mardi, février 04, 2020






Kathleen Raine



Présente, 
éternellement présente 
présence,

Jamais 
tu n’as cessé d’être






Ici et 
maintenant 
en chaque maintenant et ici,


Et tu apportes encore
De ton trésor de couleur, 
de lumière,

De senteurs, 
de notes, 
le chant du merle dans le soir,
Si clair parmi les feuilles vertes et odorantes,

Comme au temps 
de l’enfance toujours nouveau, 
de nouveau.


Ma main qui écrit vieillit, 
mais moi aussi
Je répète uniquement et encore une fois
L’unique chant humain, 

du fond du souvenir
D’une joie, 

un mode
Que non moi mais la musique connaît
Qui nous forme, 
nous informe, 

fait entendre par nos voix
L’accord du ciel et de la terre, 
d’en haut et d’en bas, 
qui sont

Cette musique des sphères 
que Pythagore 
perçut.


Moi, 
vivante, 
comme le merle je fais entendre
Dans l’ignorance de ce qu’elle dit, 
la voix qui ne meurt pas.















Paru en Angleterre en 1987, La Présence est à ce jour l’avant-dernier recueil de Kathleen Raine, à qui son autobiographie (Adieu prairies heureuses, Le Royaume inconnu, La Gueule du lion) et ses poèmes (Isis errante, Sur un rivage désert) ont valu, en France et à travers le monde, l’attention d’un large public.

Parvenue au seuil du grand âge, Kathleen Raine dresse ici le bilan d’une vie. 

Sa poésie refuse tout hermétisme et, plus que jamais, se veut quête de sagesse, méditation sur la « Présence » qui illumine, pour qui sait y être attentif, les instants les plus quotidiens. 

Fidèle à l’héritage spirituel de William Blake et, plus près de nous, de W.B. Yeats à l’étude duquel elle a consacré une grande partie de ses travaux critiques, Kathleen Raine a bâti son œuvre sur la conviction que l’Imagination est la plus sûre garante de la dignité de l’homme, et que la Vision seule justifie l’entreprise artistique.

Dans La Présence, le regard du poète se concentre sur les choses les plus simples pour y déceler la trace de cette présence universelle qui fonde l’unité du monde : « J’interroge l’herbe : / À chaque cellule vivante / Le secret de Dieu est révélé ». 

Une telle poésie, en tant qu’exercice spirituel, exige du lecteur qu’il refasse par lui-même le chemin du poète et saisisse l’unité qui se révèle dans les aspects singuliers du réel, « inépuisable trésor d’apparences », mais aussi dans les rêves où la parole poétique puise ses symboles. 

Pour la conscience poétique qui s’affirme dans ces pages, ce qui a disparu, objets ou êtres aimés, n’est pas passé dans un Ailleurs inaccessible, mais toujours là, présent, seulement caché aux sens, entré dans une dimension différente que Kathleen Raine nomme « le Royaume invisible » et qui ne se confond pas avec l’« au-delà » des religions occidentales. 

Car Dieu, ici, n’est pas ailleurs que dans le monde. 

Et si le Paradis existe, il ne peut être entrevu que comme la splendeur du monde lui-même telle qu’elle se révèle à des moments privilégiés d’extase, dans un rayon de soleil illuminant un jardin de Londres, dans l’envol d’un oiseau, grâce à la lumière du souvenir qui anime le regard :

« Ce n’est pas que me souvienne, mais que je suis / Souvenir, suis tout ce qui est advenu, / être et savoir ininterrompus / Dont le flot m’a amenée ici, chargée des temps et des lieux / Oubliés, jadis ici et maintenant, / De ceux qui furent, de jour en jour / De vie en vie, comme moi, / Présences de cette omniprésence sans fin ni commencement ».

La Poésie, dans ce livre, se veut, se sait connaissance du monde, dans une grande proximité avec la tradition néoplatonicienne où Kathleen Raine, lectrice de Plotin et de Proclus, a trouvé, comme les auteurs qui lui sont chers, son ancrage spirituel. 

Sans didactisme aucun, les poèmes de La Présence communiquent au lecteur, à travers tout un trésor d’images, ce qu’il ne faut pas craindre de nommer une sagesse : « Ces souvenirs, dits et redits, confiés / De rêve en rêveur par tels que moi, / Dont le seul savoir est ce que nous avons fait être. » (Sagesse des mots).

Jean-Yves Masson
































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