samedi, avril 18, 2020






surveiller punir


Voici

selon 

un règlement 






de la fin du XVIIe siècle  
les mesures qu'il fallait prendre 
quand la peste se déclarait 
dans 

une ville 









D'abord

un strict quadrillage spatial  fermeture  bien entendu  de la ville et du   terroir  interdiction d'en sortir sous peine de la vie  mise à mort de tous les animaux errants   

découpage de la ville en quartiers distincts où on établit le pouvoir d'un intendant 

chaque rue est placée sous l'autorité d'un syndic 

il la surveille 

s'il la quittait  il serait puni de mort

le jour désigné on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison 

défense d'en sortir sous peine de la vie

le syndic vient lui-même fermer  de l'extérieur  la porte de chaque maison 

il emporte la clef qu'il remet à l'intendant de quartier 

celui-ci la conserve jusqu'à la fin de la quarantaine 


chaque famille aura fait ses provisions 

mais pour le vin et le pain  on aura aménagé entre la rue et l'intérieur des maisons  des petits canaux de bois  permettant de déverser à chacun sa ration sans qu'il y ait communication entre les fournisseurs et les habitants 

pour la viande  le poisson et les herbes on utilise des poulies et des paniers



s'il faut absolument sortir des maisons  on le fera à tour de rôle  et en évitant toute rencontre

ne circulent que les intendants les syndics  les soldats de la garde et aussi entre les maisons infectées d'un cadavre à l'autre  les  corbeaux  qu'il est indifférent d'abandonner à la mort 

ce sont  
des gens de peu 
qui portent les malades 
enterrent les morts  
nettoient et font beaucoup d'offices 
vils et abjects  

espace découpé immobile figé

chacun est arrimé à sa place

et s'il bouge il y va de sa vie 

contagion ou punition



l'inspection fonctionne sans cesse

le regard partout est en éveil 

un corps de milice considérable  commandé par de bons officiers et gens de biens  des corps de garde aux portes à l'hôtel de ville et dans tous les quartiers pour rendre l'obéissance du peuple plus prompte et l'autorité des magistrats plus absolue  comme aussi pour surveiller à tous les désordres  voleries et pilleries 


aux portes  
des postes de surveillance 

au bout de chaque rue  
des sentinelles


tous les jours  l'intendant visite le quartier dont il a la charge  s'enquiert si les syndics s'acquittent de leurs tâches  si les habitants ont à s'en plaindre 

ils  surveillent leurs actions

tous les jours aussi  le syndic passe dans la rue dont il est responsable 

s'arrête devant chaque maison 

fait placer tous les habitants aux fenêtres 

ceux qui habiteraient sur la cour se verraient assigner une fenêtre sur la rue où nul autre qu'eux ne pourrait se montrer

appelle chacun par son nom 

s'informe de l'état de tous

un par un 

en quoi 
les habitants 
seront obligés de dire la vérité sous peine 
de la vie  


si quelqu'un ne se présente pas à la fenêtre  le syndic doit en demander raisons 

il découvrira par là facilement si on recèle des morts ou des malades


chacun 
enfermé dans sa cage 

chacun 
à sa fenêtre 

répondant à son nom et 
se montrant quand on le lui demande 

c'est 
la grande revue 
des vivants et des morts




Michel Foucault 

Surveiller et punir

Naissance de la prison 

Gallimard 

1975































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