lundi, novembre 16, 2020


Plus que des souvenirs.
Stop.

Défenes-tration.
Stop.

Ne restaient que les bois.
Stop.

Où es-tu,Toi?
Stop.

Brûlez aussi tous les livres.
Stop.

Le long corps au grenier se couche 
sous la neige la grêle.
Stop.

Adieu à qui?
Stop.

Crémation.
Stop.

Seuls les chiens m'auraient compris.
Stop.

Jude Stéfan

Épodes ou Poèmes de la désuétude
Collection Blanche Gallimard







Chers collègues,

 

car d’eux d’entre nous sont déjà morts, comme nous disons en notre langage d’aveugle, morts autrement que nous, Salabreuil, Perros, j’eus de l’amitié pour eux, de la reconnaissance, de l’estime pour d’autres – mais que recouvrirait le terme impossible d’“ami” ? Qu’est-ce que la poésie en ce moment pour moi, pour nous, en partage ? On connaît la chanson : on apprend la mort effective par suicide, vieillesse ou cancer, à trente ou cinquante ou quatre-vingts ans du poète X qui avait publié trois ou cinq – c’est meilleur signe – ou cinquante recueils remarqués des trois cents amateurs parisiens ou étrangers : alors peut-être on fouillera dans ses traces pour trouver quoi ? de la vie, mais lui, l’était, la vie, peut-être, lorsqu’il y était, en elle. Entretemps comment donc avoir vécu, sans ou avec la poésie ? Vivre est un fait de prose et qui se suffit à soi-même : manger, dormir, marcher, parler, lire des journaux. On écrit à défaut, ou en outre, ou à côté de la poésie qu’on épouse parfois dans l’enfance, l’effusion corporelle, des instants de voyage et qui restent, la joie de disparaître. Il y a un désastre de la poésie des années 60-80, dont quelques rocs, quelques noms commençant par D. ou R. témoigneront aux mains des béats successeurs, tous les bricoleurs actuels – électriciens ou concasseurs, étoileurs de pages, aussi les éternels vieux sentimentauxradotant leurs émotions, ou les asphyxiés du verbe – eux, oubliés de leur vivant même, pâlis, effacés, dépassés. Or je ne suis pas de ceux qui continuent et mes vers ne dureront pas plus ni moins que ceux d’un “écrivant” : honteuse justification ! Non, une tombe gravée sera notre seul poème vrai : on s’incline, on lit enfin avec respect les dates et les noms. Certes on écrit - vit - aime ; je ne dissocierai pas ma mort de mes cris vifs; il n’est aucune poésie dans la naissance, cette expulsion au champ du pire, ce miracle pour sages-femmes et bêtasses – mais elle est tout ce qu’on invente après-coup, malade d’un désir. J’ai écrit de faux vers, parfois de beaux à l’ancienne, la métrique est pour les professeurs. Il nous faut être debout, nous chausser, nous savoir, croire en tel siècle : rude courage ! La poésie (re) commencera grâce à des gueux artisans sensibles qui n’auront pas plus la pudeur de se taire, on recommencera l’effort de Rimbaud et Denis Roche, par comble ! Un “jeune” poète aura toujours quarante ans. Souvent je suis dans l’impensé, ayant honte d’avoir vécu inacceptable, incapable de savoir quoi se rate dans l’usage de la langue, pris dans l’inguérissable manie de raturer le sens qu’on a mis partout, dans les cités, les rapports humains (il n’y en a que de sexuels), les destins, à me voir incapable de dormir innocent de mes rêves, à devoir deviner qui je marche, qui je suis, qui je parle. Donc je suis : c’est la conclusion; or ce n’était que le commencement. Heureusement l’univers n’a pas de sens, ni la mort, ni la nuit, ni la beauté, ni l’amour, ni donc la poésie. Oui, c’est vrai, je n’aurais voulu écrire que par tout cela effaré, si seul écrire me guérissait de moi-même. 

Jude Stéfan

Lettres tombales ad familiares

Le temps qu’il fait

1983


*

célébration

Jude Stéfan 
1930-2020 
par Tristan Hordé






















 








 

claire musique

la musique vibrotte comme elle veut

la musique est dans la fleur

la 
feuille 
entoure 
la 
feuille 
autour 
du 
centre

la musique est dans fleur






















le 
diaphane 
et 
non 
la 
mer 
protège 
la 
fleur

la fleur porte une rouille légère



beauté

dans un autre monde 

plus de voiture

des feuilles



sous 
la lumière 
d'

une 
colline
une lampe 

sur le gazon feuille-vert




















Zukofsky 

« A » 

ces mots sont ma vie 


il y aura consacré 
quarante-cinq années de travail



Œuvre majeure de la modernité américaine, « A » peut être lu à la fois comme un manifeste, le témoignage d’une vie traversée par les espoirs et les désastres du siècle dernier, une quête de l’amitié (Ezra Pound, William Carlos Williams) et un chant d’amour pour sa femme Celia.


Dans « A » se mêlent inextricablement la vie de Louis et de sa famille, les événements historiques du vingtième siècle, la musique, une réflexion morale et politique hantée par la présence textuelle de Marx et Spinoza. 

Les 24 sections qui composent « A » révèlent une méthode de composition d’une grande audace, qui alterne le vers rimé, le vers libre, le collage, la correspondance, les citations, l’écriture théâtrale, l’écriture musicale… 

Le modèle prosodique demeure le vers de Shakespeare, son modèle rythmique, l’art de la fugue et du contrepoint de Bach.



















 

une dernière échappée

poiriers et fleurs

un ultime mur résineux

fécondité morose à surveiller


les enfants amoureux
descendent la pente étroite et solitaire des rêves
et disparaissent à jamais


mon regard
se pose au sommet 
du clocher de mon village
sans guère plus d'intérêt que celui
d'

un oiseau




























la vie s'infiltre dans mon obscurité

elle tient ses engagements

là où il y a eu 

un jour mirage

il doit y avoir vie


désormais
tout va être non pas sombre
mais au contraire chargé d'une telle lumière
qu'il fera sombre



j'ai ajusté 
les vertèbres de mon cou
dans le ciel ainsi que
sur la terre



petite note rapide


la position verticale de la colonne vertébrale 

est pour l'évolution spirituelle d'

une extrême importance  

elle est considérée comme dépendant en grande partie 

du jeu normal de quatre vertèbres 

du cou





























 

LUMIÈRE

Matisse Henri
Peinture
Poésie Liberté Amour

la lumière
ne peut se connaître
que trois voies



































la 
poésie
la liberté l'amour



la barque 
de buée tendait sa chaîne
à faire éclater 
les vitres

et dehors
un ver luisant
soulevait comme une feuille
Paris
















 



 


promenade et réflexion

de quelle profondeur 
pouvait bien remonter la cloche 
Hermétique

dont rien la veille encore ne me faisait prévoir
l'arrêt à ces paliers





























toute 
cause a son effet

tout 
effet a sa cause 








tout 
arrive 

conformément 
à la loi






la 
chance n'est 
qu'

un nom donné à la loi méconnue

il y a
de nombreux
plans de causation 
mais rien n'échappe à la loi

































 


Toute Pensée émet

un Coup de Dés





















le nombre et la sirène 

nous aide 
à déchiffrer 
la partition cachée
d'

un poème sans pareil


Un coup de Dés jamais n'abolira le Hasard

peut-être 
dans l'histoire 
de la poésie moderne 
la rupture la plus radicale





























 

666 et

667 de

668 désuétude 

669 pas

670 tant

671 qu'

672 elle









673 n'

674 énumère

675 sur

676 quelque

677 surface

678 vacante

679 et


680 supérieure

681 le

682 heurt

683 successif

684 sidéralement

685 d'

686 un