'heureux présage



une profonde assurance rendait toute pose inutile

une voix feutrée douce et mélodieuse

une élocution extrêmement posée

un visage basané par le grand air du Sud

des yeux inoubliables brillant de la liberté

















lancé dans le monde 

je découvre
 
rencontre 
respire 
aime et c’est si facile

marche
lit
regarde
habite la montagne
écrit 
parle
pense
aime et c’est si difficile 

vit seul
traduit 
écoute de la musique 
fait la cuisine 
roule à vélo

aime 



après un début aussi gai je voudrais qu’une parole sérieuse fût écoutée  elle s’adresse aux hommes les plus sérieux 

soyez prudents 
philosophes et amis de la connaissance
et gardez-vous du martyre  

gardez-vous 
de la souffrance  à cause de la vérité 

gardez-vous 
de la défense personnelle  

votre conscience y perd toute son innocence et toute sa neutralité subtile 
vous vous entêtez devant les objections 
et les étoffes rouges













Ô midi de la vie 

Ô temps solennel 

Ô jardin d’été 

bonheur inquiet debout et aux écoutes 

j’attends les amis prêt nuit et jour

que tardez-vous

amis 

venez 

il est temps 



n’était-ce pas pour vous 

que le gris des glaciers aujourd’hui s’est orné de roses 

c’est vous que cherche la rivière  

et plus haut

le vent et les nuages se pressent dans la nue

ardents à découvrir de loin 

votre venue
















assez assez 

laissons là ces curiosités et ces complexités 
de l’esprit moderne où l’on peut trouver 
autant matière à rire 
qu’à s’affliger 

car notre problème précisément 
peut se passer d’elles 

le problème du sens de l’idéal ascétique 

qu’a-t-il à faire 
en effet 
avec hier et aujourd’hui  

je 
traiterai ces matières 
avec plus de profondeur et de dureté 
dans

une autre étude 




que signifie la volonté de vérité 

et me voici revenu à mon problème
à notre problème 
ô mes amis
inconnus 

car je ne me connais encore aucun ami

que serait pour nous le sens de la vie tout entière si ce n’est qu’en nous cette volonté de vérité arrive à prendre conscience d’elle-même en tant que problème  


la volonté de vérité 

une fois consciente d’elle-même 

ce sera  

la chose ne fait aucun doute 

la mort de la morale  

c’est là le spectacle grandiose en cent actes, réservé pour les deux prochains siècles d’histoire européenne spectacle terrifiant entre tous mais peut-être fécond entre tous en magnifiques espérances…
























le mentalisme

enseignement selon lequel cet univers est mental est trop difficile à croire pour l'homme ordinaire et pourtant trop difficile à ne pas croire pour l'homme illuminé

cela parce que pour le premier il ne s'agit que d'
une théorie 
mais pour le second c'est 
une expérience 
personnelle

la conscience de l'homme ordinaire est maintenue captive par ses sens dont chacun lui présente 
un monde de matière extérieur à lui

la conscience de l'homme illuminé est libre d'être elle-même   de présenter sa propre réalité et de révéler que les sens et leur monde ne sont qu'idéation  formation et enchaînement des idées 



















tout cela ressemble à 
un gigantesque rêve  
chaque être humain introduisant son propre rêve personnel à l'intérieur du rêve public

il faut rompre 
un double charme 
avant de pouvoir entrevoir la réalité

le charme qu'exerce le monde sur nous et celui que le soi exerce sur nous

l'homme qui s'est réveillé et s'est complètement délivré de ce charme est celui qui a acquis la connaissance approfondie 

cette faculté n'est autre que la définitive sortie du sommeil


il est extrêmement ardu d'y parvenir c'est pourquoi très rare sont les rêveurs qui se réveillent un jour et c'est pourquoi ils sont si nombreux à ne même pas vouloir écouter les révélations de ceux qui  ne sont plus endormis 



la vie est 

un processus évolutif 

les hommes 
vont commencer à remuer 
dans leur sommeil par à coups 
mais de plus en plus
fréquemment 
















la pensée 

perçue dans la disparition mate du corps

elle-même aplanie


tout 
ce que vous concevez par le mental 
ne durera 
pas 

l'arbre-temps

blanc avant la première phrase

perfection de son antériorité

lettre
















j'
étais l'objet 
d'

une question qui ne m'appartenait pas

absence de pas


Brahman Vishnu  Shiva 

Dieu 
dans ses dimensions 
de créateur 
soutien et destructeur 
du monde 

sont 
les noms de votre 
Soi 


myriade et bourdonnement

effet d'éblouissement

scintillation 

de la neige par éparpillement des lettres 



élément vague

la simplicité noie l'obscurité

elle l'avale en jouant 

la renverse


grammaire = squelette 

tout le monde se ressemble 

encore en deçà 

le blanc comme squelette du poème


blanc de l'os des morts

dans mes os

les mots

se mirent

absence et poudre



magie pure du mot nadir   entre nada dire désir

lu dans l'autre temps


zénith au-dessus de l'observateur

le symétrique sur la même verticale et de l'autre côté de la terre

point absent à la vue

une pesée

un point d'ombre


comment me débarrasserais-je de moi-même


blanc tournant 


si seulement

j'étais 

n'importe qui d'autre

soupire ce regard

mais c'est sans espoir

je suis qui je suis