jeudi, décembre 29, 2022


NDLT


dans le dithyrambe dionysien 

l’homme est entraîné 

à l’exaltation la plus haute de toutes ses facultés symboliques  

il ressent et veut exprimer 

des sentiments qu’il n’a jamais éprouvés jusqu’alors  

le voile de Maïa s’est déchiré devant ses yeux 

comme génie tutélaire 

de l’espèce 

de la nature elle-même

il est devenu 



l’Un-absolu























pendant l’ivresse extatique 

de l’état dionysiaque 

abolissant 

les entraves et les limites ordinaires 

de l’existence 

il y a en effet 

un moment léthargique 

où s’évanouit tout souvenir personnel du passé 


entre le monde 

de la réalité dionysienne et celui 

de la réalité journalière 

se creuse ce gouffre 

de l’oubli qui les sépare l’un de l’autre 


mais aussitôt que réapparaît 

dans la conscience 

cette quotidienne réalité 

elle y est ressentie comme telle avec dégoût et 

une disposition ascétique contemptrice 

de la volonté est le résultat 

de cette impression


en ce sens l’homme dionysien est semblable à Hamlet  

tous deux ont plongé dans l’essence 

des choses 

un regard décidé 


ils ont vu et ils sont dégoûtés 

de l’action 

parce que leur activité ne peut rien changer à 

l’éternelle essence 

des choses 


il leur paraît ridicule ou honteux 

que ce soit leur affaire 

de remettre d’aplomb 

un monde disloqué 


la connaissance tue l’action 

il faut à celle-ci 

le mirage de l’illusion 

c’est là ce que nous enseigne Hamlet 


ce n’est pas cette sagesse à bon compte 

de Hans le rêveur

qui par trop de réflexion et comme par 

un superflu de possibilités ne peut plus en arriver à agir  

ce n’est pas la réflexion  

non ! 

c’est la vraie connaissance 

la vision de l’horrible vérité qui anéantit toute impulsion 

tout motif d’agir chez Hamlet 

aussi bien que chez l’homme dionysien


alors

aucune consolation ne peut plus prévaloir 

le désir s’élance par-dessus tout 

un monde vers la mort 

et méprise 

les dieux eux-mêmes 


l’existence est reniée 

et avec elle 

le reflet trompeur 

de son image 

dans le monde des dieux ou dans 

un immortel au-delà


sous l’influence 

de la vérité contemplée 

l’homme ne perçoit plus maintenant 

de toutes parts que l’horrible et l’absurde 

de l’ existence  


il comprend maintenant 

ce qu’il y a 

de symbolique dans le sort 

d’Ophélie 


maintenant 

il reconnaît la sagesse 

de Silène le dieu des forêts 


le dégoût lui monte à la gorge


l’art dionysien 

lui aussi veut nous convaincre de l’éternelle joie 

qui est attachée à l’existence  

seulement 

nous ne devons pas chercher cette joie 

dans les apparences mais derrière les apparences 


nous devons reconnaître 

que tout ce qui naît 

doit être prêt pour

un douloureux déclin 

nous sommes forcés 

de plonger notre regard 

dans l’horrible 

de l’existence individuelle 


et cependant 

la terreur ne doit pas nous glacer 

 

une consolation méta­physique 

nous arrache momentanément à un engrenage 

des migrations éphémères 


nous sommes véritablement pour 

de courts instants 

l’essence primordiale elle-même 

et nous en ressentons l’appétence et la joie effrénées 

à l’existence  


la lutte la torture l’anéantissement 

des apparences 

nous apparaissent désormais comme 

nécessaires en face 

de l’intempérante profusion d’innombrables formes

de vie qui se pressent et se heurtent en présence 

de la fécondité surabondante 

de l’universelle Vo­lonté


l’aiguillon furieux 

de ces tourments vient nous blesser

au moment même où nous nous som­mes 

en quelque sorte identifiés à l’incommensurable 

joie primordiale 

à l’existence où nous pressentons 

dans l’extase dionysienne 

l’immuabilité et l’éternité 

de cette joie


en dépit 

de l’effroi et 

de la pitié nous goûtons la félicité 

de vivre non pas en tant qu’individus 

mais en tant que la vie une totale confondus et absorbés 

dans sa joie créatrice