lundi, janvier 28, 2019



DORMIRA JAMAIS 

A.B

































mon âme 

s’évanouissait peu à peu 

comme 


j'

entendais 

la neige s’épandre

faiblement sur tous l’univers 



comme 

à la venue de la dernière heure 

sur tous les vivants et 

les morts




***






tout est près

les pires conditions matérielles sont excellentes

les bois sont blancs ou noirs

On ne dormira jamais


































James Joyce

Le Mort

Des 
larmes 
de générosité
lui montèrent aux 
yeux. 














Il n’avait jamais rien ressenti d’analogue à l’égard d’aucune femme, mais il savait qu’un sentiment pareil ne pouvait être autre chose que de l’amour.

Des larmes coulèrent de ses yeux, et dans la pénombre il crut voir la forme d’un jeune homme debout sous un arbre, lourd de pluie. 

D’autres formes l’environnaient. 

L’âme de Gabriel était proche des régions où séjourne l’immense multitude des morts. 

Il avait conscience, sans arriver à les comprendre, de leur existence falote, tremblotante. 

Sa propre identité allait s’effaçant en un monde gris, impalpable : le monde solide que ces morts eux-mêmes avaient jadis érigé, où ils avaient vécu, se dissolvait, se réduisait à néant. 

Quelques légers coups frappés contre la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. 

Il s’était mis à neiger. 

Il regarda dans un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres tomber obliquement contre les réverbères. 

L’heure était venue de se mettre en voyage pour l’Occident. 

Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale dans toute l’Irlande. 

Elle tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière d’Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du Shannon. 

Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. 

Elle s’était amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. 

Son âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tous l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts.



Extrait de 

Le Mort 
in Gens de Dublin, Paris, Plon-Nourrit, 1926. 
Traduit de l’anglais par Yva Fernandez, 
Hélène Du Pasquier, 
Jacques Paul Reynaud.

Préface de de Valéry Larbaud.

édition en langue originale 1914 

































S’adressant
à l’électeur d’Emmanuel Macron,
François Bégaudeau fait la somme des
aveuglements qui le font se prendre pour un
progressiste de pointe là où il n’est
qu’un conservateur
de base.

Tu es un bourgeois.


Mais 

le propre
du bourgeois,
c’est de ne jamais
se reconnaître comme tel.



Petit test  :












Tu
votes
toujours
au second
tour des élections
quand l’extrême droite
y est qualifiée, pour lui faire
barrage.


Par
conséquent,
l’abstention te paraît
à la fois indigne et incompréhensible.


Tu
redoutes
les populismes,
dont tu parles le plus
souvent au
pluriel.


Tu
es bien
convaincu
qu’au fond les extrêmes
se touchent.


L’élection
de Donald Trump
et le Brexit t’ont inspiré
une sainte horreur, mais depuis
lors tu ne suis que d’assez loin ce qui
se passe aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne.


Naturellement
tu dénonces les conflits d’intérêts,
mais tu penses qu’en voir partout relève
du complotisme.

Tu
utilises
parfois (souvent  ?)
dans une même phrase
les mots racisme, nationalisme,
xénophobie et repli
sur soi.

Tu
leur préfères
définitivement le mot
ouverture.


Si
tu as
répondu
oui au moins une fois,
ce livre parle
de toi.

Prends
le risque de l’ouvrir.



François Bégaudeau
Histoire de ta bêtise
Pauvert

janvier 2019

































j'aime écrire





































elle 
décida 

un jour 
que sa vie tout 
entière serait organisée
autour 
d'









un 
projet 
unique dont la nécessité arbitraire 
n'aurait d'autre fin 
qu'elle-même



cette idée 
lui vint alors qu'elle avait 
vingt ans

ce fut d'abord 


une 
idée vague
une question qui se posait 

que faire ? 

une 
réponse 
qui s'esquissait 

rien





































hallucination   n'est pas    illusion














j'eus l'illusion de voir 

un fantôme

c'était le rideau agité par le vent

=

mes sens
percevaient 
quelque chose de réel

mais

je l'interprétai mal



elle 
voit partout des fantômes

elle a des 
hallucinations

=

ses sens ne perçoivent

rien de réel

ses sensations sont maladives


*



8

° huit     dites le/huit'

prononcez

cent/hui/francs   mais di z'uit' ans


° 
signale un h consonne
qui fait obstacle à l'élision et à la liaison avec
le mot précédent






























dans l'eau 
d'

une parole

la 
seizième lame de ce 
cube 











tu 
descends la branche verbale 
du temps 

tu en
es la torche



une 
rue de banlieue
la nuit
entre des terrains vagues

A
droite

un 
pylône 
métallique 
dont les traverses 
portent sur chacun de 
leurs points d’intersection 

une 
grosse 
lampe électrique allumée



gauche

une
constellation 
reproduit  renversée
base au ciel et pointe vers la terre

la forme exacte du pylône


le ciel
est couvert de floraisons
bleu foncé sur fond plus clair

identiques
à celles du givre sur

une vitre