mercredi, avril 12, 2023





Alexis Pelletier


Quelque chose à dire encore

comme 

une très aléatoire partition






















et l’espèce de magie qui suinte presque

du mot hasard

avec Mallarmé en arrière plan

et la crainte d’un décalage complet


Je me souviens d’une grande émotion

à découvrir Les Archipels d’André Boucourechliev

mais qu’est-ce que

ça dit au poème de rappeler le lointain

remontant à l’hiver 1993

et comment il y allait d’une sorte

de solitude qui convient à la ville

ou peut-être à quelque chose

comme un état d’esprit du moment

qu’est-ce que je peux bien en savoir

avec le mot rouge aussi introduisant

sur la partition la longue fin circulaire

du deuxième Archipel


Que vois-tu dis-moi

quand je me sens avec ce jeu des références

toujours en bordure et quel sentiment ça produit

dans ton corps comme dans le mien

dans la conjonction de nos corps qui est l’écriture

qui est le désir que rien n’épuise


Il y a 

une grande colère dans notre monde

une colère contre lui mais aussi contre nous

contre ce que nous n’empêchons pas

une colère contre moi dans le langage

cette sorte d’aveuglement dans les mots

que je ne sais pas lire et qui me poursuivent ;


Les mots sont ce que nous avons de commun

en nos corps et pas ailleurs

et souffrants mutilés ou jouissants

tous ont les mêmes mots ou mieux

sont les mêmes mots à dire

et la réalité s’entrevoit à ce prix


La réalité de l’égarement ou des rafles par exemple

je suis sans papier dans ma langue

arrêtez-moi renvoyez-moi là où vous savez

renvoyer ceux que vous faites mourir

en contemplant le désespoir à la télé ou ailleurs

bien chaudement dans le sentiment du travail fait

il faut travailler plus pour gagner moins

c’est cela dans l’existence des mots

et comme moi tu sais que ça glisse

je t’offre en même temps que la colère

de Sánchez Cotán une nature morte

aux oiseaux légumes et fruits

celle du musée du Prado exposée au Mnac de Barcelone

de mars à juin 2007

c’est quoi le monde pendant toute cette période


Et comment se fait-il que chaque jour

soit désir de toi

le poème n’y voit que des mots dirait James Sacré

et pourtant c’est à la fois dans les mots et au-delà

que cela se passe


Et c’est aussi une angoisse sourde

quelque chose comme un sentiment de culpabilité

permanent qui arrive dans la langue

c’est là où je n’ai pas été à la hauteur

où je ne le suis jamais

j’ai gardé trop longtemps tels mots des autres

sans les restituer à ceux à qui ils appartenaient

je suis dans une incapable faiblesse

vis-à-vis de ceux à qui je dois quelque chose

je désespère de voir le monde

c’est quand tu es là que ça se calme

et c’est bien la langue des autres qui me pense


Alexis Pelletier

extrait de 

Comment quelque chose 

L’escampette 2012


















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